Non, ce n'est pas de moi dont il va être question dans ce billet (même si...) mais d'un livre étonnant, qui m'a renversée, éblouie, et émue tout du long de sa lecture.
LE PROFESSEUR D'ANGLAIS est le premier roman de Mathieu Pieyre, dont je ne sais pas grand chose, sinon qu'il vit à Nice. Ces détails étant mentionnés sur la 4ème de couverture, ils sont sûrement importants, en tout cas, ils le sont pour l'auteure et la Niçoise que je suis.
Publié aux Éditions Arlea, dans la collection "La rencontre" dont l'éditrice, Anne Bourguignon, annonce avec pertinence que "la rencontre est une histoire qui nous appartient".
De fait, la rencontre ouvre ce livre, avec un retour sur images, en quelque sorte, lorsque le narrateur retourne dans le lycée parisien où il fut élève, pour faire semblant d'y voter, mais en réalité pour y retrouver les souvenirs attachés à son ancien professeur d'anglais, Monsieur Wilder, qu'il nous présente d'entrée de jeu.
On apprend donc d'emblée que Monsieur Wilder était jeune, à quoi il ressemblait, et qu'il est mort jeune, trop jeune ; on comprend le charme et la séduction qu'il a exercés sur l'auteur, l'impact sur ce dernier de son nom, Wilder, évocateur de Billy Wilder, d'Oscar Wilde, et bien entendu de wild "plus wilde que wild" – autrement dit, que ce professeur d'anglais était un homme libre.
Dès le premier chapitre le narrateur évoque "un enchantement", "des souvenirs heureux d'une époque insouciante", "la mémoire qui relâche une parcelle d'affection comprimée par le temps"... et nous informe qu'il est demeuré toute sa vie l'élève de ce professeur-là, qui fut pour lui un homme hors du commun.
L'élève, devenu à son tour un adulte achevé, entraîne ensuite ses lecteurs (et lectrices) dans sa recherche du temps passé au lycée, pendant les cours d'anglais de Monsieur Wilder.
L'auteur ne parle guère de lui-même, on ne sait rien de sa famille, de son domicile, de ses autres activités (en dehors de la musique et du cinéma) mais, à mesure que son récit avance, on comprend (presque) tout de lui, alors même que c'est de son professeur dont il est question au long des pages... Tant il est vrai que l'on se révèle davantage, et ici de manière bien plus poétique, en portant un regard sur les autres qu'en faisant preuve de nombrilisme.
Chacune des 149 pages de ce roman s'imprime en nous au fil de la lecture, ce qui est tout de même assez rare : Le rapport privilégié, mais jamais ambigu, que Monsieur Wilder établit avec certains de ses élèves. L'impact sur le narrateur de détails, tels une montre portée au poignet droit, au lieu du gauche, d'un livre essentiel, prêté, jamais rendu, dont l'élève devient en quelque sorte le légataire universel. Les multiples références et citations littéraires, tellement riches. Et, tout du long, la place de la langue anglaise, telle que Monsieur Wilder choisissait de l'enseigner, avec des méthodes à la fois très traditionnelles (quoi, le vieux manuel bleu dit "le Carpentier-Fialip" sévissait encore à Paris à la fin des années 70 ?) et totalement novatrices, dans un établissement que les remous de mai 68 ne semblaient guère avoir touché.
Pour preuves, son art de la transmission, de la citation pertinente. Son lancer de craie, pour rappeler un étourdi à l'ordre. Le jeu avec et sur les mots, sa manière de les faire retenir à ses élèves. L'importance d'avoir un choix, et de savoir choisir. Autant de détails infimes, montés comme des bijoux par le narrateur, bien des années plus tard, avec pour fils conducteurs sa mémoire et son talent d'écrivain.
Dans une deuxième partie, très originale, forte, et émouvante, l'auteur explore le passé, avec les talents d'un détective, à la recherche de ce temps perdu (aux deux sens du terme). En demeure la place du livre, et de l'écrit. Celle des citations y est encore plus pertinente.
Je ne saurais en dire davantage, ce serait en spoiler la fin ! J'ajouterai seulement que ce court roman a touché en moi, non seulement l'élève qui se remémore grâce à lui un professeur qui l'a marquée, mais aussi le professeur d'anglais que je fus, qui a tenté tout au long de sa carrière de transmettre, non seulement une langue, mais l'amour de celle-ci, ses nuances, sa richesse, tout en attisant la curiosité et la capacité d'apprentissage de ses élèves. Ce métier est magique. Il est dur, et épuisant, mais si gratifiant ! Mathieu Pieyre en a cerné toutes les nuances, toute la magie, vues du côté de l'élève et de l'adulte qu'il est devenu grâce à l'influence ensorcelante, mais bénéfique, de Monsieur Wilder. Quel bel hommage à la profession, quelle transmission à l'intention des plus jeunes !
Il y aurait encore beaucoup à écrire sur la richesse linguistique de ce livre ; sur ses références littéraires qui incitent le lecteur ou la lectrice à effectuer des recherches à leur sujet ; sur l'émotion contenue du récitant (le terme me paraît ici approprié pour maintes raisons) ; sur la place essentielle que peuvent avoir les livres dans notre vie... mais ce serait bien trop long pour ce petit billet. Je conclurai donc en citant le graffiti reproduit page 149 : "There is more in life than you can find in books, but not much more".
("La vie offre plus que ce que l'on trouve dans les livres. Mais pas tellement plus.")
Alors, cherchez, lisez, lisez, lisez, et offrez ce bel ouvrage*, faites-le connaître, vous n'en vivrez que mieux !
* Qui me fut offert par ma fille, elle-même angliciste, et que je remercie ici de ce cadeau précieux à maints égards.
* * * * *
Pour ceux et celles qui souhaiteraient lire une quatrième de couverture, la voici :
À l'époque où commence cette histoire, Monsieur Wilder incarnait la fougue, l'impétuosité attachées à sa jeunesse. C'était son premier poste en lycée en France, il venait de passer deux ans en Californie comme lecteur dans une université.
Cela pourrait être (et ça l'est) une déclaration d'amour à la langue anglaise mais ce récit est avant tout un élan d'admiration : l'évocation par un élève de son professeur – rencontre décisive qui modela, presque à son insu, toute sa vie. Au travers de ce portrait, c'est un éloge de la jeunesse et de la vie. Le temps n'efface rien ; il imprime en profondeur ce qui semble fugitif. Et le fantôme qui rôde dans ces pages redevient étonnamment vivant.