Ainsi que ce blog l’annonce, il m’est vital de
saisir au vol les petits bonheurs du jour et de les apprécier à leur juste
valeur.
Cela va de la simple jouissance du paysage – et
quel paysage j’ai la chance d’avoir sous les yeux, si près ! – à une
surprise agréable, donc par nature inattendue.
Le jeudi 17 octobre a été un de ces jours tissé de
beauté.
Nous sommes allés avec des amis, perdus de vue
depuis longtemps, rendre hommage à leur père disparu, à l’endroit du monde
qu’il aimait le plus, et qui a aussi fait partie de mon enfance, et de mon
adolescence : les îles de Lérins, et en particulier celle de
Saint-Honorat, la plus petite et la plus éloignée des deux.
Leur père était un ami de ma famille, et un médecin exceptionnel à qui je dois le
souvenir de mes premiers émois, mais ne soyez donc pas grivois, lisez plutôt jusqu'au bout : en recommandant bien à ma mère de me
faire « garder le lit » quelques jours pour cause d’angine ou de
varicelle, il se rendait complice de ma passion naissante, sinon découragée, du moins empêchée, trop souvent par des activités bien moins excitantes à mes yeux (école, danse, gymnastique rythmique - surtout les deux dernières).
Allez, je l’avoue, car il y a prescription : il s’agit de la lecture. Au
chaud, à peine embuée par un reste de fièvre (vite enrayée par cet antibiotique
au goût de vernis à ongles vanillé que l’on prescrivait sans scrupules en ce
temps-là), je lisais à loisir, sans me soucier des journées d’école manquées.
Quel régal.
L’ami médecin venait, se lavait bien les mains, les
essuyait sur une serviette propre que lui sortait ma mère, et blaguait à mon
chevet autant qu’il m’auscultait.
"Encore deux jours avant de la renvoyer en
classe", tel était souvent le verdict attendu par une condamnée ravie.
"Elle a le droit de lire..." ajoutait-il avec un clin d'oeil.
Quel cadeau il me faisait là !
Et puis, le dimanche venu, ainsi que la guérison,
nous allions en bateau du côté des îles, pêcher « au boulantin* » de
belles girelles royales, des pageots, des sars, et, au pire, des saupes et des bogues,
que ma mère transformait le soir venu en soupe parfumée, safranée.
Nos familles
se retrouvaient là, partageant pan bagnats et pastaga, oursins et poulpes. Les oursins, c’était plutôt dans les pieds
qu’on se les prenait, histoire d’apprendre où ne pas les mettre.
girelle royale
saupe
sar commun
sar à bec fin
pageot
L’ami-médecin était aussi un fameux plongeur et
pêcheur. Dès qu’il pouvait voler un moment pour aller plonger, il le
saisissait. Les patients parfois patientaient, attendant le retour d'Ulysse. La mer, c’était son univers, et il était donc logique que ce fût là
que nous nous réunissions pour honorer sa mémoire.
Je retrouve et partage ce que j'avais écrit lors de son départ en avril dernier :
Léo : Plongeur, nageur, voltigeur, docteur, flambeur, picoleur, dragueur, séducteur, blagueur, mais pas fumeur.
Il a été l'ami solide de mes jeunes années, celui de mes parents, mon témoin de mariage, et celui de ma mère avant ça, celui qui m'a appris à jouer au poker, celui qui m'a prescrit ma première pilule, qui a suivi ma première maternité (aucun rapport). Il a fait semblant d'être juif à la bar-mitzvah de mon cousin, a porté une kippa plus souvent que nos hommes, parce qu'il était peu soucieux des codes - sauf de celui de l'entr'aide. Il a tout fait pour sauver son ami André - et l'a pleuré, sans jamais laisser tomber sa veuve.
Je ne veux garder de lui que cette belle image qui le représente avec mon beau-père André Champseix, et Louis Féraud, un trident à la main, sortant de la mer, tel Poséidon, fier, heureux, maître du Centuri, insouciant - le médecin restait en ville, l'homme était sur l'eau, sous l'eau, heureux, et ce bonheur-là, nous l'avons partagé.
Ils sont ensemble à présent.
May he rest in peace.
Un ciel comme celui de jeudi, il n’y en a que
dans mon souvenir !
Quel cadeau, quel cadeau, nous est ainsi fait par
la nature – et il suffit de pouvoir regarder pour le garder au cœur
toute sa vie. Cela dit, un bon téléphone voleur d'images, ça aide un peu, non ?
^^^^^^
Et puis, une fois rentrés à Nice, la cerise s’est
posée sur le gâteau du soir :
Mon artiste transporte sur un diable des cartons très
volumineux.
Il a quelques marches à monter devant un immeuble où il doit les déposer.
Il peine un peu, car l’équilibre des cartons est
instable, ils menacent de choir. Ça y est, ils sont à terre !
Surgit, de nulle part, un jeune homme - très jeune,
moins de 18 ans, je dirais -, qui s'empare d'un carton et le porte dans l’entrée.
Trois cartons volent ainsi comme par magie, du
diable au paradis !
Et le bon lutin se sauve, pour sauter dans une
camionnette dont il était le passager. Le véhicule attendait dans le flot de la
circulation. Voyant l’épreuve, le jeune homme avait volé au secours d'un inconnu, et rejoint son chauffeur avant même que l’on ait eu le temps de dire
« feu vert » !
C’est pas beau ça ?
Et pan sur le bec de ceux qui disent « Les jeunes ci
et les jeunes là ».
Tout ce que
j’ai eu le temps de faire, c’est un signe des deux pouces pour le remercier, tandis que la circulation se dégageait. Un sourire m’a
répondu, et tel le chat de Cheshire, il a disparu.
Bon, voilà, c’est tout pour aujourd’hui, en matière de petits bonheurs.
Ah, j’oubliais :
À suivre très vite un agenda des événements à venir.
Guettez-le, il y en aura pour tous les goûts !
J'en apprends des choses sur ton filet de poissons. et tout cela m'a l'air cacher. Mais, chère Cathie, dans ton filet tu ramènes aussi bien d'autres merveilles...
RépondreSupprimerAlbert
Vous avez donné à tout le monde quelques superbes images de la mer, Cathie!
RépondreSupprimerJe ferme mes yeux et je sens la chaleur du soleil, le sable doré sous mes pieds et le bruit des vagues. Je peux également entendre la voix de M. Charles Trenet ("La Mer ....").
Merci beaucoup