En vol

En vol
Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

vendredi 29 avril 2011

MÊME PAS HONTE !




- QUI AIME DEVOIR ARRIVER DEUX HEURES AVANT LE DÉBUT D’UN SPECTACLE POUR ÊTRE SÛRE D’AVOIR UNE PLACE ?

- QUI AIME ASSISTER À UNE CONFÉRENCE ASSISE SUR UNE PLANCHE DURE COMME DU BOIS ? (sic) ET SANS SE SOUCIER DE SON DOS, DE SES JAMBES OU DE SES FESSES, QUAND C’EST LE CAS ?

- QUI AIME ÉTOUFFER DE CHALEUR PARCE QUE LA SALLE EST COMBLE, COMBLE, COMBLE ?

- QUI AIME VOIR S’EXCITER DES APPARITEURS DÉBORDÉS PAR UNE FOULE DE SPECTATEURS QUI S’ASSOIENT N’IMPORTE OÙ PARCE QU’IL N’Y A PLUS DE PLACE NULLE PART ?

- QUI AIME S’ENTENDRE DIRE « MAIS POUSSEZ-VOUS DONC, ON PEUT EN METTRE DEUX À CÔTÉ DE VOUS ! » (ET POURQUOI PAS SUR MES GENOUX TANT QU’ON Y EST ?)

- QUI ADORE, À LA FIN D’UNE PRESTATION, À S’APPROCHER DE QUELQU’UN DE CÉLÈBRE POUR DEMANDER UNE DÉDICACE, UN CONSEIL, VOIRE SE FAIRE PRENDRE EN PHOTO AVEC L’ARTISTE ?

Pas moi, d’ordinaire.

Je n’aime pas tellement les foules ; attendre, moyen ; le désordre… bof ; jouer les groupies, les fans : Je trouve ça bon pour les minettes.

Mais quand il s’agit de la venue de Boris Cyrulnik au Centre Universitaire Méditerranéen, Promenade des Anglais, à Nice, je l’avoue sans honte, suis prête, à TOUT, à TOUT.

Je l’ai attendu - en bonne compagnie, il faut l’avouer, en bavardant agréablement à droite à gauche devant derrière. Nice est une petite ville, et un paquet de ses citoyens intéressants semblaient s’être donné rendez-vous au même endroit !

Et puis il est arrivé, et puis on l’a applaudi, et puis on l’a écouté. En silence.

Et tout a pris son sens.

Pourquoi cet homme-là parle-t-il de moi, de ma famille, de mes amis, des gens que je connais, à chaque fois qu’il ouvre la bouche ? Pourquoi met-il les mots justes sur les trucs flous que je ressens ? Pourquoi le fait-il avec autant d’élégance et de pertinence que d’humour ?

Oui, pourquoi ?

Pourquoi ceux qui étaient autour de moi ont-ils ressenti exactement la même chose, ils me l’ont dit ensuite ?

Je ne sais pas pourquoi exactement, mais je devine qu’au-delà des années de recherche, de travail, d’écoute, de lectures, de travail, de rencontres, il y a l’humanité faite homme chez cet homme-là. Avec une sacrée dose de générosité.

Et je suis sûre que le privilège rare de l’entendre, de le rencontrer vous rend meilleur. Meilleure.

Alors, les lignes du début, vous les oubliez. Vous cliquez virtuellement sur le bouton « j’aime », comme sur facebook, sans états d’âme, et concrètement, je vous en conjure :

Achetez ses livres, lisez-les (je vous le disais déjà en ouverture de ce blog), regardez-le quand il passe à la télé, faites la queue pour l’écouter, vous oublierez vos pieds, votre dos, vos jambes, la foule, la chaleur, le bruit ou la fureur, tout, tout, sauf votre cœur, et votre esprit, car soudain vous vous sentirez plus intelligent, plus performant, plus ….

Avec presque la grosse tête alors ?

Non, juste plus humain.

Merci Monsieur Cyrulnik.




vendredi 22 avril 2011

LA LOI DU RETOUR ?

La même en français


Je vais ici raconter une histoire qui ferait un tabac, si toutefois elle était de la plume de Kafka. Bon, je vais faire de mon mieux pour vous en dire les méandres, en espérant ne pas vous perdre en route.

Il y est question d’une de mes cousines de cœur, Miss Z.

Je sais, j’ai mentionné le Z de Costa-Gavras la semaine dernière, et le film ainsi nommé a fait sa réputation, suis-je en train de me prendre la grosse tête, par hasard ?

Tant pis, je continue sans attendre de réponse !

Alors, voilà : Miss Z. se trouve être la fille de R. née en Allemagne, donc allemande à l’époque où elle y a vécu – sauf qu’elle a été obligée de fuir ce pays avec ses parents vers la fin des années trente. Pas de gaieté de cœur, certes, mais avec une sagesse qui leur a sauvé la vie.

Peu de temps après, ils se sont tous retrouvés déchus de leur nationalité allemande, et apatrides. Cela vous parle ?

Je vous épargnerai les détails du sort de la famille pendant la guerre, pour me concentrer sur leur survie et leur immigration réussie aux États-Unis, pays qui leur accorda la citoyenneté assez rapidement.

Halleluya !

R. épousa ensuite un citoyen américain, ce qui signifie que Miss Z. la personne dont je parle aujourd’hui est née aux USA, et qu’elle est donc de droit une citoyenne américaine.

Tout est bien qui finit bien ?

À voir !

Même si Miss Z. est ravie de bénéficier de cette citoyenneté enviée, et même si elle a vécu toute sa vie en Californie, et même si elle est bien décidée à conserver cette nationalité toute sa vie, quelque chose lui a un jour sauté aux yeux. Un article dans USA Today qui expliquait comment un tas de gens, dans le même cas que le sien avaient à présent le droit de réclamer la nationalité allemande (en conservant la leur), s’ils en avaient été déchus par les lois nazies, entre autres.

(Pour les anglophones voir ceci :

http://www.usatoday.com/news/nation/2007-09-07-270955086_x.htm)

Miss Z étant une voyageuse acharnée, et amoureuse de l’Europe, elle a sauté sur l’information en dépit du douloureux passé commun à sa famille et à l’Allemagne.

En effet, il semble qu’abondance de passeports ne nuise pas plus par les temps qui courent qu’il y a quelques décennies – qui sait quel endroit s’avérera le plus sûr refuge, un jour, de l’Amérique, ou de l’Europe ?

Mais rien n’est simple, nulle part au monde, quand il est question de formalités !

Car, en raison de sa date de naissance, et du fait que la nationalité allemande aurait été transmise à Miss Z. par sa MÈRE et non par son père, il semblerait qu’elle ne soit pas jugée éligible au rang de citoyenne germanique. En effet, la citoyenneté allemande ne passe à un enfant par la mère que depuis 1953. Auparavant, elle s’acquérait par le père. À cette date fatidique, l’Allemagne accorda aux femmes le même droit qu’aux hommes, le résultat, en ce qui concerne Miss Z. étant qu’un enfant né avant cette date ne peut prétendre à cette faveur, la loi n’ayant pas un effet rétroactif, comme chacun le sait. Exit la demande de Miss Z ?

Ah, ce serait sans compter sur sa force de caractère, et sa persévérance !

Comment ? L’héritage de sa mère serait considéré nul et non avenu au prétexte qu’il émanerait d’une FEMME ?

Comment, non seulement R. avait été rejetée en tant que Juive, pendant la période nazie, mais maintenant, il en irait de même de la requête de sa fille ?

Et la sœur cadette de Miss Z. aurait, elle, le droit d’obtenir ce passeport, du seul fait d’être née deux ans plus tard ?

Ceci n’a ni queue ni tête, et certainement pas pour quelqu’un qui est attachée à l’égalité des sexes en matière de droit, sans même parler d’équité entre frères et sœurs !

Miss Z. s’est donc battue bec et ongles, en fournissant chacun des documents requis par toutes sortes de fonctionnaires, et son cri d’outrage a dû résonner très fort sur la toile, car, après un ultime entretien, il vient de lui être signifié que son dossier est digne de considération, en haut lieu. Il sera donc envoyé « Nach Berlin » dans les meilleurs délais pour examen en vue de validation.

À présent, nous pouvons garder les doigts croisés afin que les personnes adéquates lui accordent ce qu’elle réclame : une très petite compensation, au regard de ce que sa famille a subi, et pour avoir perdu les avantages que procure l’appartenance à notre chère Europe depuis sa naissance.

En ce qui me concerne, tout ce que je souhaite, c’est d’être parmi ceux qui assisteront, dans quelques mois peut-être, à la remise de ce passeport allemand, mais surtout européen, à une exilée de longue date, pour lui souhaiter un heureux retour au pays !

Cela sera également la preuve que les bureaucrates si souvent décriés sont capables de fournir une autre réponse que « Ce n’est pas dans les textes » et surtout, qu’ils savent faire bon usage de leur mémoire.

Ceci se produirait quand, après avoir entendu répéter le caricatural slogan : «Ah non, nous n’achèterons pas de voiture allemande ! » pendant des décennies, je me retrouve en train d’en conduire une.

Elle a été fabriquée et montée par toutes sortes d’ouvriers immigrés, dans une bonne douzaine de pays européens, vendue avec fierté par des Français, et naturellement payée en euros…

Eh oui, c’est notre monde à présent, alors pourquoi ces prises de tête pour un passeport, je vous le demande ?

Vous m’avez suivie jusqu’ici ? Bravo ! Passez donc un bon week-end, où que vous viviez !

WELCOME BACK?

This is just one of those amazing stories that would hit the bestseller lists if someone with Kafka’s talent wrote it.

Nevertheless, I’ll do my very best, and hope you’ll follow me, part of the way at least?

Let me introduce a dear cousin of mine, Ms Z.

I know, I wrote about French director Costa-Gavras last week, and he hit fame thanks to a movie called just that (Z): see how bigheaded I am getting?

Anyway, Ms Z. happens to be the daughter of Ms. R. a German-born lady, who had to leave Germany in a hurry back in the late thirties, with her parents, much against their will, but wisely so.

Guess what? They were deprived of their German citizenship and declared stateless some time later. Sounds familiar?

I shall spare you the details of the family’s fate during WW2, and focus on the fact that they were eventually able to immigrate to the USA and eventually (meaning a good while later….) all of them were granted US citizenship.

Hurrah.

Ms R. then married an American citizen, which means that Ms Z, the person I am interested in, was born in the USA with the obvious result that she was an American citizen by birth.

All is well that ends well?

Not quite.

Even though Ms Z. is perfectly happy to enjoy this status and even though she has lived all her life in California and even though she is determined to keep her citizenship her whole life, something surprising caught her eye one day.

This is it: "http://www.usatoday.com/news/nation/2007-09-07-270955086_x.htm"

She thus learned that she might be able to get back the German citizenship that her mother and grandparents had been deprived of due to the National-Socialist laws and regime - a status Ms Z. might otherwise have inherited. (OK, by a long stretch, but you get the idea).

Ms Z. is a keen traveler and lover of Europe, so, notwithstanding a painful history with Germany’s own history, she jumped on the piece of information.

It seems indeed very desirable to be able to combine both passports nowadays. Who knows which haven will prove safer in the decades to come: America or Europe?

Well, not so simple as it seems, where red tape is concerned, wherever...

Due to the date of her birth and due to the fact that German citizenship would have been passed on to Ms Z. through her MOTHER and not through her FATHER, it seemed she would not be eligible for the great honor of becoming German again. Indeed, citizenship only came to be passed on from a mother (instead of a father) to her children in 1953, when Germany acknowledged that a woman’s rights equaled a man’s in that matter. Hence, any child born before that date could not have benefited from his or her mother’s status, nor can they now, the law not being retroactive….

This is without knowing Ms Z. and her determination….

What? Her mother’s heritage was considered less German, less legitimate, for coming from a WOMAN?

Not only had Ms R. been rejected in those awful years of the Nazi regime, for being Jewish, but now, her daughter could not reclaim her due?

Ms Z’s younger sibling would be entitled to getting the desired passport, just because she happened to have been born a couple of years later? This today makes no sense whatsoever, and certainly not to someone attached – as I am – to equal rights between men and women, not to mention between siblings!

She fought on and on, produced all the musty documents that were asked by all sorts of officials, hopefully shouted loud enough over the internet for her cry to be heard right - to be now told that her file is considered worthy of being considered kosher enough to be sent ‘Nach Berlin!’ for further examination.

Now we are all keeping our fingers crossed so that the right people in the right place will grant her what she wants: a small compensation for what her family went through, and for losing the benefits of rightfully belonging to our United Nations of Europe since the day she was born.

All I can wish for is to be among those who will witness the event in a few months – the handing of a E.U passport to a long lost citizen of our beloved Europe! For it will also indicate that bureaucrats (so often ill-spoken of) have another answer than “this must be done by the book”, and that someone, somewhere has a mind of his or her own – and a memory.

And all this when, after years of listening to our parents’ motto (“I’ll never buy a German car!”), I am finally driving one. Probably manufactured and assembled by all sorts of immigrants across twelve European countries, proudly sold by French dealers, and aptly paid in euros!

Here is the world for you, so why the hassle over nationality anymore?

(You made it to the end? GOOD! In that case, have a great weekend, wherever you happen to be living!)

samedi 16 avril 2011

La leçon de Costa-Gavras



20 000. Vingt mille étrangers en moins seront interdits d’immigration LÉGALE en France, si le projet annoncé par le ministre de l’Immigration (sic) aboutit, faisant baisser le chiffre des entrants de 200 000 à 180 000.

Pourquoi ce nombre ? Quel arbitraire a accompagné son choix ?

Quid du numéro 20 001 ? Celui qui se verra fermer la porte d’entrée, arbitrairement, alors que son rêve professionnel dirigeait ses pas vers Paris, ou une autre de nos villes, Nice, par exemple ?

Où donc iront les esprits brillants venus de pays où les études sont un luxe inabordable ? Quels pays moins bornés les accueilleront, pour ensuite tisser des liens privilégiés avec eux, et avec leur pays d’origine ? Plus concrètement, où donc iront-ils ensuite faire rayonner leur savoir, leurs talents, ET contribuer à la diffusion de la langue française ?

Je me le demande encore plus fort ce matin, après avoir assisté à la passionnante « leçon de cinéma » donnée hier soir, à la Cinémathèque de Nice, par le réalisateur Constantin Costa-Gavras, qui s’y est entretenu avec deux maîtres en la matière, Jean-Jacques Bernard, (Président du Syndicat de la Critique de cinéma et de télévision) et Jean-Luc Douin (journaliste au Monde).

Ma question est la suivante : que se serait-il passé si un fonctionnaire zélé avait refusé de tamponner son passeport lorsque Costa-Gavras s’est présenté à nos frontières avec l’espoir d’étudier les lettres à Paris, en lui disant « Désolé, nous avons suffisamment accueilli de Grecs cette année » ou bien « Vous êtes le numéro 20 001 sur notre liste, tentez votre chance ailleurs… » ?

Serait-il parti faire ses films aux États-Unis, comme tant d’autres, où il aurait eu à subir les diktats des « majors » ; où il aurait été accusé d’être communiste, ses projets d’être trop libres, trop indépendants, pas assez commerciaux, que sais-je ? Où, surtout, il n’aurait pas rencontré la femme de sa vie, celle qui accompagne ses rêves et l’aide à les réaliser, pour notre plus grand bonheur à nous, spectateurs.

Si ce mode de pensée myope avait existé quand Costa Gavras a choisi notre pays pour y étudier, nous n’aurions pas entendu hier soir ces témoignages de reconnaissance venus d’une salle comble. Nous n’aurions pas vu notre vie, notre conscience basculer, ainsi que l’a souligné Odile Chapel, la directrice de la Cinémathèque de Nice : il y a bien eu, pour nombre d’entre nous, un avant, et un après Z. Un avant et un après L’Aveu. Un choc devant Music Box, si prémonitoire des quêtes qui nous taraudent des années après sa sortie en 1989. Et j’en passe.

Non, tout cela ne se serait pas produit, si cet étranger, ce métèque, avait été refoulé à nos frontières par une loi étriquée.

Ah, me dira-t-on, mais la délinquance, vous ne la voyez pas, cette plaie sur notre société ?

Ce serait si simple de pouvoir affirmer que la méchanceté se voit au premier coup d’œil, mais en écoutant Costa-Gavras, il nous est confirmé qu’il faut la chercher, la révéler, derrière le visage de l’ange parfois. Et inversement, donc ?

Alors qui nous dit que le mal est inhérent au groupe refoulé, à une ethnie particulière, ou à un nombre défini ?

Non, ce schéma est simpliste, faussement rassurant, mais, hélas, récurrent ; le débat tourne en rond, en France comme ailleurs en Europe, du reste.

Au risque de passer pour naïve, j’ai envie de dire :

Continuons donc à donner leur chance aux talents venus d’ailleurs, ils s’épanouiront chez nous, ainsi que le prouve l’histoire extraordinaire de cette jeune boxeuse française, que les plateaux télé s’arrachent, et dont la vie est un roman*.

Cessons de jeter l’anathème sur «les immigrés », de nous refermer sur nous-mêmes, quand chaque Français sait qu’il est lui-même un descendant d’étrangers…

Nous en récolterons la gloire, l’honneur, et surtout la conscience d’avoir été les citoyens actifs d’un monde éclairé.

Chiche ?

(Et je remercie ma ville d’avoir invité et reçu Constantin Costa-Gavras ici)


* Danbé, Aya Cissoko, avec Marie Desplechin, Calmann-Lévy

Photo : source Wikipedia (auteur : Perline)

jeudi 14 avril 2011

Filles, mères et fils....


Voilà ce qui figure sur la 4ème de couverture du livre de Véronique Moraldi :



« La relation mère-fille est une histoire d’amour particulière qui peut parfois devenir le lieu de bien des abus et des souffrances. Avec originalité et une dose d’humour, l’auteure analyse cette relation et ses dérives. Elle met en garde contre les pièges de la fusion identitaire, décrit la rivalité parfois poussée à l’extrême et dépeint la violence de la différenciation qui survient quand mère et fille doivent inévitablement se distinguer. Elle explique également les conséquences d’avoir eu une mère difficile sur le développement des filles, mais surtout, elle donne des conseils concrets pour toutes celles qui veulent améliorer leur relation. »


C’est autour de ce travail remarquable qu’a eu lieu, le 8 avril dernier, une rencontre entre l’auteur, psychologue et conférencière, et le public, à la Galerie Valperga, à Nice – dans le cadre de ce qui est joliment intitulé « Café de la Parole ». Le thème en était :

« l’amour en mouvement »

Véronique Moraldi est en chaire ce qu’elle est en chair et en os : Une passeuse en douceur, une voix sage et posée, une oreille attentive, un visage serein, et une pensée claire. Elle est pertinente et efficace dans sa transmission de ce qui devrait être évident à tout être humain - femme ou homme, parent ou pas –, mais tellement difficile à mettre en pratique : à savoir que l’amour est écoute ; attentif, respectueux, gratuit. Et que si chacun, et chacune, sait garder sa place, l’échange sera constructif au lieu d’être destructeur, nocif.

Mais voilà ! On a beau le savoir, les remarques qui fusent, les questions posées, les témoignages offerts révèlent presque tous la douleur profonde qui sommeille en tant d’enfants adultes face à la relation qui les a unis à (ou éloignés de) leur propre mère. Oui, la souffrance semble venir plus souvent de la fille que de la mère, et pourtant que de mères à la blessure silencieuse ! Aucune ne se manifeste ce soir-là, je le note, ce sont des filles qui parlent, et quelques fils.

On est le témoin involontaire, impuissant, parfois gêné, mais toujours intéressé, de questionnements intimes auxquels Véronique Moraldi fait de son mieux pour répondre sans aviver la douleur, et sans transformer ce « débat » en séance privée. Elle renvoie le particulier au général, en évitant de blesser quiconque, pour faire de ce particulier un cas d’école susceptible d’être utile à chacun des participants.

L’assemblée est majoritairement féminine, mais quelques hommes y prendront la parole, pour y révéler les mêmes fragilités, les mêmes questionnements. En doutions-nous ?

Rassurant, aussi, d'entendre dire que rien n'est inéluctable, que les pires situations peuvent être surmontées, car chacun d'entre nous porte en lui, en elle, une image idéale de parent et peut se doter d'un tuteur qui lui permettra de pousser plus droit.

En toute fin de conférence, au moment de passer au « verre de l’amitié » annoncé par les organisateurs, une jeune femme placée derrière moi intervient, pour dire le bonheur d’une relation harmonieuse entre mère et fille, et son espérance...

Me retournant un instant, je vois son visage épanoui, sa pose alanguie, et deux jolies mains posées sur son petit ventre rond.

Je suis partie sans participer aux agapes annoncées, mais je me suis réjouie d’avoir su bousculer mon quotidien pour engranger dans ma mémoire le message si humain de Véronique Moraldi, et le ravissant cliché d’une maternité à venir.


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La fille de sa mère - Les Éditions de l’Homme, 2006

Le fils de sa mère – les Éditions de l’Homme, 2008

Le "Café de la parole" a lieu au 1, rue Valperga, à Nice. Contact : cafedelaparole@gmail.com


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(En ce qui me concerne, et pour attiser un brin la curiosité de mes lecteurs en le signalant – je remarque avec intérêt que ce que j’ai entendu dire ce soir-là, à propos de la transmission trans-générationnelle, est furieusement en rapport avec le thème d’un roman que j’ai terminé, et qui doit sortir très prochainement. Où est le hasard ?)

vendredi 8 avril 2011

UN JOURNAL À CONSERVER


Aujourd’hui, je triche un peu.

Voilà, j’ai eu envie de partager un coup de cœur durable, et un petit texte que j’ai écrit, il y a quelque temps pour le bulletin de l’association AMEJDAM, déjà mentionnée sur ce blog – tout simplement parce que je ne souhaite pas que les belles choses aient une vie trop éphémère. Les livres, comme le reste - y compris les élans du cœur - deviennent des consommables, on en parle lorsqu’ils sortent, et on les oublie une fois la page publicitaire tournée. Même pas juste ! Pour une petite piqûre de rappel, ou pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, voici de quoi il s’agit.


Celle qui a lu, tardivement, le Journal de Myriam Bloch, en deux jours - une lecture hélas entrecoupée par les tâches du quotidien - éprouve le besoin impérieux de partager son émotion avec les amis de l’AMEJDAM.

Ce livre est bien une de ces « bouleversantes rencontres », ainsi que le dit la manchette rouge de l’éditeur à propos du contenu de l’ouvrage de Colette Guedj. Mais il y a bien plus que l’accroche ne le suggère, dans ce croisement-là.

La rencontre de l’héroïne au nom troublant de « Celle qui lit » avec le Journal de Myriam Bloch - livre de mémoire jamais retrouvé - fusionne par un étrange phénomène de cascade avec celle qui a lieu entre la lectrice et le livre de Colette Guedj lui-même.

Autrement dit, on entre dans le livre dans le livre dans le livre….

Soyons plus clairs. Colette Guedj raconte l’identification de son personnage à une petite fille juive menacée par les nazis, et comment toute sa vie a été façonnée par cette présence intime de la peur absolue et de la nécessité de survivre.

Dit ainsi, cela paraît banal. Mais Colette Guedj nous fait pénétrer, tels des passe muraille, dans trois ou quatre mondes différents à la fois, avec une subtilité et une délicatesse envoûtantes.

Il y a le monde terrifiant de Myriam Bloch, que nous connaissons tous hélas, pour l’avoir vécu directement ou reçu en héritage. Avec sa question subsidiaire, tellement cruciale pour ceux d’entre nous qui sommes nés après la guerre : « Qu’aurais-je fait si…… ? »

Il y a le monde de l’enfance en Algérie, avec toutes ses composantes affectives et sensuelles – c’est-à-dire qui touchent tous nos sens. Nous en respirons l’air, nous humons ses senteurs, nous en goûtons les saveurs, le piment, nous en éprouvons la rudesse, aussi, et les ambiguïtés. Le récit du contenu des strates de cette mémoire peu organisée qui fonctionne par association d’idées, fascine et trouble tout à la fois. Colette Guedj nous émeut, sans jamais tomber dans le mélo, dans la guimauve, même si la douceur de cette Algérie évanouie est également perceptible à travers chacun de ses mots.

Et puis il y a cette composante poétique qui donne envie de lire le texte à voix haute à quiconque se trouve à proximité, ou bien pour soi-même, pour goûter le plaisir accru des sonorités, des correspondances, des échos littéraires, linguistiques ou cosmiques qu’il éveille en nous.

De fait, chacun d’entre nous, enfant de survivants, peut se retrouver dans ce récit, qu’il ou elle soit né(e) de ce côté-ci de la Méditerranée, ou de l’autre. Colette Guedj fait délicatement tomber les barrières entre Ashkénazes et Séfarades, entre Juifs et non Juifs. Ce faisant, elle nous parle de l’humanité, de ses angoisses enfouies, de sa responsabilité collective, de sa culpabilité enfouie, de ses travers, de ses merveilleuses qualités et de son optimisme inné.

J’oublie une dernière strate de feuillets, et non des moindres. Celle qui décrit notre monde contemporain, déchiré de contradictions, dont les fragments menaçants sont exposés ça et là, et qui comporte dans sa trame la question lancinante, récurrente que se pose chaque être humain : où est donc ma place, ici et maintenant ?

Plus légèrement parlant, ce mille-feuille est un plaisir fou à déguster. Tour de passe-passe absolu, c’est un (merveilleux) livre dont on est le héros : on le pose à regret, mais c’est sûr, on le relira et on le partagera.

Le Journal de Myriam Bloch (ed. JC Lattès – 2004)


Du même auteur, entre autres :

Le baiser papillon (ed. J.C Lattès – 1999)

Le perce oreille (Les éditions Ovadia – 2010)

vendredi 1 avril 2011

ET VOUS QUE FERIEZ-VOUS, SI... ?

Ce doit être le printemps qui incite à rêver !

Il me semble qu’à chaque fois que je regarde la télé j’y vois une pub pour le loto, auquel je faisais allusion la semaine dernière. On y voit la réaction toujours aussi démesurée que le gain, de ceux et celles qui ont touché le gros lot.

Une prétendue censure y coupe les exclamations jugées vulgaires, tandis que le monteur du petit spot joue sur nos nerfs en ne révélant qu’au tout dernier moment la splendide automobile que s’est acheté un gagnant encore en bleu de travail, ou presque.

La question revient encore et encore : que feriez-vous si vous étiez l'heureux gagnant de l’Euro-million ? Elle fait fantasmer ceux qui ont peiné à payer l’écran plat sur lequel ils regardent s’afficher des gens qui leur ressemblent (et qui nous ressemblent), grimper dans un hélicoptère privé qui les amènera sur une île de rêve, où ils débarqueront en chemise fleurie et sandales en plastique rose pour une escale privilégiée le long de leur périple de luxe.

Car le truc, le gros truc, c’est précisément de montrer que les gagnants restent ce qu’ils étaient avant d’avoir gagné. Pas question de les portraiturer en train de changer de « classe », de singer les nantis de naissance. Non, pour nous appâter, nous faire acheter ce billet magique, il faut nous rassurer. Nous ne changerons pas profondément, nous resterons ces gens ordinaires, avec nos préoccupations banales. L’argent ne sera que la cerise sur le gâteau, si j’ose dire. Celle qui nous permettra de nous offrir certes l’essentiel, mais aussi le superflu dont on a rêvé si longtemps, tout en restant aussi simples et naturels qu’avant. Pourtant le choc doit être rude, pour qui passe du statut de conducteur de bus à celui de passager privilégié d’un jet privé, non ?

La Française des Jeux explique du reste que des experts en la matière conseillent, soutiennent, organisent des groupes de parole – comme dans les cas de catastrophe naturelle, ou autre !

Le monde nouveau qui s’offre au nouveau millionnaire doit être aussi effrayant d’inconnu que l’Amazonie, et il doit bien s’ajouter à son effroi un brin de culpabilité, « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter cette bonne fortune ? » - ou bien est-ce moi qui délire, là ?

J’ai écouté ce que disaient les gagnants, ou plutôt ce qu’on rapportait de leurs paroles, car ils se font discrets une fois le pactole en poche, et on les comprend : Ils commencent par donner une somme conséquente à leurs proches (enfants, parents…), ils s’achètent une belle maison, une voiture, font un voyage… Et puis quoi ? La plupart placent leur magot en bons pères de famille, seuls quelques-uns claquent tout sur quelques coups de tête.

En revanche, je n’ai pas entendu rapporter que des sommes phénoménales aient été reversées à des associations caritatives, mais peut-être est-ce là une discrétion qui honore les donateurs.

Pas question de leur jeter la pierre à eux pour autant, non. On a juste envie de rappeler à qui profite le crime (on le sait). Mais surtout, de se demander quelle morale se cache derrière la vente de ces billets attrapeurs de rêve, quelle détresse pousse ceux qui ont à peine de quoi assurer le quotidien, pour qu’ils misent ainsi chaque semaine, en disant haut et fort que « seuls ceux qui ne jouent pas ne gagnent pas ».

Et enfin je me demande quel voyeurisme incongru me saisit lorsque mon regard s’attarde sur les figurants qui les représentent, plein aux as, et faussement heureux, en me posant, comme tout un chacun, la question « qu’est-ce que je ferais, moi, si….. ? »

Par bonheur, je ne vais pas plus loin, car même si je gagnais le jackpot, je sais que cela ne me donnerait jamais le millième du plaisir que j’éprouve à m'amuser avec les mots et à partager le résultat ce petit jeu gratuit !