Crédit photo : Jesmar
Image prise sur ce site.
Nous autres Niçois, ainsi que maints visiteurs de la ville, passons régulièrement devant ce lieu, souvent sans vraiment le regarder, et encore moins l'approcher.
Pourtant, c'est à son pied que se déroulent maintes cérémonies du souvenir. C'est là que nous nous sommes réunis par milliers après les attentats contre Charlie Hebdo, en janvier 2015. Entre autres. Il s'agit bien là d'un monument qui appelle la commémoration, et qui, pour cela, requiert la présence des vivants.
Nous voilà sur le point de célébrer le centenaire de la fin de la Grande Guerre, cette boucherie qui a coûté la vie à des millions d'êtres humains, et qui devait être "La der des der". Hélas. Le dernier Poilu a disparu il y a déjà longtemps. À l'époque une minute de silence avait été observée en sa mémoire dans les établissements scolaires : plus personne ne pourrait plus jamais témoigner de ce qu'il avait vu de ces horreurs. Ici, à Nice, reste ce monument.
C'est grâce, encore une fois, au savoir de Mme Véronique Thuin-Chaudon, professeur d'Histoire à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, que mes yeux se sont ouverts sur ce monument dont chaque détail fait sens. Ce billet reprend ce qu'elle a dit, un jour de fin d'été, assise à l'ombre des grands arbres qui l'entourent...
Adossé à la colline du Chateau, ce monument est le plus ... monumental de France : il mesure 32 mètres de hauteur, et 35 mètres de large. De même, il est rarissime d'en voir un qui s'accroche ainsi à la roche d'une colline. De fait, il existait auparavant une carrière à ce même endroit. Des pierres en avaient été extraites longtemps auparavant pour construire la ville. Le vide existait, et ceux qui ont conçu ce monument on donné du sens à ce vide, en le remplaçant par un autre vide, au sens propre comme au sens figuré.
Le choix de ce lieu a été difficile à faire, en son temps, et sujet à polémique. En effet, les citoyens ont été consultés par voie de presse. L'autre lieu retenu était la Place Masséna. Mais pour honorer la mémoire des 3500 Niçois morts au cours de ce conflit, le choix s'est porté sur ce lieu-ci, empreint de calme, propice au recueillement, éloigné de l'agitation du quotidien et, de plus, situé dans un cadre exceptionnel de beauté, face à la mer, et adossé à la colline. Le monument lui-même est cohérent par rapport à l'histoire de Nice et de sa culture. Nice, c'est Nikaïa, la victoire... Les noms qui figurent sur ce monument seront "héroïsés", comme c'était le cas dans la Grèce Antique, où les noms des guerriers morts étaient gravés sur les murailles qui entouraient la ville.
Pour en revenir à son édification, il faut rappeler qu'un concours national eut lieu pour décider de celui qui allait le concevoir. Le lauréat fut Roger Séassal, premier Grand Prix de Rome en 1913, qui – heureux hasard ! – était né à Nice. Au moment où il remporta le concours, il avait 34 ans, et avait lui-même vu la guerre de très près. Il a, en quelque sorte, pu "immortaliser" le souvenir de cette boucherie. Le résultat possède une connotation religieuse, même si la loi sur la séparation de l'Église et de l'État interdisait déjà toute référence de ce type à un monument public. On y voit bien un parvis, et des voûtes qui rappellent celles d'une église romane. Les marches qui y mènent portent chacune l'inscription d'une année : 1914 - 1915 - 1916 - 1917 - 1918. Il ne s'agissait pas de compresser le temps en se contentant de graver 1914-1918. Gravir chacune de ces larges marches est comme monter à l'autel, en prenant le temps de penser au temps écoulé entre les deux dates emblématiques.
Quant à l'inscription qui figure au centre, la voici : "Souvenez-vous des œuvres que vos pères ont accomplies de leur temps et vous recevrez une gloire et un nom immortels." Elle est tirée de la Bible.
L'architecte déploie le temps, nous explique Véronique Thuin-Chaudon. Elle ajoute que le sculpteur – Alfred Janniot – a, lui, évoqué l'humanité de ces soldats grâce aux six stèles qui rappellent leurs noms, et celui des différents corps militaires auxquels ils appartenaient : infanterie, génie, artillerie, aviation, marine, cavalerie.
Le regard est également attiré par deux hauts-reliefs sculptés, à la facture Art déco. Celui de gauche évoque la guerre, celui de droite, la paix...
Dans l'immense urne entourée de colonnades, se trouvent placées, comme dans un tabernacle, les 3665 médailles des Poilus tombés au combat. Il a fallu les demander aux familles endeuillées, qui étaient sans doute réticentes à se défaire de ce dernier souvenir de leur parent mort. En échange, chacune reçut une médaille à l'effigie du monument aux morts, en guise de souvenir.
On note aussi que les noms sont inscrits par ordre alphabétique, avec toutefois mention du corps d'armée auquel appartenait le soldat tué. Entourés de cyprès, symboles d'éternité, tous les éléments sont donnés au passant afin qu'il se souvienne de la gloire de ces martyrs morts pour lui, et qu'ils en deviennent ainsi immortels. Ce jour de notre visite, les platebandes étaient fleuries en bleu, blanc et rouge.
Le monument a coûté cher à édifier. Très cher. Les Niçois ont mis la main à la poche, chacun en fonction de ses moyens. La ville en a fait de même. Et l'État a complété la cagnotte. Achevé en 1927, il fut inauguré en 1928 par le Maréchal Foch.
Inscrit aux "Monuments Historiques", et titulaire du Label "Patrimoine du XXème siècle", il est à présent l'équivalent d'un lieu de culte républicain où sont célébrés ces disparus-là, ainsi que ceux des guerres suivantes.
Pour clore cette passionnante observation, Véronique Thuin-Chaudon, infatigable chercheuse et militante de la paix, nous a confié un détail qu'elle a trouvé sur le site de l'armée française : un nom ne devrait, logiquement, pas figurer sur ce mur : celui de Barthélemy Cristini. Jugé par un tribunal militaire pour "abandon de poste", ce soldat fut fusillé le 27 octobre 1915.
Vous lirez ici le récit de cette triste affaire. La cause du décès qui y est mentionnée est "blessure reçue à l'ennemi"... Plus tard, il fut mentionné "tué à l'ennemi". Et enfin, sur le registre de l'armée on peut lire : "A été passé par les armes".
Inscrit aux "Monuments Historiques", et titulaire du Label "Patrimoine du XXème siècle", il est à présent l'équivalent d'un lieu de culte républicain où sont célébrés ces disparus-là, ainsi que ceux des guerres suivantes.
Pour clore cette passionnante observation, Véronique Thuin-Chaudon, infatigable chercheuse et militante de la paix, nous a confié un détail qu'elle a trouvé sur le site de l'armée française : un nom ne devrait, logiquement, pas figurer sur ce mur : celui de Barthélemy Cristini. Jugé par un tribunal militaire pour "abandon de poste", ce soldat fut fusillé le 27 octobre 1915.
Vous lirez ici le récit de cette triste affaire. La cause du décès qui y est mentionnée est "blessure reçue à l'ennemi"... Plus tard, il fut mentionné "tué à l'ennemi". Et enfin, sur le registre de l'armée on peut lire : "A été passé par les armes".
Peu nous en importe. Le nom de Barthélemy Cristini est gravé sur ce mur – son ultime sépulture – et je gage qu'en vous en approchant, un jour, vous chercherez à l'y apercevoir.
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Lectures complémentaires conseillées par Véronique Thuin-Chaudon, que je remercie encore ici de tout cœur :
Le monde retrouvé de Jean-Louis Pinagot.
Le monde retrouvé de Jean-Louis Pinagot.
Sans oublier la fiction, avec le beau roman de John Boyne, que j'ai eu l'honneur de traduire : The Absolutist - ou Le secret de Tristan Sadler, disponible à présent chez Pocket. Il traite exactement de tous ces thèmes, et vous étonnera.
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