La saison en est revenue. C’est fin janvier, début
février que l’on trouve sur les arbres, ou sur le marché, cette variété étrange
d’orange, appelée « bigarade ».
Au fil de ses voyages, de la Perse au Portugal, en passant par l'Egypte et la Sicile, Jérusalem et Séville, l’orange
amère a su faire provision d’influences croisées, toutes aussi séduisantes les
unes que les autres.
Souvent encore bigarrée de vert, elle est belle à regarder, même si sa peau grumeleuse fait penser à de la peau d’orange – douce !
Elle ne se mange pas « au couteau », sa chair étant violente d’amertume, comme son nom l’indique.
Si personne n’avait imaginé de la confire dans du
sucre, elle irait sans doute droit à sa perte, ou bien demeurerait sur sa
branche, telle une boule de Noël oubliée sur un sapin.
Mais voilà que la coquine se laisse adoucir par un
bain chaud. Il suffit de savoir la prendre pour pouvoir la dévorer !
Chaque année je m’en empare donc et, ainsi que je
l’ai raconté dans Recettes à la vie, à l’amour, j’en récupère le jus et les pépins, je tranche finement son écorce, et
entame les trois jours de macération, et de cuisson, qui verront sa
transformation en une savoureuse gelée dorée, souple et croquante à la fois.
C’est sûr, il en faut plus d’une : plutôt un
bon kilo, et donc ce sont autant de fruits qui, outre le plaisir qu’ils
procureront à certains, échapperont à la pourriture, ou à la poubelle !
Ce qui m’interpelle, précisément, c’est cette
alternance – si semblable à la vraie vie – d’amertume et de douceur, de beauté et de laideur.
De fait, un coup on souffre, on tremble, on se
révolte, on a les dents agacées. Le monde est fou, on y tue des innocents.
Vous gémissez de chagrin.
L’instant d’après, ou inversement, c’est un nuage
de bonheur qui vous envahit lorsque vous apprenez (allez, au hasard !) une
merveilleuse nouvelle.
Les deux émotions se superposent, chacune avec sa
force propre, tout comme dans une pièce de Shakespeare, où la comédie succède naturellement à la
tragédie.
La vie est ainsi tissée de drames et de bonheurs entremêlés.
Mettez en bouche une lichette de marmelade
d’oranges amères et vous ne saurez pas davantage quelle sensation domine
vraiment : l'amer ou le sucré ?
Qu'en est-il de ceux et celles qui n’aiment pas cette
confiserie ?
La vie, pour eux, n'est-elle que quelques tranches d’orange douce, suivies par une giclée de jus de citron vert ?
Si c'est le cas, leur expérience doit s’apparenter au
théâtre à la française : non au mélange des genres, oui aux trois parties,
à l’unité de temps, de lieu, et d’action. Soyons logiques, que diable !
But of
course, personnellement je reste
fidèle à la touchante et délirante poésie de William. Et à l’humour de James Bond.
Car devinez quels sont ceux qui demeurent les plus
grands amateurs de marmelade d’oranges amères au monde ?
Les Britanniques bien sûr !
Si ça, ce n’est pas un argument…
À tout hasard, j'en rajoute un dernier : des hommes en assassinent d'autres au nom d'une foi douteuse, la menace est sur nos têtes, au coin de notre rue même. Dans ce contexte, confectionner des douceurs, comme si de rien n'était, est sans doute une forme achevée d'auto-protection.
Ranger des bocaux dûment étiquetées dans un placard de cuisine, ou les offrir à des amateurs, voilà qui rassure bien davantage que les armes les plus sophistiquées. Malgré les frimas, l'hiver nous paraîtra clément.
La terre brûle peut-être, mais cela ne remettra en cause ni cette marmelade, ni nos traditions familiales.
Qu'on se le dise !
Jours 1 & 2
Jour 3.
ET VOILÀ !
NB. Amis anglophones, vous aimerez lire ceci.
Pour en savoir plus sur le recueil ci-dessus, lire ceci.
La différence entre confiture et marmelade s'y trouve également expliquée et, bien entendu, LA recette y figure.