Une des questions la plus souvent posée à un créateur est la suivante : « Et vous avez mis combien de temps pour le faire / l’écrire / le peindre ? »
Je dois dire que mon artiste favori la craint, même s’il ne l’avoue pas sur son site :
http://www.lefebvre-linetzky.com/
Pourtant, c’est une bonne question, qui révèle le souci de savoir si le résultat proposé est à la hauteur du temps passé à le produire ; et dans le cas de la peinture, en rapport avec le prix demandé. Les chalands veulent savoir s’ils en auront pour leur argent, si l’auteur de l’œuvre qui leur est proposée a bel et bien sué sang et eau, enfanté dans la douleur en quelque sorte.
Mais la réponse ne peut être si simple. Quand commence le processus de création ? Entre le moment où le livre part chez l’imprimeur, le BAT dûment signé, et le moment où les premiers mots en ont été conçus, combien de temps s’est écoulé ?
Il m’est arrivé de répondre, sous forme de boutade que j’avais mis soixante ans à écrire mon premier livre. Boutade ? Non, pas vraiment. Peut-être même plus longtemps que cela !
« In the beginning », ainsi que nous l'a chanté Dylan Thomas, en parodiant la Genèse, il y a eu WW2.
Ah, je vous entends vous exclamer : Cette sale guerre ne mérite en rien une quelconque reconnaissance. Ne devrait-on pas plutôt en maudire l’évocation même ?
Certes… Sauf que, le fait même d'être né(e) enfant de survivants est un petit miracle en soi, une espèce de bénédiction. On ne peut que se dire : « Si mes parents avaient décidé de dormir dans tel hôtel, cette nuit-là, comme prévu, je ne serais pas là aujourd’hui à écrire ces réflexions » – ni vous, obligés de les lire ! Et à quoi a tenu leur survie ultérieure, je vous le demande ? Rien qu’à une suite de petites décisions semblables qui se sont enchaînées en anneaux magiques pour leur éviter la chute dans le néant. Merci à eux !
Au fond, en lieu et place du Big Bang, il y a eu cette espèce de cataclysme mondial, si puissant, si exceptionnel de barbarie que 70 ans après on en est encore tout secoué. Je me demande si les enfants nés après la Guerre de Cent Ans ont ressenti les mêmes tremblements que nous autres, enfants de la seconde moitié du vingtième siècle. Et si cette stupeur a affecté leurs descendants, autant les nôtres, ainsi que le prouve aujourd’hui la parution de tant d’ouvrages de psychologie sur la question*.
WW2. C’est en anglais que j’ai entamé mes recherches sur la période, qui me fascinait autant qu’elle me terrifiait. J’ai souhaité en savoir plus sur le sort des persécutés, bien entendu, mais aussi sur les combattants alliés, sur les humbles qui les ont accompagnés en tant que brancardiers, manutentionnaires, creuseurs de tunnels, constructeurs de ponts, déblayeurs en tout genre… Les petits, les sans grade - enfin, au début -, m’ont intéressée, et je dois le résultat de mes recherches à ce site :
http://www.royalpioneercorps.co.uk/rpc/index.htm
Une aide précieuse m’a été donnée à maintes reprises par les contributeurs efficaces et passionnés de mon blog préféré en la matière : http://2ndww.blogspot.com
qui m’ont permis de découvrir ce qu’ont été les combats au Moyen-Orient, la libération de la Sicile, la guerre en Italie, autant de sujets que les professeurs d’histoire français n’ont pas le temps d’aborder en général.
Et puis, un jour de 2003, une exposition est arrivée à Nice, organisée par Serge et Beate Klarsfeld. Installée sur un quai de la gare de Nice, elle révélait au grand public les photographies des enfants qui y étaient passés avant d’être déportés vers la Pologne pour ne jamais en revenir.
Cette semaine-là, je me suis portée volontaire pour « tenir » les stands, accueillir les visiteurs, répondre à leurs questions. À la suite de quoi, je n’ai pu qu’adhérer à l’association créée pour perpétuer le souvenir de ces petits innocents massacrés. Elle a pour nom l’AMEJDAM (Association pour la mémoire des enfants juifs déportés des Alpes-Maritimes). Merci à son fondateur, Maurice Winnykamen, et à sa présidente actuelle, Michèle Merowka, militants infatigables de la mémoire. Visitez-en le site !
In the beginning… Je ne réponds pas vraiment à la question « combien de temps… ? » n’est-ce pas ? mais je reconnais que c’est ce travail de fourmi sur cette période si noire, si sombre, si effrayante, qui m’a permis de mettre en mots tout ce qui me hantait depuis si longtemps, et d’en tirer des histoires un peu floues. Je suis persuadée que si vous les avez lues, vous avez su faire le point !
* Outre tous les ouvrages de Boris Cyrulnik, je souhaite citer le travail de Marion Feldman en particulier : Entre trauma et protection : quel devenir pour les enfants juifs cachés en France (1940-1944) ed. Eres.
NB et erratum : Les membres fondateurs de l'AMEJDAM sont Maurice Winnykamen et Michèle Merowka.
RépondreSupprimerCathie, nous sommes liees par une memoire partagee de survivantes ou d'enfants de survivants. Penses-tu que pour les Armeniens, par example, le desastre de leur "genocide" s'exprime de la meme facon pour leurs descendants? Il est clair qu'aux Etats-Unis, la generation qui suit celle des refugies de la guerre a en general une conscience assez vague de ce qui s'est passe et ne s'y identifie pas.
RépondreSupprimerY-a-t-il des etudes comparees de survivance? Je n'ai jamais explore le sujet.
Suzanne
Suzanne, pour les Arméniens je crois savoir que leur conscience du génocide est toujours très vive, et qu'ils agissent politiquement pour que la Turquie reconnaisse sa responsabilité passée. Cela dit, les massacres remontent à une ou deux générations de plus, et la douleur s'est peut-être un peu estompée. C'est un domaine de recherche que je vais explorer, tu me rends curieuse de cela. Je ne serais pas surprise de trouver le même phénomène dans leur communauté, très soudée, que dans la nôtre.
RépondreSupprimerAux USA il y a pourtant eu des quantités d'écrivains de notre génération qui ont manifesté leur sensibilité au problème.
Je pense en particulier à la bande dessinée d'Art Spiegelman, MAUS. Art Spiegelman vient de recevoir un prix à Angoulême pour son travail sur le sujet.
Les Américains sont peut-être moins sensibles à la question parce que l'Amérique est ... loin de l'Europe ! Pas de souvenirs d'occupation, de privations par exemple.
En Angleterre, l'approche des problèmes des survivants a été analysée depuis les années 60, quand en France on était muet sur la question. A ce propos, je signale pour les anglophones le livre de Judith Hassan :
http://www.jkp.com/catalogue/author/1020
Judith qui est psychologue de formation, travaille à présent sur les traumas présents chez la troisième génération !
Je rajoute ce lien pour en savoir plus sur Art Spiegelman :
RépondreSupprimerhttp://jewpop.blogspot.com/2011_01_01_archive.html