Quand on dit que les Français n’aiment pas
écrire, on se trompe. Ils écrivent, même quand ils parlent !
Il n’y a qu’à voir, ou plutôt les écouter.
Ils mettent à l’oral, comme dans les textes qu’ils écrivent, une ponctuation
forcée partout. Je ne parle pas des majuscules, on ne les entend guère,
celles-ci ; bien que l’influence anglo-américaine ait frappé à l’écrit :
on les surprend en tête des noms de jours de la semaine et des mois, ou des
saisons ; chacun oubliant la façon
dont ils étaient inscrits au tableau noir de notre enfance, à savoir, en
minuscules*. Non, je veux parler ici des guillemets.
Rappel :
Guillemets, n.m : Signe typographique
que l’on emploie par paires (« … ») pour isoler un mot, un groupe de
mots, etc., cités ou rapportés, pour indiquer un sens, pour se distancier d’un
emploi ou pour mettre en valeur.
Locution orale : entre guillemets, se
dit pour indiquer qu’on ne prend pas à son compte le mot ou la locution qu’on
emploie. Un type normal entre guillemets ;
il est venu avec sa femme entre guillemets (=prétendue, soi-disant).
S’il semble évident d’utiliser la première
entrée du Petit Robert à l’écrit, chaque fois que l’on cite quelqu’un, ou un
texte, la seconde entrée paraît encore plus indispensable à nos contemporains
francophones – comme aux Américains, en particulier. On notera, du reste,
l’accompagnement gestuel, deux doigts de chaque main ouvrant et fermant ces
guillemets aériens, pour bien insister sur la locution ainsi isolée. S’y
ajoutent un regard figé, des sourcils froncés et la moue ad hoc qui resserre
les lèvres.
Exemples :
-
Alors, il lui a fallu un certain courage, entre guillemets, pour ne pas
réagir.
-
Franchement, là, je me demande si
tu as eu raison, entre guillemets, de
t’énerver.
Perso (sic),
je me demande pourquoi on a cessé d’appeler un chat un chat. Dans la phrase 1,
je remplacerais volontiers le mot courage par une expression plus triviale.
Dans la phrase 2, je dirais plus directement, « Non mais, tu ne penses pas
que t’as fait une belle connerie en lui cassant la gueule ? »
Ces guillemets, au final (sic), ce sont des
outils de dérobade, plus que de distanciation. On a rajouté au politiquement
correct verbal encore plus de métaphores, gestuelles celles-là, comme pour
absolument tout nuancer de toutes ses fibres, et se faire pardonner à l’avance
le moindre débordement qui risquerait d’en offenser certains.
Perso (re-sic), j’ai envie de dire (encore un
de ces tics que j’adore), cessons d’avoir peur de la langue. Et pour citer, cette fois entre de
vrais guillemets, le psychanalyste Léopold Lévy, découvert sur mon blog favori,
JEWPOP, « pour que la parole continue à être créatrice et vivante »,
je vais tenter de cesser de l’édulcorer, en ôtant, pour commencer ce geste de
ma panoplie de grimaces. Fini le flou !
L’avantage : moins de rides en
formation. Je parie que ce sera aussi efficace que la toxine botulique, et bien plus ferme en
matière d’expression.
Ça, j’avoue que je n’y avais pas pensé en
commençant ce billet. Mais il faut reconnaître que c’est plus convaincant que de citer le Robert. Et,
non, SVP, pas de débordements sur les petits roberts. La nuance, ça a quand
même du bon.
*Merci à nos amis canadiens qui nous en rappellent les règles, ICI.
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