Aujourd'hui, Gratitude a le plaisir de publier l'interview que Michèle Kahn a accepté de lui donner, pour éclairer son dernier roman. La voici.
Bonjour Michèle Kahn, et merci d’accorder cette interview à Gratitude. Votre dernier roman, Loin de Sils Maria, vient de paraître aux Éditions Le Passage, et je suis curieuse d’en savoir davantage sur ses secrets de fabrication. Je sais que les confiseurs ne donnent pas volontiers leurs recettes, mais je compte sur vous pour nous donner quelques facettes cachées de ce roman.
Alors tout d’abord, ce roman historique, fondé sur une histoire vraie, nous fait découvrir le parcours incroyable de Johann Josty, petit gardien de chèvres suisse, devenu empereur de la confiserie, à Berlin, où existe encore le fameux Café Josty.
On vous savait gourmande de chocolat, depuis notre découverte de CACAO, qui retraçait l’histoire de l’arrivée de cette fève en France, à Bayonne, grâce aux talents conjugués des membres d’une famille juive. Mais pourquoi cette passion pour ce héros-là, et qu’est-ce qui a déclenché votre désir de raconter sa vie ?
Eh bien, c’est de l’avoir découverte… C’est à dire que je suis allée à Sils Maria et l’hôtel où j’étais, l’hôtel Margna était un écrin, un petit palais rose surmonté d’un clocheton, et j’ai questionné le directeur sur l’origine de cette maison. Et là, il m’a révélé l’histoire de Johann Josty, mais par bribes, il a fallu lui tirer les vers du nez et cela m’a pris plusieurs années. Même si les premières années, je n’y ai pas mis toute l’énergie nécessaire parce que je travaillais sur d’autres sujets… mais quand j’ai été décidée à écrire cette histoire, je ne l’ai plus lâchée.
L’Hôtel Margna, dans la maison construite en 1817
par Johann Josty à Sils Maria,
le village où ont séjourné
de nombreux artistes et écrivains,
tels que Proust et Nietzsche...
Et pourquoi cet endroit-là, Sils Maria ? J’avoue avoir tout ignoré de ce village suisse de la vallée de l'Engadine. Pouvez-vous tout d’abord nous dire quelques mots de ce lieu, qui a accueilli de nombreuses personnalités depuis le 19èmesiècle ? Vous est-il familier ?
Nous faisions tous les ans du ski de fond dans cette région, et un jour un ami nous a donné rendez-vous à Sils Maria. Et là on s’est aperçu de l’existence de cet hôtel donnant carrément sur les pistes, ce qui change tout pour des skieurs, plus besoin de prendre la voiture, ni un train... Avec un couple d’amis on s’était donné rendez-vous sur le lac, et il a commencé à faire très mauvais, et notre amie a dit "et si on allait à l’hôtel Margna, le strudel arrive à 14:00". On s’est précipités, et le strudel était délicieux !
Nous faisions tous les ans du ski de fond dans cette région, et un jour un ami nous a donné rendez-vous à Sils Maria. Et là on s’est aperçu de l’existence de cet hôtel donnant carrément sur les pistes, ce qui change tout pour des skieurs, plus besoin de prendre la voiture, ni un train... Avec un couple d’amis on s’était donné rendez-vous sur le lac, et il a commencé à faire très mauvais, et notre amie a dit "et si on allait à l’hôtel Margna, le strudel arrive à 14:00". On s’est précipités, et le strudel était délicieux !
Et voilà qui me touche, car le strudel est une de mes passions ! Et surtout d’apprendre comment la gourmandise peut déclencher l'envie d'écrire un roman. Je comprends mieux votre intérêt pour le lieu d’origine de votre héros. Et je me demande à présent : Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans l’histoire de Johann Josty ? Sa personnalité ? Ou bien son destin en forme d’invraisemblable "success story" ?
C’est très difficile à dire, car quand j’ai appris son histoire, j’ai été happée par le personnage, et tout m’intéressait de lui : son énergie, sa passion, mais aussi son amour des autres. On sent qu’il veut toujours aider les autres, et ça m’a infiniment touchée. Et c’est quelque chose qui ne l’a jamais quitté car tout à fait à la fin, s’il fait construire une maison, c’est aussi pour donner du travail aux villageois et leur permettre d’échapper à la disette. Il se démène, il ne s’épargne pas, il tire sur ses forces, mais il donne. Il veut arriver, mais il garde l’amour des autres au fond de lui.
Ce n’est pas un tueur, comme certains entrepreneurs d’aujourd’hui...
Non, et justement je suis heureuse de raconter, dans cette époque malmenée, une belle histoire vraie.
Sur le plan narratif, si votre roman précédent, Un soir à Sanary, était rédigé sur le mode épistolaire, celui-ci comporte une narratrice omnisciente qui injecte son grain de sel de temps à autre, et informe le lecteur des développements à venir, notamment au plan historique, qu’elle décrit en détail. Cela évoque d’illustres précédents… qui serait votre référence en la matière ? En matière littéraire, s’entend.
Non, pas du tout. Peut-être que j’ai lu quelque chose comme cela, et que c’est resté dans mon inconscient, mais c’est venu en écrivant.
Donc au fur et à mesure, vous avez eu envie d’intervenir, c’est cela ?
Oui, et même, dans un premier jet, je suis intervenue beaucoup plus, et je me suis aperçue après coup que ça nuisait au romanesque, parce que j’intervenais sur des plans techniques par exemple. J’ai donc coupé ces passages pour le manuscrit final.
Au fil du roman, vous donnez des détails extrêmement précis sur le travail de la confiserie, sur les plantes et fruits utilisés par le héros. Vous aviez déjà évoqué la nature de manière aussi précise dans votre roman précédent "Un soir à Sanary". Êtes-vous autant botaniste que gourmande ?
Les premiers livres que j’ai écrits étaient des livres sur les plantes. Des livres pour enfants comme "Une rose m’a raconté", "Un cactus m’a raconté"... ; je suis toujours très intéressée par la flore et la faune. Cela remonte aux années 70.
On l’aura compris, votre roman est extrêmement bien documenté au plan historique également (je dirais, comme toujours). Comment avez-vous eu accès à des archives privées, à des courriers, pour étayer vos recherches sur le parcours de Johann Josty ?
Il y a eu deux choses : il y a un centre d’archives que je cite dans les remerciements où l'on peut trouver des documents, mais aussi, j’ai eu la chance de découvrir le livre écrit par le frère de Johann Josty, qui donne énormément de détails dont je ne me doutais absolument pas, parce que le directeur de l’hôtel ignorait tout de l’existence de ce frère, que j’ai découvert moi-même par le plus merveilleux des hasards.
Il est beaucoup question des guerres napoléoniennes dans ce roman, et on a l’impression que, comme votre héros, vous (ou plutôt la narratrice, en tout cas !) balancez entre admiration et rejet en ce qui concerne Napoléon.
C’est exactement ça. Exactement.
Quel sentiment souhaitez-vous voir dominer chez le lecteur ?
Aucun. J’essaie d’être juste. J’ai quand même une admiration pour les facultés de l’homme, sa vision des choses, mais ensuite je suis beaucoup moins admirative de la façon dont il s’est conduit sur le plan privé, sa façon de mettre toute sa famille sur les trônes d’Europe, et ensuite après la retraite de Russie, quand il a voulu faire repartir des millions de gens à la guerre…
Alors, c’est abouti, puisque c’est exactement le sentiment que l'on éprouve en vous lisant ! Par ailleurs, pour en revenir au thème du roman, je pensais à celui de la gourmandise. Comment avez-vous exploré toutes les techniques dont vous parlez dans le roman, celles de la cuisson du sucre, de la fabrication des pralines, des meringues, des macarons … Sont-elles détaillées dans le livre du frère de Johann Josty, par exemple ?
Non, pas du tout. J’ai effectué des recherches dans des manuels de cuisine de l’époque. J’en ai cité un, mais il y en a beaucoup d’autres… J’ai aussi voulu mettre l’accent sur les différentes techniques utilisées, la lenteur du travail, les nouveaux coups de main qui étaient découverts.
Êtes-vous pâtissière vous-même ?
Alors, c’est un joli tour de force, que ce roman, bluffant. Mais, plus sérieusement, êtes-vous consciente que ce roman donne une superbe leçon de courage, et de travail, à nos contemporains ? Si Johann Josty, un petit gardien de chèvres, a réussi une telle ascension, pourquoi pas eux, maintenant ? Ou bien pensez-vous qu’aujourd’hui la donne est totalement différente, et que ces histoires-là ne peuvent plus se reproduire ?
J’espère qu’elles peuvent se reproduire, et justement comme je suis admirative de ce courage, de cette "énergion" : énergie et passion, j’ai dédié ce livre à mes petits-enfants, Salomé et Joseph, qui ont 18 ans, et qui ont commencé leurs études supérieures, pour leur communiquer cet amour de ce que l’on fait, du travail, et… cet amour de tout, en fait. La passion, et l’énergie. Ne pas s’économiser, ne pas s’épargner.
Des valeurs qui sont toujours d’actualité ?
Elles sont complètement perdues… Peut-être pas par tout le monde, mais ce que je déplore, c’est que ce que l’on voit actuellement soit tellement "égocentré".
Voilà, on aura compris que ce roman érudit s'inscrit bien entre réalité et fiction, puisque vous avez su suppléer les "blancs" de l’histoire et des biographies grâce à votre talent de conteuse ! Merci encore, Michèle Kahn, de nous avoir accordé ce temps, et ces confidences. Et, pour clore ce moment, je souhaite à tous et à toutes une heureuse dégustation de cette friandise littéraire, qui en a déjà séduit plus d'un / d'une !
En cliquant sur ce lien, vous pourrez lire la 4ème de couverture, qui vous en donnera davantage de détails, et envie de découvrir cette aventure hors du commun.
En cliquant sur ce lien, vous pourrez lire la 4ème de couverture, qui vous en donnera davantage de détails, et envie de découvrir cette aventure hors du commun.
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* Voici, en prime, le joli texte que Michèle Kahn a lu sur RCJ dans la rubrique "Le mot du jour" :
"La cuisine et moi entretenons un rapport conflictuel.
Elle prend un temps monstre, et le temps, je préfère le passer à écrire, à lire, à me promener, à voyager.
Certes, je fais à manger, mais je ne cuisine pas.
Je ne mitonne pas. Je ne fais ni bouillir, ni mijoter.
Je ne laisse jamais macérer. Même faire tremper, cela m'agace.
Je ne dore ni ne braise. À la rigueur, je grille.
J'adore manger des restes, car ils sont déjà cuits.
Je garde en mémoire les plats qui faisaient la fierté de ma grand-mère, la joie de la famille.
Ce temps-là est révolu. Il ne m'en reste que la nostalgie.
Et c'est tant mieux.
Contrairement à la vengeance, la nostalgie est un plat qui se mange chaud.
Comme j'ignore les subtilités du four, vive le micro-ondes. Alors lui, je l'ai apprivoisé.
Il me sert même à cuire les compotes et les confitures.
Des préparations que j'aime réaliser, peut-être parce qu'elles défient le temps.
Les compotes réjouissent notre estomac pendant des jours, et les confitures passent aisément l'année.
À chacun sa cuisine."
"La cuisine et moi entretenons un rapport conflictuel.
Elle prend un temps monstre, et le temps, je préfère le passer à écrire, à lire, à me promener, à voyager.
Certes, je fais à manger, mais je ne cuisine pas.
Je ne mitonne pas. Je ne fais ni bouillir, ni mijoter.
Je ne laisse jamais macérer. Même faire tremper, cela m'agace.
Je ne dore ni ne braise. À la rigueur, je grille.
J'adore manger des restes, car ils sont déjà cuits.
Je garde en mémoire les plats qui faisaient la fierté de ma grand-mère, la joie de la famille.
Ce temps-là est révolu. Il ne m'en reste que la nostalgie.
Et c'est tant mieux.
Contrairement à la vengeance, la nostalgie est un plat qui se mange chaud.
Comme j'ignore les subtilités du four, vive le micro-ondes. Alors lui, je l'ai apprivoisé.
Il me sert même à cuire les compotes et les confitures.
Des préparations que j'aime réaliser, peut-être parce qu'elles défient le temps.
Les compotes réjouissent notre estomac pendant des jours, et les confitures passent aisément l'année.
À chacun sa cuisine."
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