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Il nous a
quittés, et malgré le bruit des media à son sujet, c’est le silence qui s’abat sur nous.
Le
silence qu’il a tenté de conjurer en révélant, année après année,
sous diverses formes, en plusieurs langues, mais d'abord en français, le trauma inconcevable qu’il a
vécu à un âge où un jeune garçon ne devrait penser qu’à la légèreté.
Il a crié
toute sa vie cette blessure, cette injustice, cet arrachement au monde de
l’innocence, mais aussi la culpabilité d’avoir survécu.
À son
corps défendant, il a écrit ce qui ne peut se dire, et nous l’avons lu.
Il a
refusé d’enfouir l’horreur en lui, au point d’écrire un livre intitulé « L’oublié » dont le héros, sentant
qu’il perd peu à peu la mémoire, tente de transmettre son passé à son fils –
pour lutter contre le danger car, dit son auteur, « si on se soumet à
l’oubli, on se soumet à la négation de l’histoire ». De lui aussi, cette
phrase qui m’est particulièrement chère : « Le bourreau tue toujours deux
fois, la seconde fois par l’oubli. »
Avec
constance, Elie Wiesel nous a mis en garde – et ceci bien avant que ne
resurgisse la menace –, contre la dérive de ceux, haineux, qui, immanquablement prennent les Juifs pour cible.
Il nous a
enjoint de nous méfier, de garder les yeux ouverts, lui qui éclairait notre
chemin de vie de sa bonté, de sa bienveillance et qui, tel un berger, se
méfiait du loup qui ne dort que d’un œil.
Son cœur
et son corps l’ont lâché au moment où, à nouveau, le péril revient, sous une
autre forme, mais identique à lui-même, au fond. Le survivant a-t-il fini par
être usé par ses efforts, ou épuisé de s’apercevoir qu’il avait raison, depuis toujours ?
Moi-même, ayant entendu ce grand homme, déjà présent sur ce petit écran d’alors – en 1970, très exactement –, exprimer son inquiétude face au rejet
inéluctable et quasi-instinctif de certains envers les nôtres, je lui avais
écrit pour lui exprimer ma confiance naïve (celle d’une encore gamine) envers
ses contemporains : jamais aucune marque d’antisémitisme ne m’avait été
manifestée nulle part, ni à moi, ni à mon entourage. J’étais sereine. La France
était tolérante, les années soixante, douces d’ouverture aux autres, aux
mélanges des cultures, et le diable semblait enfermé à jamais dans sa boîte.
Miracle : Depuis les États-Unis, Elie Wiesel avait répondu à ma missive. Non pour argumenter, non pour nier ce qui avait été rédigé en trois longues pages. Rien que quelques mots manuscrits, précieusement gardés : « Vous avez bien fait de m’écrire. J’aime la spontanéité ».
J’ai bien sûr continué de l’écouter, et d’admirer sa foi en l’homme. Son combat contre tous les autres crimes contre l’humanité n’a jamais cessé. Au plus proche des jeunes qu'il savait toucher de sa grâce, il ne s'est jamais tu.
Des
années plus tard, l’enseignante enthousiaste que je suis ensuite devenue, n’a
éprouvé aucune surprise en entendant Elie Wiesel exprimer son amour de
l’enseignement, de l’étude, et sa gratitude
envers la vie qui lui avait permis de rencontrer l’amour, et de transmettre
longuement à un fils ce que lui même n’avait reçu que trop peu de temps.
Porteur
d’étincelle. Voilà la définition qu’Élie Wiesel donnait de sa mission sur terre.
On peut l’entendre en parler ici. Émotion garantie.
Nous, membres de l’AMEJDAM, qui tentons à notre modeste niveau de conserver vivant le souvenir des
enfants disparus au temps de la Shoah, ne pouvons que nous sentir les
enfants de cet homme-là, qui fut l’un des premiers à ouvrir la voie du travail
de mémoire.
Alors,
bien sûr, nous n’entendrons plus en direct sa voix grave et lumineuse, son accent mélodieux,
ses allusions, ses sages déclarations. Nous ne verrons plus ses sourires chargés d'implicite, ses clins
d’œil malicieux. Tout ceci nous manquera aussi. Nous avons perdu un protecteur, un
éclaireur – un parent, en quelque sorte. Mais une chose est certaine : la
lumière de son esprit ne saura pas davantage s’éteindre que le feu de la
réflexion et de la tolérance qu’il a su allumer en nous.
Thank you, Sir. May you rest in peace.
Ton témoignage est bouleversant, chère Cathie, et aussi lumineux que celui qui fut pour toi (et pour nous tous) porteur de lumière, Élie, Élie, comme le prophète de Haïfa et du mont Carmel. Mais cet Éli ne nous a pas abandonnés. Il reste présent parmi nous, et son verbe est en nous : tu le dis bien mieux que je ne puis l'exprimer.
RépondreSupprimerMerci, Catheine et merci M. Elie Wiesel pour votre vie et l'œuvre de votre vie.
RépondreSupprimerLe silence ? Jamais ! Il va continuer à nous parler.
« La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté »
[Discours de remise du prix Nobel de la Paix, 10 décembre 1986].
Parmi les concerts de louanges des grands, il est des voix plus humbles, plus discrètes qui savent en peu de mots parler vrai et faire résonner d'autres voix essentielles.
RépondreSupprimerMerci Cathie pour cet hommage qui vient du coeur et nous touche.
Je t'embrasse
Colette
On ne saurait mieux dire que ce très bel hommage. Merci Cathie
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