En vol

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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

dimanche 11 octobre 2020

TENUE CORRECTE DE RIGUEUR


Image empruntée sur le site de wikihow


Que signifie cette expression au juste ? 

Dans le temps, on savait très bien à quoi elle renvoyait, quand elle était imprimée sur un bristol qui vous conviait à un événement important, qui rassemblait des gens tout aussi importants ! Pour les messieurs, cela signifiait qu'il leur était demandé de porter une cravate (ou un nœud papillon) et un veston (ou un smoking). Les dames, elles, savaient qu'elles pourraient revêtir la toilette (joli terme !) de leur choix, élégante, et probablement chère. Leurs robes décolletées y seraient les bienvenues. Leurs jambes, voluptueusement enveloppées de bas nylon, aussi. 

(Si cela vous fait penser à un film de James Bond, c'est normal !)


Ailleurs que dans ces salons huppés, on savait qu'il convenait de ne pas exhiber certaines parties de son anatomie. Personne n'aurait eu l'idée de pénétrer en short, épaules dénudées, tête découverte (pour les femmes) dans un lieu de culte. À chaque lieu son code vestimentaire, dont l'apprentissage faisait écho à celui des nuances. 

Quant aux établissements scolaires, les règles y étaient claires jusqu'en 1968, et même au-delà. Une "tenue correcte" a ensuite remplacé les blouses pour les jeunes filles. Blouses que chacune personnalisait à sa façon, histoire (déjà !) d'éviter cette uniformité imposée. 

Mais ça, bien sûr, c'était avant. Avant que les jeans (délavés, déchirés, effrangés, troués, re-brodés, à taille très basse...) et les tee-shirts (moulants, unisexe, explicites, ou sans forme) envahissent la sphère publique ou privée. Avant que les corps se libèrent – une libération bienvenue après des siècles de carcan. J'ai personnellement observé, avec amusement parfois, l'arrivée dans les classes, de toutes sortes de vêtements, et je n'ai jamais eu la tentation de recadrer qui que ce soit à ce sujet. Donc, loin de moi l'idée de regretter le corset, les jupes longues, ni les chapeaux ou perruques qui dissimulaient le corps de femmes ! 

Celles d'entre nous qui se souviennent aussi de l'interdiction de porter des pantalons en classe (sauf les jours de neige ou de grand froid) ou d'y arriver maquillées (ah, ces yeux de biche !) comprendront que je n'ai aucune nostalgie des règlements d'antan. 

J'ajoute que de porter des baskets en toutes circonstances ne me défrise pas le moins du monde, cette norme-là est vraiment libératrice pour celles qui ont les pieds fragiles !


Ailleurs, c'était bien plus contraignant, nous le savons

En revanche, j'avoue être perplexe devant la revendication de ces lycéennes qui se mettent en grève pour contester le règlement intérieur de leur établissement (dont je rappelle qu'il est voté par la communauté éducative et les représentants élus des parents d'élèves, et des élèves), ou qui manifestent contre l'interdiction qui leur est faite par leur établissement scolaire de montrer leur nombril, ou le (ravissant) reste de leur anatomie habituellement recouverts par des vêtements.

Leur argument : "Je suis féministe, j'ai le droit de m'habiller comme je veux, et c'est du sexisme que de m'imposer des règles à ce sujet"

Largement soutenues par d'authentiques vieilles féministes – à l'instar de Laure Adler, qui revendique du reste l'épithète "vieille" que je viens d'utiliser – et par leurs jeunes parents si branchés, elles accusent les établissements scolaires de discrimination, en gros d'être liberticides et sexistes.

Mes réflexions et questions sont les suivantes :

Les jeunes garçons apprécieront (énormément) les tenues de leurs copines de classe, et ne vont jamais s’en plaindre. Cela aura-t-il pour autant une influence positive sur leur cursus ? Après tout, un lycée, c’est a priori un endroit d’étude, où un minimum (pour ne pas un maximum) de concentration est nécessaire. 

Nul ne peut nier que des adolescents à la sexualité normale seront sensibles (euphémisme !) à ces corps dénudés. Je comprends que l’idée sous-jacente est de leur demander de ne pas l’être, et de savoir respecter ces corps qu’ils verront à longueur de journée. Très bien, souhaitons qu’il en soit ainsi. Mais, sans jouer les Tartuffe, quelqu’un a-t-il pensé à eux ? Renversons un peu la situation, que se passerait-il, s’ils décidaient d’arriver au lycée revêtus de ces braies que les Anglais appelaient des "codpieces", ces braguettes rembourrées qui moulaient de très près leurs "parties" ?  

Célèbre représentation de l'anatomie du roi Henry VIII

Et qui a pensé aux jeunes filles dont le physique ne correspond pas à "la norme", ou qui sont plus timides, ou moins à l’aise dans leur corps ? Comment vivront-elles le fait de ne pas vouloir exhiber leur nombril ? Quelle discrimination sera ainsi induite ? 


Mais surtout, surtout, ce qui me tracasse, c’est la perte de la notion de nuances. La langue elle-même devient uniforme. Personne (ou presque) ne maîtrise plus ses niveaux. Faut-il vraiment s’adresser à tout le monde de la même manière ? Je parle simplement d’adaptation aux circonstances, aux lieux, aux personnes. On ne tape pas (au sens propre comme au figuré) sur l’épaule de celui (ou celle) que l’on ne connaît pas. Dans certaines langues latines, on parle à la troisième personne aux plus âgés. En français, on ne tutoie pas tout le monde. On disait dans le temps : "Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble". À savoir, on ne s’adresse pas de la même façon à son pote, à son grand-père, à un médecin ou un professeur, à son député, etc. 


(Merci de lire aussi le féminin derrière tous ces termes génériques, je ne prône nullement le patriarcat)


Même si nous méritons toutes et tous le même respect, la langue française (et d’autres langues) possède de subtiles distinctions, qui permettent précisément d’apprendre ce que sont les nuances, dans tous les domaines. Tout n’est pas fait d’un bloc, sauf pour les révolutionnaires, qui usaient du billot pour un simple vouvoiement. 


Mais peut-être ces considérations sont-elles vaines, au regard de ce qu'écrit Alain Bentolila : "La pénurie de mots est une des causes de la violence adolescente".  Ou, à tout le moins, la cause d'un discours à l'emporte-pièce. 


En effet, qui enseignera à la jeune fille de Boulogne-sur-mer, qui a si bien défendu sa cause sur le plateau de C Politique, que certains mots sont à réserver à la conversation entre copains, et que de dire face aux caméras :  "Ils pensent qu’on veut juste emmerder nos parents" sonne déplacé, surtout sans le fameux geste des "..." qui, en l'occurrence, aurait prouvé sa connaissance des dites nuances ? 


Qui expliquera à des élèves de Terminale, comme je l’ai fait pendant des décennies, que de se rendre à un examen à moitié nue, ou en short (pour les garçons) n’est pas souhaitable, tout simplement parce que cette tenue induit un autre élément, chez l’examinateur, et même l’examinatrice, que celui de l’esprit ?


Et pour finir, alors même que l’on explique très tôt (et à juste titre) aux petites filles que leur corps leur appartient, que personne n’a le droit de le toucher sans leur permission, pourquoi ne pas leur faire comprendre aussi que des codes vestimentaires existent, en société ? 

Enseigner aux garçons le respect du corps des autres, et celui des filles en particulier, est bien sûr très important, mais hélas, le discours et la réalité ne font pas toujours un, alors peut-être faudrait-il introduire, là aussi, des nuances dans ce discours si passionné en faveur de la nudité partielle ? 


Personnellement, j’attends avec impatience les frimas, qui mettront un terme saisonnier à ces débordements charnels. On verra au printemps ce qui en aura survécu, et surtout si les programmes scolaires auront été assimilés par ces bouillants jeunes gens ! 


Et, pour finir, je n’oublie pas de remercier ici ma maman (née en 1920), qui a su m’inculquer la notion de respect des autres et le sens de la tenue, tout en prônant le droit à la totale liberté des femmes de disposer de leur corps, ce qui faisait d’elle une précurseuse en la matière. 


Ce défi-là serait-il devenu impossible à relever ?



* * * * * 



NB. Aurais-je oublié de réfléchir au fait qu’en dévoilant d'autres parties de leur corps, les lycéennes souhaitent peut-être remplacer ce que le masque dissimule de leur visage ? Une hypothèse séduisante, celle-ci !


Et j'espère que l'on me pardonnera l'abondance, dans ce billet, de points d'interrogation.