En vol

En vol
Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

mardi 26 juillet 2016

ARTISTS vs BARBARIANS & "What's Victor up to"

July 24, 2016.

Ten days, it has been ten days since our city was hit by the terrible attack, and during this time, all we have been able to talk about, at the butcher's, the baker's, the convenience store, the bus stop, on the tram, in cafés, everywhere, is this catastrophe, this carnage that destroyed 84 lives and countless others. And everyone in that period of time has been shocked to find out that they knew someone who knew someone who perished on that fatal night. This is to be expected in a city of 345 000 inhabitants (in winter-time) where everyone knows everyone, or almost. Nice is akin to a village, quite similar to the home of our famous cartoon strip hero, Asterix: fighting hard against the Roman (or national) invader. A southern city, a rebellious one, ferociously attached to its traditions, food and language. Its inhabitants would often sing the city's anthem, Nissa la Bella rather than the Marseillaise, this video shot in NYC vouches for it, but here is the real thing for you. 

The Prom' (as we call it) is stunning, as it always is, on that particular morning of the 24th, and yet walking on it is heart-wrenching, and a hard decision to make: it has taken us ten days. 
To a French person, it feels like walking on someone's grave, giving the same impression we get in English or American grass-covered graveyards. As if someone was going to shout: "Stop walking on my grave, you are giving me the shivers." True, this time, we are the ones who shiver, despite the warm morning sun. 
Slowly, cautiously, we walk the Promenade again. It is ours to regain. There's few people around, and very little noise.   The flowers, candles and stuffed toys that had been placed wherever a victim had fallen have been moved and gathered further east, in two places, near a bandstand that is close to the former Hôtel Ruhl

But suddenly we have to stop, for there, on the pavement, we meet with an unexpected gift. 


The artist at work is called Victor. He is Canadian, as we are first informed by the small flag which is placed near his hat, on the ground, by his few belongings.  
I admire what he is doing, so I ask him a few questions, and learn that he has come all the way from Toronto, hopping on a plane after gathering the money for the flight to come here and share his art with the city in mourning. He arrived in the evening of the 22nd and started painting the next morning at 10am, mindless of jet-lag. 
He kneels on a kind of cushion as he paints (the surface is hard!) and his work progresses well. Curves and small hearts in the colors of the French flag are filled in, one after the other. What he is actually decorating are the letters of the word COURAGE. Later, he tells me, he will proceed by writing and drawing the word LOVE and add next to it the names of all the victims of the deadly attack. 



While he is not asking for anything, some thankfully leave a coin or two in his small hat. I have interrupted his work for a few minutes, but now he is back at it, mindless of the world around him. I like the name given to his "production": "What's Victor up to?", coined by his mom, no doubt awed by this amazing son. 




The bright colors of his drawing give a new life to that sorry pavement. People stop and watch, and admire the work. As we do, they take pictures, before pursuing their mournful walk - maybe with a little more courage. 






You may see the Niçois flag in this photo.

Further along, right next to the bandstand that is covered in and surrounded by more flowers, candles, wreaths, flags, drawings, hand-written notes of all kinds and teddy bears of all sizes, there is a group of young children. Like Victor, they are kneeling on the ground (if without any cushion!) and very busy drawing their message of love and compassion on a very large sheet of paper that is probably going to be posted somewhere when completed. They chatter in soft voices, surrounded by encouraging adults. 

Once more, it seems to me that only art and artists can save us from the barbarians. Even if the conjunction of such talents will not bring the victims back, for a fleeting moment, I like to think that their souls will have been given some of their colors back. 

May they all rest in peace. 




Most of the photos in this post are those taken by Jacques Lefebvre-Linetzky. I am grateful to him, too. 

PS. July 26. My special informer, Peter Burnett, told me last night that Victor was indeed busy painting the word LOVE, and that he looked pretty worn out. Little wonder. And by the way, we do love Canada!


dimanche 24 juillet 2016

ART VS BARBARIE : Mais que fabrique encore Victor ?

NICE, le 24 juillet 2016.


10 jours. Cela fait 10 jours que notre ville est endeuillée, et pendant cette période, tout ce dont nous avons pu parler, partout, à la boucherie, à l'épicerie du coin, à l'arrêt du bus, dans les bistrots, dans le tram, le bus, partout, partout, c'est de cette catastrophe, cette destruction, cette horreur qui a fauché 84 vies et détruit un nombre incalculable d'autres existences. Et chacun de s'apercevoir qu'il ou elle connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un qui a péri. Forcément. Nous vivons ici, et la ville n'est pas si énorme, juste 345 000 habitants (en hiver !). Un village, où tout le monde connaît tout le monde ou presque. Une ville semblable, dans sa résistance, au village gaulois d'Astérix et d'Obélix. Rebelle, et atypique, ainsi que le révèle la réaction de ses habitants face à cet attentat. On y chante aussi volontiers Nissa la Bella que la Marseillaise. Écoutez, même à New-York, on s'en est aperçu !

La Prom' est éblouissante, identique à elle-même, et pourtant on ose à peine la fouler. J'ai moi-même mis tout ce temps (à l'exception d'une incursion méridienne, lors de la minute de silence au kiosque à musique) avant d'envisager d'y marcher à nouveau. 

mardi 5 juillet 2016

ELIE WIESEL, LA VOIX LUMINEUSE DE L’INDICIBLE

 Elie Wiesel à Yad Vashem, le 18 décembre 1986. 
Photo ©Sven Nackstrand / AFP
Image prise sur ce site.  


Il nous a quittés, et malgré le bruit des media à son sujet, c’est le silence qui s’abat sur nous.

Le silence qu’il a tenté de conjurer en révélant, année après année, sous diverses formes, en plusieurs langues, mais d'abord en français, le trauma inconcevable qu’il a vécu à un âge où un jeune garçon ne devrait penser qu’à la légèreté.
Il a crié toute sa vie cette blessure, cette injustice, cet arrachement au monde de l’innocence, mais aussi la culpabilité d’avoir survécu.
À son corps défendant, il a écrit ce qui ne peut se dire, et nous l’avons lu.

Il a refusé d’enfouir l’horreur en lui, au point d’écrire un livre intitulé « L’oublié » dont le héros, sentant qu’il perd peu à peu la mémoire, tente de transmettre son passé à son fils – pour lutter contre le danger car, dit son auteur, « si on se soumet à l’oubli, on se soumet à la négation de l’histoire ». De lui aussi, cette phrase qui m’est particulièrement chère : « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli. »



Avec constance, Elie Wiesel nous a mis en garde – et ceci bien avant que ne resurgisse la menace –, contre la dérive de ceux, haineux, qui, immanquablement prennent les Juifs pour cible.
Il nous a enjoint de nous méfier, de garder les yeux ouverts, lui qui éclairait notre chemin de vie de sa bonté, de sa bienveillance et qui, tel un berger, se méfiait du loup qui ne dort que d’un œil.

Son cœur et son corps l’ont lâché au moment où, à nouveau, le péril revient, sous une autre forme, mais identique à lui-même, au fond. Le survivant a-t-il fini par être usé par ses efforts, ou épuisé de s’apercevoir qu’il avait raison, depuis toujours ?

Moi-même, ayant entendu ce grand homme, déjà présent sur ce petit écran d’alors – en 1970, très exactement –, exprimer son inquiétude face au rejet inéluctable et quasi-instinctif de certains envers les nôtres, je lui avais écrit pour lui exprimer ma confiance naïve (celle d’une encore gamine) envers ses contemporains : jamais aucune marque d’antisémitisme ne m’avait été manifestée nulle part, ni à moi, ni à mon entourage. J’étais sereine. La France était tolérante, les années soixante, douces d’ouverture aux autres, aux mélanges des cultures, et le diable semblait enfermé à jamais dans sa boîte.

Miracle : Depuis les États-Unis, Elie Wiesel avait répondu à ma missive. Non pour argumenter, non pour nier ce qui avait été rédigé en trois longues pages. Rien que quelques mots manuscrits, précieusement gardés : « Vous avez bien fait de m’écrire. J’aime la spontanéité ».

J’ai bien sûr continué de l’écouter, et d’admirer sa foi en l’homme. Son combat contre tous les autres crimes contre l’humanité n’a jamais cessé. Au plus proche des jeunes qu'il savait toucher de sa grâce, il ne s'est jamais tu.

Des années plus tard, l’enseignante enthousiaste que je suis ensuite devenue, n’a éprouvé aucune surprise en entendant Elie Wiesel exprimer son amour de l’enseignement, de l’étude, et sa gratitude envers la vie qui lui avait permis de rencontrer l’amour, et de transmettre longuement à un fils ce que lui même n’avait reçu que trop peu de temps.

Porteur d’étincelle. Voilà la définition qu’Élie Wiesel donnait de sa mission sur terre. On peut l’entendre en parler ici. Émotion garantie. 

Nous, membres de l’AMEJDAM, qui tentons à notre modeste niveau de conserver vivant le souvenir des enfants disparus au temps de la Shoah, ne pouvons que nous sentir les enfants de cet homme-là, qui fut l’un des premiers à ouvrir la voie du travail de mémoire. 

Alors, bien sûr, nous n’entendrons plus en direct sa voix grave et lumineuse, son accent mélodieux, ses allusions, ses sages déclarations. Nous ne verrons plus ses sourires chargés d'implicite, ses clins d’œil malicieux. Tout ceci nous manquera aussi. Nous avons perdu un protecteur, un éclaireur – un parent, en quelque sorte. Mais une chose est certaine : la lumière de son esprit ne saura pas davantage s’éteindre que le feu de la réflexion et de la tolérance qu’il a su allumer en nous. 



Thank you, Sir. May you rest in peace.