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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

samedi 7 juillet 2018

VERS LÀ D'OÙ JE VIENS, de Maurice Couturier.


Les lecteurs anglicistes de ce blog connaissent certainement le Professeur Maurice Couturier pour ses nombreux travaux universitaires, et notamment ceux concernant Vladimir Nabokov, dont il est "le" spécialiste en France, et le traducteur. Les autres savent peut-être qu'il est également, avec son épouse Yvonne, le traducteur de l'écrivain britannique David Lodge

Maurice Couturier a longtemps enseigné la littérature dans le département d'anglais de l'Université de Nice-Sophia-Antipolis.   Son parcours est impressionnant, ainsi qu'on peut le voir en le lisant ici sur wikipedia

Maurice Couturier. 
Photo empruntée au site

Alors, me direz-vous, chers lecteurs et lectrices de Gratitude, pourquoi cet éclairage soudain sur un universitaire dont les compétences multiples sont déjà reconnus de par le monde ?

Eh bien voilà : les meilleurs livres ne sont pas forcément tous  des "best sellers". Ils ne font pas tous l'objet de reportages à la télé. Leurs auteurs ne sont pas toujours publiés par les grandes maisons parisiennes, ni lancés grâce à des campagnes de pub de folie. 

Ces écrivains, pourtant, cèdent encore et encore à la pulsion irrésistible de l'écriture, celle qui vous prend et ne vous lâche pas, jusqu'à ce que les mots soient alignés, ordonnés, lisibles par tous ceux et celles qui auront l'heur de les rencontrer, et ce, grâce à un éditeur perspicace. 

Dernier point  : un traducteur est discret. Son nom est souvent oublié, inconnu du grand public. Il (ou elle) s'en accommode.  Son privilège est de côtoyer pendant des années, jour après jour, un ou plusieurs auteurs d'exception. À les fréquenter, il (ou elle) se laisse en quelque sorte contaminer par leur talent, surtout si le terrain est fertile ! Celui de Maurice Couturier l'est sans conteste, ainsi que vous vous en rendrez compte par vous-même si vous vous plongez dans l'un de ses livres, et en particulier Vers là d'où je viens, que je viens de dévorer – non, plutôt de savourer. Il me fallait donc partager illico ce coup de cœur. 

Est-ce un roman ? Est-ce une biographie ? Est-ce le récit d'un rêve, d'une ultime confession ? Peu importe, car ce texte vous emporte vers là d'où vient son auteur (qui tient bien la promesse de son titre) en remontant le fil des souvenirs d'enfance et des songes de son héros, à mesure que celui-ci, au terme de son existence, cherche à résoudre l'énigme que constitua la disparition mystérieuse de sa mère en 1944. 

L'artifice utilisé est simple : un grand-père écrit un "mémoire" à sa petite-fille, elle-même sur le point de devenir bachelière, afin de lever le voile sur les relations qu'il avait eues avec sa propre mère. Cette petite-fille, Chloë, vient de lire À l'ombre des jeunes filles en fleur" et de découvrir un texte d'Albert Cohen tiré du Livre de ma mère... Joli début. 

Les chapitres s'enchaînent, remontent le temps ; ils font effectuer au lecteur des allers-retours, l'entraînent lors des digressions de l'auteur, suivent avec souplesse le fil de sa mémoire – forcément subjective, surtout lorsqu'il est question de la vie privée de sa mère.

Je ne veux pas ici en dévoiler le mystère, même si l'on se doute assez vite de quoi il retourne. Celui-ci n'est qu'un prétexte, au fond. Ce qui importe, et qui m'a emportée, c'est la beauté de la reconstitution de l'enfance vendéenne du héros ; l'évocation fascinante d'un monde rural, empreint de religion, quasi-primitif, tellement différent de celui, si policé, si laïc et cosmopolite, de ma propre enfance... Si toutefois il ressemble au vôtre, ami lecteur, il ne vous en séduira que davantage. 

Ce qui vous entraîne surtout, au long des pages, c'est l'intelligence du récit : les incursions poétiques, l'explication délicate donnée par l'auteur de certaines citations ou références littéraires  (toujours pertinentes, jamais artificielles, ni  surtout pompeuses) avec, en filigrane,  la présence de l'Histoire, dans une construction faite de cascades, de rencontres, chacune plus poignante que la précédente... 

Nous touche également la description des relations entre un frère et un sœur, suite au décès de leur père. La manière dont ces deux-là se comportent l'un envers l'autre dans la maison familiale, désormais vide de toute parentèle, et dont ils sont les seuls dépositaires est criante de vérité (ce qui est, on le sait, le propre d'un bon roman !). 
Qu'en feront-ils ? La garderont-ils ? La vendront-ils ? Et avant cela, comment la vider ?* Autant de questions que les adultes orphelins sont un jour amenés à se poser, à devoir résoudre, souvent dans l'affrontement et le chagrin... 

Tout du long, l'auteur rend palpable la présence silencieuse de Chloë, la jeune récipiendaire à venir de ce récit, dont le grand-père esseulé nous laisse deviner la sensibilité, et l'amour qu'il lui porte. 

Vous l'aurez compris, ce roman se doit de figurer parmi vos lectures d'été. Il vous fera du bien : sa langue élégante, précise, soignée, vous permettra d'oublier la soupe aguichante que l'on nous vend volontiers, et trop souvent, pour de la littérature. 


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Vers là d'où je viens
de Maurice Couturier
Editions Orizons
13, rue de l'École Polytechnique
75005 - Paris

ISBN : 979-10-309-0079-8 
18 €

Livre disponible ICI
Vous pourrez aussi lire ici une interview de Maurice Couturier, en date de 2016. 

Allez, je vous fais même cadeau de la 4ème de couverture, en version artisanale, pour achever de vous convaincre !




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* Lire aussi à ce sujet le magnifique livre de Lydia Flem : "Comment j'ai vidé la maison de mes parents"






1 commentaire:

  1. Bravo, Cathie ! Vous donnez vraiment envie de lire les livres dont vous parlez!

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