C’est quoi cette mode là ?
Quelle que soit l’heure à laquelle vous allumez la radio, ou la télé, vous
tombez sur une pub qui vante une marque de vérandas. Naturellement, notre
Stéphane Bern national se fait le chantre de celle qu’il nomme « La Reine
des vérandas ». Mais il n’y a pas que lui. Et dans la rue, il arrive
maintenant que l’on croise des camions luxueux, qui portent sur leurs flancs le
nom de la maison qu’ils représentent.
À croire que tous les Français vivent
dans une maison individuelle, à laquelle il manque quelques mètres carrés
(moins de 20, tout de même ; sinon il leur faudrait demander un permis de
construire) et que tous se sont donné le mot pour la flanquer de cette
structure qui leur permettra de profiter à leur aise du moindre rayon de soleil.
Surtout ailleurs que dans le Midi, où il faudra d’urgence la climatiser si l’on
ne souhaite pas la voir transformée en serre et soi-même en pain grillé. Certes,
cet ajout de surface habitable est un plus, y compris pour les foyers les moins
fortunés.
Cependant, l’angle publicitaire choisi
pour la vendre a du sens, si l’on se réfère à l’Histoire. La véranda est née en Inde,
d’où les Anglais ont rapporté le nom (que l’on peut écrire avec un « h »
final) et le concept dans leurs bagages, afin d’admirer, en toute saison, la
vue de leur impeccable vert gazon, n’est-il pas ? À noter qu’en Inde, elle
n’était pas enclose de parois vitrées, forcément. C’était une sorte de galerie qui permettait de se protéger des intempéries avant de sortir ou d’entrer dans
le bâtiment principal. On en retrouve le même principe dans de nombreux pays, dont
l’Australie, le Brésil, la Pologne et le sud des États-Unis, bien entendu.
En un temps révolu, outre-Manche et
ailleurs en Europe, les nantis jouissaient d’un jardin d’hiver, dans lequel s’épanouissaient
des palmiers et autres plantes tropicales. Les maîtres de maison s’y faisaient
servir le thé ou le café, tandis qu’ils paressaient dans de ravissants
fauteuils en rotin. Le coût du chauffage ne leur posait pas de problème et la
véranda était en quelque sorte un signe extérieur de richesse… on pourrait même
dire d’aristocratie.
Et là, il me revient une histoire
juive un peu grivoise, mais je n’en prenais pas toute la mesure lorsque, encore
adolescente, j’écoutais mon père me la raconter, en s’esclaffant très fort,
comme il le faisait souvent de ses propres blagues.
Il faut donc que je la consigne ici,
car elle illustre à merveille mon propos.
Schmuel est parti à la ville. Il a
quitté son shtetl* natal, laissant sa
famille sans nouvelles. Le bruit court pourtant qu’il a fort bien réussi dans
ses affaires, ainsi que le rapporte à son frère Isaac, un ami qui est allé lui
rendre visite récemment.
« Il gagne vraiment bien sa vie
maintenant, et si tu voyais sa maison ! »
« Ah bon, et elle est comment sa
maison ? »
« Immense. Pas comme celle qu’il
avait ici, toute noire et enfumée… Il y a un grand salon en bas, une salle à
manger avec de la vaisselle en porcelaine, de la belle argenterie exposée sur un
plateau, un escalier avec un tapis dessus, des barres en cuivre qui le
maintiennent en place, et plein de chambres en haut… »
« Et comment as-tu été reçu ?
Tu as mangé chez lui ? »
« Ah, si tu savais ! Ils ne
mangent plus comme avant, des grieven** ou des harengs sur du pain noir – non, rien
que de la volaille, du pain blanc, des légumes frais, et des fruits… hors
saison ! Il m’a même été servi des cerises, en janvier, tu te rends
compte !
« Magnifique, magnifique… mais les cerises, tu sais, nous, on les a déjà eues en juin... Enfin, cela doit être du travail pour sa femme, tout ça, non ? »
« Mais non, ils ont une quantité
de domestiques, qui ont leur étage à eux, en haut de la maison… Pas comme
avant, quand c’était sa femme qui trimait pour les autres. Maintenant, c'est lui qui travaille dur ! »
« Oy, mais s’il travaille autant, il
ne doit pas avoir le temps de se reposer, ni d’en profiter, si ? »
« Détrompe-toi ! Je lui ai
posé la question, comment il organise ses journées, et voilà ce qu’il m’a
répondu : Le matin, je me lève, je
prends mon petit déjeuner, et ensuite je vais me recoucher un moment sur ma
petite vérandah. À midi, je rentre déjeuner, et après, je retourne me coucher
un moment sur ma jolie vérandah… Et même le soir avant le dîner, quand j’ai fini de travailler, je
prends le temps d’aller me coucher un petit moment sur ma vérandah… »
Là, Isaac interrompt son ami :
« Vérandah ? Ce Schmuel, quand même, quel snob il est devenu. Même le
prénom de sa femme, il a cru bon de lui faire changer. Ici, il ne nous la fera pas – tout le monde sait qu’elle
s’appelle Sarah ! »
Voilà qui jette une autre lumière sur
la fureur actuelle pour cet appendice architectural, au demeurant pas toujours
très harmonieux. En adoptant la "Vérand'Attitude" (sic) prônée par un autre fabricant, nos contemporains s'imaginent peut-être acquérir un lieu de licence amoureuse, sur lequel ils règneront en rois ? Ah, le rêve, le rêve... c'est bien toujours ce qui fait vendre !
*Shtetl :
ville ou village peuplé de Juifs, lorsqu’interdiction était faite à ceux-ci de
s’installer ailleurs dans le pays (Pologne, Russie et autres terres
accueillantes – pour les autres)
**Grieven :
une sorte de grattons, faite d’oignons frits dans de la graisse de poule (schmaltz).
Pour en savoir plus sur ce contexte, il
suffit, bien évidemment, de lire HARENG : Une histoire d'amour, ou EUGÈNE FIDLER - Terres mêlées.
On a ben ri !!! En plus on ne la connaissait pas cette histoire racontée par papa ! 😁
RépondreSupprimermoi aussi j'ai bien ri, elle est très gentille !
RépondreSupprimercela dit c'est un hasard qui m'amène : LE GOUFFRE AUX CHIMERES de Billy Wilder est ressorti en copie neuve ce mercredi -- film rarissime que je n'ai vu qu'une autre fois au cinéma... et pour la première fois au lycée à Thiers (PdD), quand Cathie Fidler, jeune agrégée d'anglais, portait un autre nom. Brusque remontée de (sacrés) souvenirs, "fond memories" du temps où nos profs (porte ouverte sur le monde) déployaient des trésors d'ingéniosité pour contourner les directives d'un ministère toujours éternellement borné. ah le voyage aux USA, la Spanish moss fonbant des arbres du grand sud, façon Midnight in the garden of good and evil, et puis Citizen Kane, Macbeth du même Orson, et j'en passe. Sonia et le petit frère doivent avoir franchi la quarantaine. j'étais attentif et fasciné comme un ado maladroit (chacun les tares de son âge). tout reste présent comme si c'était hier (le pigeonnier de la rue Lasteyras, l'épicerie Touzet-Pinay, la maison du Moutier près l'église), même quand les sujets intimes étaient plus allusifs. et donc j'avais en trace le nom de papa... vive internet ! jean françois guérin
Surtout, surtout, Jean-François, donnez-moi vos coordonnées ici, que je ne publierai pas. Ou alors en mp sur ma page Facebook. Je suis très heureuse de vous lire, et souhaiterais vivement vous parler (pour savoir aussi comment vous m'avez retrouvée !!!) À très bientôt, et oui, vive la toile !
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