Voilà encore une histoire dont je n’avais jamais
entendu parler, et pourtant, j’ai eu dans ma famille au moins une musicienne
professionnelle ayant survécu à la Shoah, et l’Allemagne fait partie de mon
arrière-plan.
Je m’intéresse à tout ce qui touche à la période de
la Seconde Guerre mondiale, c’est assez flagrant pour ceux qui me lisent – j’ai
fait des recherches dans plusieurs domaines à ce sujet, et me pensais un peu informée,
mais je dois avouer que, cette année, plusieurs facettes inattendues de cette
période ont éclairé mon chemin, ainsi que quelques révélations.
Curieusement, elles forment comme un faisceau,
autour de la notion de sauvetage.
Il y a d’abord eu cette découverte du film d’Ivan
Szabo, que j’ai mentionné ici ;
puis le film autour de ce médecin hongrois qui avait fait sortir de la nasse nazie 1600 de ses
compatriotes – pour être ensuite accusé de collaboration avec les nazis, en
particulier avec Eichmann. Ce qui, dans le jeune état d’Israël, a entraîné son assassinat. Pourquoi n’avait-il pas sauvé tout le monde ? Qui avait-il
choisi ? Sous quels critères ?
Ce sont-là les accusations qui ont provoqué sa mort.
Plus récemment, j’ai vu le film de Margarethe Von Trotta sur Hannah Arendt – un film qui rappelle qu’elle avait été
parmi les premières à mettre en cause le rôle des Judenrat face aux nazis. Ceci lui a été
violemment reproché dans les années 60 – or à présent, ce fait est spontanément
rapporté par des survivants des camps, je l’ai entendu de la bouche de Saul Oren, venu témoigner à Nice de son calvaire aux mains des médecins qui l’ont
utilisé pour leurs épouvantables expériences. Qui a été épargné, et grâce à
qui ? Qui a péri, et à cause de qui ?
Il est facile d’accuser tel ou tel survivant,
aujourd’hui, bien installés que nous sommes devant nos écrans, en posant la
question du comment ou du pourquoi de sa survie.
Il est facile de jeter l’opprobre sur celui qui n’a
pu sauver que trois personnes au lieu de quatre. Si on raisonne ainsi, que dire
alors de ce violoniste exceptionnel qui n’a sauvé « que » mille
musiciens en les faisant sortir d’Allemagne, d’Autriche, de Hongrie ou de
Pologne, pour les intégrer à son projet phénoménal de création du premier
orchestre symphonique de Palestine ?
Ce violoniste, Bronislaw Huberman, né en Pologne en
1882, enfant prodige dont le talent fut donc distingué très tôt, connut un succès qui l’amena à
jouer sur toutes les scènes du monde, avant les 1ère et 2nde Guerres mondiales. Mais ce n'est pas tout.
Le docu-fiction qui a été réalisé en 2012 autour de sa vie
et de son action remarquable n’a rien de très original. C’est un montage
classique de documents d’archives, de passages de répétitions d’orchestre, de témoignages, d’inclusion de séquences reconstituant le contexte de l’époque, avec des
acteurs dans le rôle des personnages clefs. La bande son est superbe,
forcément, vu les morceaux qui ont été choisis, et tirés du répertoire de compositeurs et d'interprètes prestigieux. Non, il n’a rien d'exceptionnel dans sa facture. Mais il a le mérite rare de faire connaître cet épisode
méconnu (de la plupart des spectateurs présents mardi soir à la Cinémathèque de
Nice) en montrant le cheminement courageux, déterminé, et visionnaire de
Bronislaw Huberman.
Cet homme a, tout d’abord, compris très tôt que
cette vague noire ne refluerait pas de sitôt, et que tous les Juifs qui
resteraient sur cette rive là seraient noyés. C’est cette intime conviction qui
l’a poussé à concevoir le moyen de sauver ceux qu’il pouvait sauver, parce qu’il
connaissait leur compétence, et leur talent. Il imagina donc la création de cet
orchestre fantôme, dans un pays qui n’existait pas encore – et qui n’avait donc
aucune salle de concert comparable à celles d’Europe - et qui n’en n’aurait pas
de sitôt. Avec cette idée en tête, il parcourut les pays menacés, dès 1934, pour recruter
les meilleurs musiciens, et leur obtenir les papiers nécessaires à leur entrée
en Palestine.
Il faut se rendre compte aujourd’hui de la gageure
que cette entreprise représentait, et ce film le montre bien. La Palestine,
pour les Juifs allemands, c’était littéralement le désert. Un univers peuplé de
chameaux et de quelques humains, loin, si loin de leur monde cultivé, à tous les sens
du terme. Il fallait vraiment être fou (meshuga) pour envisager d’aller s’y installer –
et, du reste, deux de ses musiciens une fois intégrés à son orchestre, quasi-sauvés, n’eurent de cesse que de rentrer « à la maison » – avec la fin
tragique que l’on devine.
Ce que j’ignorais, et que j’ai appris grâce à ce
film, c’est qu’il existait en Allemagne une organisation culturelle, le Jüdische Kulturbund qui regroupait tous
les artistes juifs interdits de se produire sur les scènes
« aryennes ». De nombreux artistes ont cru pouvoir continuer à
travailler et vivre en Allemagne, en attendant que ça passe. La suite ne leur
a, hélas, pas donné raison. Et ce, dès 1941.
Bronislaw Huberman a eu cette préscience, cette
intuition, qui lui a fait comprendre avant bien d’autres (mais à la même date
que mon propre grand-père) que le salut passait par le départ définitif.
Il l’a proposé à environ mille solistes parmi les meilleurs, et, ce faisant, a dû en refuser des centaines, presque aussi talentueux, qui postulaient pour cette émigration.
Il l’a proposé à environ mille solistes parmi les meilleurs, et, ce faisant, a dû en refuser des centaines, presque aussi talentueux, qui postulaient pour cette émigration.
Mais chaque fois qu’il a pu intervenir pour les
« recalés », il l’a fait, afin que sortent de l’enfer un maximum de
victimes potentielles.
Cela a bien entendu nécessité une énorme énergie
que de récolter les fonds nécessaires à ce projet fou.
La dernière collecte, celle qui a permis sa
réalisation, a impliqué la participation active d’Albert Einstein, et a pris la
forme d’un dîner de gala à New-York. Einstein, pacifiste convaincu, croyait, comme Huberman, à un projet d'états unis d'Europe...
Ces hommes et ces femmes ont été sauvés, certes par
Huberman, mais également par leur dévotion totale
à la musique. Et puis, grâce à la passion qu’éprouvaient aussi les premiers arrivés en Palestine pour la musique classique. Bien avant la folie des groupes de rock et
de pop, ces fans faisaient la queue, se battant presque pour entendre jouer
cet orchestre là. Qui, en retour, organisait des concerts à prix réduit pour
leur permettre d'y assister. Huberman a tablé sur cette soif, cette culture musicale du
peuple juif, et il a gagné son pari.
C’est, tout compte fait, une très belle histoire qui nous est révélée par ce documentaire. L’Histoire suit son cours, la musique sauve les hommes.
Tristement, Huberman meurt en 1947 – un an avant la proclamation de l’existence de l’État d’Israël. Mais ceux et celles qui ont survécu grâce à lui ont, à leur tour, eu des enfants qui, à leur tour, sont devenus musiciens, et membres de l’Orchestre Philarmonique de l’État d’Israël. Les divers témoignages exprimés dans ce film sont très émouvants. Surtout pour moi, qui suis sensible à ces accents germaniques en anglais – une intonation familière, en voie de disparition.
Tristement, Huberman meurt en 1947 – un an avant la proclamation de l’existence de l’État d’Israël. Mais ceux et celles qui ont survécu grâce à lui ont, à leur tour, eu des enfants qui, à leur tour, sont devenus musiciens, et membres de l’Orchestre Philarmonique de l’État d’Israël. Les divers témoignages exprimés dans ce film sont très émouvants. Surtout pour moi, qui suis sensible à ces accents germaniques en anglais – une intonation familière, en voie de disparition.
Parfois, et même souvent, je dis que l’écriture nous sauve. Mais dans ce cas, c'est la musique qui a non seulement sauvé des âmes, mais
participé à la naissance d’une nation, et à celle d’une nouvelle identité.
Je suis heureuse d'avoir été cette semaine à la découverte de Bronislaw Huberman. Il est de ceux que nous ne devrions pas oublier. Alors, merci à Josh Aronson. Finalement, il est très bien son film !
Crédits photographiques :
Augustus Rischgitz/Getty Images
Image pour Einstein voir ce site.
Une histoire passionnante et émouvante. Souvent, la musique transmet un message qu'aucun mot ne peut dire.
RépondreSupprimerla plupart des gens qui aiment la musique n'y comprennent rien; ce n'est pas du tout nécessaire. La musique est une chose intuitive. Si on a, quand on écoute de la musique, des sentiments ou des sensations, positifs ou négatifs, c'est que la musique a quelque chose à nous dire. Il n'y a donc pas à être préparé spécialement. La seule condition est d'ouvrir son cœur. Et cela tout le monde peut le faire;
RépondreSupprimerLa musique est une manière de mieux se comprendre.
C'est un langage qui dépasse la parole. Quand la parole finit, la musique commence.
Roger K.