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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

jeudi 28 octobre 2021

NICE L'INSOLITE - JOURNÉE LITTÉRAIRE du 4/11/2021

 PETIT RETOUR À LA VIE... LITTÉRAIRE !




Je vous informe donc que je serai présente à cette journée organisée par l'association ITINÉRAIRES et la Ville de Nice, le jeudi 4 novembre, de 11 h à 17 h. 

J'y présenterai, parmi d'autres auteurs de talent, de jolis RÊVES DE RENCONTRES SUR LA RIVIERA. Au pluriel :)




Bien entendu, une (nouvelle) rencontre avec vous en vrai me fera très plaisir. 

Et vous pourrez aussi y retrouver de nombreux auteurs qui ont, comme moi, notre ville au coeur. 

À bientôt !


NB. Attention, réservation recommandée, et Pass sanitaire requis. 




mercredi 7 juillet 2021

VALLAURIS LA VILLE ATELIER 1938-1962 : L'EXPO DE L'ÉTÉ




AVANT-PROPOS 

Celles et ceux qui suivent ce blog et mes publications savent sans doute déjà que je suis la fille aînée du peintre et céramiste Eugène Fidler. Et même si je ne suis que rarement mentionnée dans les publications le concernant – comme si ce père talentueux n'était "né" que bien après ma naissance, et bien après son divorce d'avec ma mère, sa première épouse et collaboratrice –, il n'en reste pas moins que le récit de sa riche biographie est le fruit de mes recherches personnelles. J'en ai rendu compte dans un livre publié en 2016 : EUGÈNE FIDLER - Terres mêlées (Éditions Ovadia), après avoir créé la page wikipedia le concernant. Des notes biographiques que d'autres amateurs d'art utilisent volontiers, et c'est tant mieux, car c'était bien là le but de ce travail.  


Cela étant posé, j'en viens au sujet de ce billet, qui  a pour but d'honorer le travail remarquable qui a été effectué à Vallauris, avec pour résultat une exposition exceptionnelle, intitulée VALLAURIS, LA VILLE ATELIER - 1938-1962. 

Présentée dans un lieu magnifique, le Musée Magnelli — musée de la céramique, Place de la Libération –, cette exposition retrace avec brio les périodes mentionnées dans ce titre. 



Certes, Vallauris a toujours été un important centre de céramique, ancré à l'origine dans une tradition de poterie culinaire, ainsi qu'en témoignent ces magnifiques poêlons de chez Foucard & Jourdan, dans lesquels on adorait laisser mijoter de  goûteuses ratatouilles ! 




Poêlon à queue en faïence, émaillé à l'intérieur, 

et partiellement émaillé à l'extérieur


Des céramistes et potiers y expérimentaient diverses techniques, tel Jean Gerbino, dont les mosaïques de terres sont particulièrement saisissantes. 



Toutefois, dès la fin des années 30, un nouveau mouvement émerge, avec l'arrivée de Suzanne Ramié, qui ouvrira un atelier, dans une ancienne usine, avec son mari Georges, sous l'acronyme "MADOURA". 



C'est dans l'immédiat après-guerre que se développe ce mouvement, avec l'installation à Vallauris de jeunes gens talentueux venus d'ailleurs. Désireux d'oublier les soucis de la décennie précédente, et attirés par la conjonction du doux climat méditerranéen, des ressources et des compétences locales en matière de travail de la terre, ils donnent à cet artisanat une dimension originale, différente, car non "utilitaire". 

Mais c'est indéniablement l'arrivée de Picasso en 1946 qui a donné un essor tout particulier à ce lieu. Ces années d'après-guerre apparaissent à présent comme un "Âge d'Or", où la création artistique devient reine. 


Deux exemples du travail innovant
de Pablo Picasso. 
Le musée en présente 
de nombreux autres en permanence.

Des expositions déjà prestigieuses sont organisées au Nérolium – pour rappel, c'était auparavant le nom donné à un lieu dédié au bigaradier.





Quelques illustres signatures, dont celle d'Eugène Fidler


Mais venons-en à cette exposition de 2021, qui permettra aussi aux moins initiés de comprendre ce que cette ville-atelier a su créer, encourager et mettre en valeur. 

L'équipe du musée de la céramique, sous la talentueuse houlette de sa conservatrice, Céline Graziani, a  rassemblé, en quatre sections, une quantité impressionnante d'œuvres majeures des céramistes vallauriens de ces décennies. 

Nombre de collectionneurs, ainsi que les descendants de ces artistes de la terre ont prêté au musée des pièces de leurs précieuses collections

Les visiteurs peuvent ainsi découvrir l'étendue et la variété des œuvres exposées, et comprendre comment leurs créateurs ont permis à Vallauris de devenir une référence essentielle en matière de céramique d'art.

De 1938 au début des années 60, des céramistes de génie ont investi la ville, pour y créer nombre de merveilles, chacun et chacune avec son style. Et c'est cela qui est passionnant à découvrir dans cette exposition si rigoureuse et  riche à la fois : le foisonnement des couleurs, des matières, la variété des pièces elles-mêmes, qui vont de l'utilitaire (vaisselle, plateaux de tables, pieds de lampe...) aux éléments d'un genre artistique plus marqué (panneaux muraux, sculptures, plats décoratifs...).

Tous les "grands" céramistes sont représentés dans le cadre de cette exposition, où leur travail est mis en valeur de manière exceptionnelle. Pas une fausse note, dans sa mise en scène. Les visiteurs qui entreprennent ce voyage esthétique si particulier en ressortent éblouis.

À noter, et à ne pas manquer : dans la salle Eden, sur la placette adjacente au musée, on peut aussi admirer des pièces de mobilier des années 50, un décor dans lequel sont placées quelques céramiques de la même période. Un émouvant voyage dans le temps pour les plus anciens d'entre nous !

D'ailleurs, je voudrais ajouter ici une autre touche personnelle. 
En plus de faire découvrir à certains visiteurs néophytes ce que la céramique a représenté pour Vallauris, cette exposition fait revivre des moments, des tranches de vie : elle donne des couleurs, du volume, du relief, de la matière aux souvenirs de ceux et celles qui, comme moi, en ont été les (très jeunes) témoins. 
 
Je n'en dirai pas davantage. Les quelques images, ci-dessous, présentées dans un joli désordre, vous donneront, je l'espère, envie de courir à Vallauris découvrir cette exposition, qui se tiendra jusqu'au 31 octobre prochain. Ne laissez pas trop filer le temps, ce serait vraiment dommage de la rater ! 


On y va ? 

Quelques définitions, pour commencer : 


(On est très sensible à cette délicate prise en compte 
des visiteurs ayant des problèmes de vue)

ÉMOTION :

Ci-dessous, et très bien mis en valeur,
le plat qu'Eugène Fidler
a soumis à la biennale de 1958
Faïence émaillée, 10cm x 36,5cm
Collection Pascal Marziano


Avec en arrière-plan un stupéfiant
pied de lampe de Roger Capron

("La fameuse lampe W de 1955,
un modèle rarissime." 
Précieuse précision
fournie par Pascal Marziano)

Une coupelle de la même époque 
(14,5 cm x 16 cm)
Collection Rago
                                                  

Son motif illustre le défi à l'équilibre
et l'aspect aérien qui marqueront aussi
le travail pictural d'Eugène Fidler


***

Étonnant détail d'un panneau mural émaillé 
de Roger Capron




Deux autres vitrines 
consacrées à Roger Capron
(pièces crées entre 1950 & 1959)


... avec ces vases oiseaux épurés, 
de toute beauté (1950),
 et ces tables basses très originales,
différentes de celles, plus connues,
aux motifs de fougère séchée. 




***

Des œuvres d'Alexandre Kostanda
(à gauche) et de Jean-Claude Malarmey
(à droite) cohabitent bien dans cette vitrine-là.


Ne pas oublier d'admirer  
ci-dessous le travail varié 
de Roger Picault...




...ni, non plus, les créations aux motifs 
si originaux de Gilbert Portanier


Et, pour clore, que dire de ces étonnantes 
pièces de vaisselle en faux bois
de Grandjean-Jourdan ?



J'espère à présent que mon enthousiasme vous aura donné envie d'en découvrir davantage. Vos retours me seront précieux, comme toujours, alors n'hésitez pas à me laisser un commentaire sur ce blog. 
Bonne visite, en vrai !

***

Lieu : Musée Magnelli, musée de la céramique
Place de la Libération
06220 VALLAURIS

Attention : le musée est fermé le mardi, et entre 12:30 et 14:00. 

Un autre 'must have', à acheter sur place : le  catalogue de l'exposition, extrêmement détaillé, superbement illustré, et vendu au prix de 30 €. 


* * * * * 

Bien entendu, je ne suis pas la seule à parler de cette expo-événement, qui interpelle jusqu'au milieu très branché de la déco : 


* * * * * 

Mes remerciements vont à Jacques Lefebvre-Linetzky  qui a pris la plupart des photos publiées dans ce billet.  (Les plus belles, bien entendu !) Pensez à cliquer dessus pour les agrandir. 








vendredi 2 juillet 2021

LE DESTIN TRAGIQUE D'HÉLÈNE VAGLIANO


Ce n'est pas un scoop que de dire que l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ne cesse de m'intéresser. Et notamment lorsqu'elle touche à ce qui s'est passé dans ma région. Alors, s'il m'arrive de tomber sur un récit que je ne connaissais pas, écrit en anglais par Maureen Emerson, qui m'a tellement aidés lors de mes recherches sur les déportés d'Opio, je ne résiste pas longtemps au désir de le traduire, afin que les non-anglophones puissent y avoir accès. 

Vous trouverez donc ci-dessous le récit du destin tragique d'une jeune Anglaise de "très bonne famille", dont la vie a été brutalement écourtée par les nazis, à Nice, en 1944, quelques jours seulement avant la libération de cette ville. 

Lisez-le, en appréciant la chance que nous avons d'échapper encore à la tyrannie, dont le visage ne se démasque parfois que lorsqu'il est trop tard pour réagir. 

Honneur à Hélène Vagliano, et merci à Maureen Emerson d'avoir si bien retracé son histoire. 


* * * * *




Dans un visage ovale, sous un arc de sourcils bien dessinés, de grands yeux sombres vous observent. Le regard est sérieux, mais celle qui est photographiée ne pouvait deviner ce que l’avenir lui réservait. C’est Hélène Vagliano, et son histoire ne saurait être oubliée.

Les parents d’Hélène appartenaient à une grande et respectable famille franco-grecque, qui comprenait des banquiers et des armateurs très liés à l’Angleterre. Il existe un caveau de famille au nom de Vagliano dans le cimetière de West Norwood, à Londres. 




Image prise sur ce site


Hélène est née à Paris en 1909, mais la famille – son père, Marino, sa mère Danaë, elle-même et ses deux frères – partit s’installer en Angleterre, et vivre à "La Grange", à Ascot, près de Windsor, dans l’une de leurs demeures élégantes, aux jardins remarquables. Bien plus tard, dans un contexte très différent, Danaë Vagliano se rappellerait ces jardins, et le lac "sur lequel glissaient des cygnes blancs comme de la neige". 


En 1924 les parents d’Hélène allèrent s’installer à Cannes, dans le Sud de la France, et Hélène (restée  "Elaine" pour ses amis anglais) fut alors inscrite à Ascot, dans un pensionnat très huppé pour jeunes filles. Elle y réussit très bien, et était très populaire auprès de ses camarades de classe. Le sérieux de son expression, sur la photographie, dément son enthousiasme et son facétieux sens de l’humour. C’était une élève modèle, cheffe de classe, une pianiste à l’avenir prometteur, qui était également gardienne de but dans la première équipe anglaise de "lacrosse"(1). Elle parlait français couramment, mais en raison de son éducation britannique, elle le parlerait toujours avec un accent anglais prononcé. Un élément qui jouerait contre elle plus tard.



Image prise sur ce site


Une fois installés à Cannes, les Vagliano achetèrent du terrain dans le quartier de la Californie, où ils firent construire l’imposante villa Champfleuri (2), où Danaë créa un jardin à thèmes d’une telle importance que celui-ci est désormais inscrit au Patrimoine Historique (ainsi que la villa). 

Au lieu de cygnes, on y voyait des flamants évoluer sur les petits étangs. 



Autre image de la demeure familiale de Cannes

Photographie à voir sur le site de Maureen Emerson

 

En 1927, Hélène quitta son pensionnat d’Ascot pour rejoindre sa famille à Cannes, où ses parents étaient fort bien installés dans leur vie d’expatriés. 

Le père d’Hélène, Marino, était champion de golf et président du prestigieux Golf Club de Cannes-La Napoule (pendant l’occupation allemande, au cours des derniers mois de le Seconde Guerre mondiale, ce parcours de golf serait parsemé d’environ 2000 mines anti-personnel…)

 

Danaë devint capitaine de l’équipe féminine française de golf, et un trophée international, le  "Vagliano Trophy", existe toujours à son nom. 

 

De là, où elle menait la vie typique d’une jeune fille privilégiée de la Côte d’Azur des années 30, Hélène continua à envoyer régulièrement des nouvelles de ses escapades à la revue de son ancienne école anglaise. Elle s’acheta une vedette rapide  "extrêmement excitante à conduire, surtout lorsque l’on vire de bord" ; elle skia et pratiqua la randonnée en montagne avec son frère, ce qui "donna au guide un bon nombre de peurs bleues". Elle entreprit de dresser des tortues, en disant avec humour "On s’essoufflerait à les poursuivre" et, d’une manière générale, elle s’amusait beaucoup.  En plus de ces activités ludiques, elle traduisait également des articles en Braille, pour des revues à l’intention des aveugles. 


Tout cela allait changer lors de la déclaration de guerre de septembre 1939, qui fut suivie par les mornes mois de la "Drôle de Guerre". La communauté des expatriés de la côte, et ceux de Cannes en particulier, se lancèrent dans l’action. De nombreux programmes d’aide furent mis en place, et les en-têtes de leur papier à lettres comportaient les noms de bon nombre de célébrités bienfaisantes de l’époque sur la Côte d’Azur. Hélène et sa mère rejoignirent le comité de la Cantine Militaire de la gare de Cannes, qui avait été installée pour fournir du ravitaillement aux troupes envoyées défendre la frontière avec l’Italie. Mais, quelques mois plus tard, lorsque l’armée allemande franchit brutalement la frontière belge pour envahir la France, la grande majorité de ces expatriés s’enfuit loin de la Côte d’Azur. 

 

En juillet 1940 la France avait capitulé, un de frères d’Hélène avait été fait prisonnier de guerre, et le sud était tombé sous le joug du gouvernement de Vichy. 


Profondément antinazis, et anti Vichy, les Vagliano restèrent à Cannes, en y faisant, avec sagesse, profil bas. En 1941, Hélène était devenue l’organisatrice locale des services sociaux de la Maison du Prisonnier de Cannes – une organisation d’aide aux prisonniers, qui s’occupait, en fait, des familles et des enfants orphelins des soldats emprisonnés (3) ou portés disparus. À mesure que la guerre se poursuivait, et que pratiquement tous étaient affamés en permanence, Hélène emmenait chaque semaine des groupes d’enfants dans des restaurants où il leur était servi, chose rare, un bon repas. Elle était connue pour partager son argent et sa compassion avec la même générosité, et pour sa confiance totale en la victoire finale des Alliés. 


En 1943, alors que les Alliés avaient débarqué en nombre en Afrique du Nord, que les Italiens avaient capitulé, et que l’armée allemande occupait à présent la totalité de "la zone libre" de la France de Vichy, l’oppression s’intensifia dans la zone sud. Aux yeux d’Hélène, le travail bénévole qu’elle effectuait n’était plus suffisant et, à l’insu de ses parents, elle s’engagea dans la Résistance. Toute son énergie physique et mentale avait à présent trouvé la cause qui lui convenait. Bien que sa mère ait plus tard dit qu’elle "avait travaillé avec les Anglais", Hélène n’apparaît pas sur la liste des agents des "Special Operation Executives" (4). 


Cependant, Hélène semble avoir été impliquée dans plus d’une action visant à aider les Alliés. En plus de travailler avec un groupe ou réseau de Résistance locale qui aidait les pourchassés à s’échapper de France vers l’Espagne, elle devint un agent pour le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), qui était basé à Londres. Il s’agissait d’une organisation créée, sur la demande de Winston Churchill, par le Gouvernement de la France Libre en exil, sous l’égide du Général de Gaulle, et dont le but était d’informer les Alliés des mouvements de l’ennemi, et de préparer le terrain en vue de la libération de la France.  


"Tartane-Masséna", le groupe d’Hélène, mené par le Dr Paul Schmierer, travaillait sur la Côte d’Azur, et son nom de code à elle était "Veilleuse". Hélène devint également "boîte aux lettres" pour les Alliés : équipée d’un poste émetteur, elle envoyait et recevait des messages, et informait régulièrement son contact des activités de l’armée allemande car, à présent, les "Vert-de-gris" (ainsi appelés en raison de la couleur de leur uniforme) s’attendaient à un débarquement le long de la côte. On pouvait souvent voir la toute menue Hélène pédaler sur sa bicyclette, dans Cannes et alentour – elle transportait des messages coincés dans le guidon, et même, parfois, au mépris du danger, son poste radio, bien camouflé sur le porte-bagage.  


Le 28 juillet 1944, alors que l’espoir commençait à se transformer en certitude qu’une invasion alliée allait se produire, une automobile s’arrêta devant le bâtiment où Hélène travaillait. À l’intérieur de la voiture se trouvait un groupe de Français, tous membres de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme de Jacques Doriot, dirigé, comme d’habitude, par un officier allemand. 


Ce mouvement, qui était violemment anti-communiste, et collaborationniste à mort, travaillait souvent de concert avec la Milice française. Cette dernière qui opérait pratiquement en dehors de toute loi, était composée de Français déterminés à pourchasser les membres de la Résistance. Dénoncée par une femme qui avait été arrêtée, et dont elle avait aidé le fils à s’enfuir, Hélène fut emmenée. Plus tard dans la même journée, ses parents furent brutalement arrêtés et pris en otage, à la Villa Champfleuri, dans le but de contraindre Hélène à dénoncer ses camarades résistants. 

 

Hélène fut immédiatement soumise à la torture à la Villa Montfleury, le tristement célèbre Quartier Général de la Gestapo de Cannes. Sa torture se poursuivit au cours des dix-sept jours suivants, en différents lieux. À la prison de Grasse, à la Villa Trianon de Cimiez, à Nice, puis dans une prison militaire, à Nice encore, tandis que ses parents étaient toujours rapprochés d’elle, placés dans le même bâtiment, afin qu’ils puissent entendre ses cris de souffrance par les lucarnes ouvertes. Les prisonniers étaient enfermés dans de sombres cellules insalubres, infestées de vermine, dans lesquelles il n’y avait souvent pas d’eau, ni pour boire, ni pour se laver. Hélène fut brûlée au fer rouge sur tout le corps, elle fut battue, reçut des coups de pied, encore et encore, mais sa seule réponse fut, encore et toujours "Je ne sais pas". Ce traitement se poursuivit jusqu’au jour où, incapable de supporter les conditions horribles de détention que subissaient ses parents, et afin de les faire libérer, Hélène signa des aveux remplis de noms et d’adresses fictifs. Au moment où sa mère fut libérée, Hélène eut le temps de lui dire qu’elle "les enverrait chercher aux quatre coins de France des gens qui n’existent pas". 


Le 15 août, depuis sa cellule, Hélène entendit une voix dans la rue, qui criait que les Alliés avaient débarqué sur la côte, à Fréjus. Avec enthousiasme, elle déclara à sa compagne de cellule (5), qui ensuite transmit le message à la mère d’Hélène, que, maintenant que la France était libérée, plus rien ne comptait, et que sa tâche était achevée : "Maintenant ma mission est finie. Maintenant rien, plus rien, ne peut me faire de mal."(6)


Au cours de ce même après-midi, sur une côte bombardée nuit et jour par l’aviation alliée, Hélène et vingt-trois autres prisonniers furent rassemblés et conduits en camion vers l’Ariane, un quartier à l’est de Nice. La route vers leur destination était appelée leChemin de la Croix

 

Dans son livret-témoignage, intitulé "Hôtes de la Gestapo", Danaë Vagliano, la mère d’Hélène écrivit, encore sous le coup de la détresse, que le groupe de résistants avait été alignés à l’Ariane le long d’un mur de roche, puis abattus par des mitrailleuses que la Gestapo avait placées de l’autre côté du Paillon, le fleuve étant étroit à cet endroit-là. 

 

Toutefois, la version à présent retenue par les historiens dit que les malheureux prisonniers furent abattus par des rafales de mitraillette tirées à courte distance par les Allemands et ce, dès leur descente du camion (7) – pour être ensuite achevés au revolver…*  

    

Aux côtés d’Hélène se trouvaient notamment un prêtre qui avait été arrêté parce qu’il avait enterré deux résistants abattus par la Gestapo, et le Commandant de Lattre, un cousin éloigné du Général de Lattre de Tassigny, qui mènerait les forces françaises depuis les plages françaises de la Méditerranée, jusqu’à la victoire à Berlin. Le fils du Commandant avait rejoint la Résistance, et son père avait été pris comme otage. Ce fils avait déjà été arrêté et abattu deux jours plus tôt.

 

Six semaines après la mort d'Hélène, son corps fut ramené à la mairie de la ville de Cannes, à présent libérée, où son nom serait plus tard donné à une rue et à une école. Le cercueil, recouvert du drapeau tricolore, fut placé sur un chariot à canon drapé de blanc. Une garde d’honneur, composée d’hommes et de femmes de la Résistance, la veilla toute la nuit. Une foule immense assista le lendemain aux obsèques, qui furent célébrées à l’église orthodoxe.



Image prise sur ce site

Chaque groupe de la Résistance du sud de la France y était représenté ; les hommes défilèrent, tenant leur fusil à l’envers, le canon pointé vers le bas. L’Ave Maria fut chanté, car Hélène était morte le jour de l’Assomption, et il fut suivi par la cantate de Bach qu’Hélène préférait : « Viens, Douce Mort ». 



* * * * *





Notes de la traductrice : 


1. Le jeu de lacrosse est un sport collectif d'origine amérindienne où les joueurs se servent d'une crosse pour mettre une balle dans le but adverse.


2. La villa existait déjà, mais après l’avoir achetée en 1925, Marino Vagliano l’agrandit en 1928, et la modifia de manière conséquente. 


3. En Allemagne.


4. Le SOE, Direction des opérations spéciales, des services secrets britanniques.


5. Madame d’Angély, de Golfe Juan, arrêtée et gardée en otage car son mari était résistant. 


6. En français dans le texte. Citation tirée du livret écrit par Danaë Vagliano. 


7. Source : Jean-Louis Panicacci, Professeur honoraire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, Président des Amis du Musée de la Résistance Azuréenne. 


* Lire à ce sujet l'article qui figure sur le site du Musée de la Résistance en ligne



 * * * * *

 

Sources :


Archives de la Ville de Cannes, France

Musée de la Résistance Azuréenne, Nice, France    

Hôtes de la Gestapo, par Danaë Vagliano

The Dragon.  The Alumni Magazine of St.  George’s School, Ascot.


Traduit de l'anglais par Cathie Fidler. 

  




lundi 24 mai 2021

"LEÇONS D'INJUSTICE" ou "FIGLI DEL DESTINO"



Cela fait un moment que je n'ai rien publié sur ce blog... mais voilà que je reviens avec un billet que j'aurais volontiers confié à mon cher Jewpop, s'il ne s'était auto-éliminé des radars depuis quelque temps déjà. 

En effet, je viens de voir sur Netflix un documentaire que j'ai envie de vous faire découvrir, et qui, bien entendu, correspond à mon intérêt pour la période de l'Histoire qu'il relate. 

Il s'agit d'un film de 2019, intitulé en italien "Figli del Destino", curieusement traduit en anglais par "Forbidden School" et, de manière plus adéquate en français par "Leçons d'injustice"

Y sont retracés avec une grande justesse de ton et beaucoup de sensibilité, les parcours de quatre enfants ayant vécu (dès 1936) l'époque où les Fascistes italiens se sont mis, à leur tour, à pratiquer une politique violemment antisémite, calquée sur celle de leur allié nazi. 

On connaît moins bien l'histoire de la guerre vue du côté italien, sauf à avoir lu (ou vu) quelques œuvres essentielles s'y rapportant : "Si c'est un homme" de Primo Levi, bien entendu, ou "Le jardin des Fizzi-Contini", ou encore le dernier tome (bouleversant) de la plus récente trilogie de Louisa Young, intitulé "Devotion". 

Dans ce documentaire, quatre enfants, devenus des survivants d'un âge avancé, font part de leur expérience personnelle, de leurs émotions, de leur parcours si tragique et, surtout, de la manière exceptionnelle dont ils ont su se reconstruire, après...

Lea Levi, Liliana Segre, Guido Cava et Tullio Foà reviennent donc tour à tour sur ce qu'ils ont vécu quand ils étaient enfants, ou à peine adolescents. Et notamment sur le choc qu'a représenté pour eux l'interdiction soudaine, dès 1938, de fréquenter leur école – d'où le titre choisi en anglais. 



Auto-collant, 11 mars 1938
Source : wikipedia

L'une des petites filles en question, a en revanche été protégée, et sauvée, par les sœurs d'une école catholique. Cela nous rappelle l'action humaniste de Monseigneur Rémond, évêque de Nice, qui, avec l'aide du clergé de sa région, a sauvé tant d'enfants juifs entre 1943 et 1944. 

Avec une dignité et une précision exceptionnelles, chacun de ces témoins-survivants nous fait découvrir les fractures internes de son pays, et les conséquences qu'elles ont eues sur eux et sur leurs familles. Le témoignage si apaisé de la magnifique nonagénaire Liliana Segre, en particulier, m'a touché au cœur. 

Ce film nous rappelle les horreurs que les Fascistes fanatisés ont commises, mais aussi, comme ailleurs, l'aide qui a été apportée par des gens ordinaires : tel ce médecin qui soigna et sauva l'un de ces enfants juifs, alors que lui-même suivait le Duce...   

On y entend la souffrance de familles aisées, peu religieuses, voire non pratiquantes, très bien intégrées socialement, qui se sont soudain trouvées dépossédées de tout ce qui était leur quotidien. Comme ailleurs, me direz-vous ? Certes, mais les Juifs italiens pouvaient encore moins que ceux des autres pays croire à cette trahison : ils vivaient en paix avec leurs voisins sur ce sol depuis l'Empire romain, et même avant

Grâce  à ces témoignages, et à la technique maîtrisée du docu-fiction (qui introduit des acteurs pour illustrer la narration au passé),  on comprend mieux les ressorts de la tragédie qui s'abattit sur les Juifs italiens en 1943 – l'année où les Alliés débarquèrent en Sicile, mais où fut proclamée l'infâme République de Salò

(Et là, je me permets de vous renvoyer vers mon dernier roman, "Creuse la terre, creuse le temps", qui revient en détail sur cette longue libération de la botte italienne.)  

La chasse aux Juifs italiens s'intensifia dès lors, pour atteindre le nombre de 7750 déportés, dont très peu revinrent des camps de la mort. 

Parmi eux, il y avait 776 enfants. Seuls 25 ont survécu...

Les quatre survivants qui figurent dans ce documentaire sont filmés avec autant de délicatesse que d'intelligence. Les réalisateurs, Francesco Miccichè et Marco Spagnoli, ont su éviter la plupart des facilités et clichés souvent inhérents à ce genre de travail.  

Le résultat est à la fois instructif et touchant. Inhabituel aussi, car très positif, voire optimiste, dans son message ultime. Il serait donc vraiment judicieux de le faire découvrir à un public jeune. 

Ce documentaire n'est, hélas, disponible que sur Netflix,  mais si vous pouvez y avoir accès, n'hésitez pas à le placer parmi vos favoris : il le mérite, même si en parcourant la toile on ne voit que peu d'articles le concernant. 

Eh bien voilà, on dirait que j'y ai en partie remédié, non ?

À vos écrans, et à bientôt !

 

Plus d'infos, en italien, à lire ICI

L'image ci-dessous provient de ce même site.


Et ici, une interview de Liliana Segre. Nommée sénatrice à vie en Italie, elle subit encore aujourd'hui des attaques antisémites, et doit vivre sous protection policière...