J’ai vu ton spectacle mercredi soir dans la petite
salle Michel Simon du Théâtre National de Nice, et je crois que le moins que je
puisse faire c’est de t’écrire pour te dire tout le bien que j’en pense.
Ah, oui, je te tutoie, en effet, c’est bien normal
puisque tu me connais, tu m’as parlé, et même plusieurs fois. Tu sais, la folle
qui a un rire de robinet qui grince, au deuxième rang ? Oui, c’était moi.
Tu vois, on se connaît, et encore plus que tu ne le crois, parce qu’on a un
paquet de points communs toi et moi. Lis la suite, tu vas comprendre.
Voilà que, tout pétri de logique, tu commences ton
spectacle, intitulé MA VIE, en parlant de ta naissance. Eh ben, tu vas pas le
croire, moi aussi je suis née !
Pour ta mère, tu étais le plus beau bébé de la terre - et quelle émotion on ressent à l’évocation de cet amour maternel exceptionnel (même si l'on sait qu’il peut devenir un brin étouffant, par la suite)…
OK, OK, moi j’étais loin d’être la plus belle,
mais, pareil que toi, ça s’est (un peu) amélioré avec le temps, et quelques nourritures.
Ah, justement, il faut que je te dise : j’ai adoré tes beignets bien gras, mangés à
toute heure du jour ou de la nuit. Chez moi, on les appelait des strudels, mais le résultat était le même, une fois
bien recouverts de sucre blanc. Pareil, fallait pas les refuser, sous peine de
mort de mère.
Après, comme toi, j’aurais eu envie de me lever la
nuit pour poser tes mêmes questions existentielles à mes parents, sauf que les
miens ils ne m’auraient pas répondu, ni même menacée de la
poubelle, direct ils m’y auraient mise : de l’autre côté de la
Méditerranée, chez les survivants de l’ère nazie, on ne rigolait pas du tout
avec les réveils nocturnes.
Toutes ces ressemblances m'ont touchée, c'est vrai, mais surtout, ce que j’ai aimé dans ton heure et
demie de scène, c’est d’avoir à te suivre sur un fil : toi qui n’es pas
léger comme l’air (ne le nie pas) tu joues très bien les funambules. Parce que,
passer comme tu le fais d’un personnage à un autre, je ne connais que ma tante Aline pour en avoir été capable avec autant de dextérité. Si, si, c’est un
compliment.
Ta mère, ton père, ton tonton, tes amis, tu les mets tous en scène, et tu voudrais nous faire croire que c’est rien que de l'imaginé ? À d’autres ! Moi aussi je dis ça de mes personnages. Sauf que
pour moi, c’est vrai que c’est faux, alors que chez toi c’est si criant de
vérité que ça ne peut pas être inventé. Quoi que… Sauf si... Question de génie, peut-être ? Eh ouais...
J'ai failli oublier : les accents, les accents ! Où est-ce que tu as appris à refaire le pépé niçois bourru ? En mangeant de la socca ? C’est déjà pas à Lille ou à Bruxelles que
tu vas les leur vendre, tes chouchous, avec ces intonations là, et tes
remarques sur le soleil qui leur manque - naan, je parie que tu vas leur parler belge. Tu serais pas un peu faux-cul, des fois ?
Après, quelle merveille, que ton évocation de
l’amoureux qui a une mèche sur la langue et qui se languit de « Brizitte
et ses nissons » ! Idem,
ça m’a rappelé le temps où, comme elle (en moins appétissante, sûrement)
j’avais lancé mon soutien-gorge dans le caniveau, et, comme ton double d'amoureux
transi, je n’allais aux AZ (Assemblées Zénérales) que pour y draguer un beau
mec. Comment tu as fait à le savoir, toi qui n’étais même pas à Nice en ce
temps-là ?
Quant au bègue… il faut une bonne dose de courage
pour se risquer à en endosser la maladresse pendant si longtemps. Là, une
seconde, je me suis demandée si, par hasard, tu n’aurais pas des ashkénases
dans ta lignée maternelle… Non ? Tu n'es pas non plus un gaucher contrarié ? Bon, tant pis, nobody’s perfect.
Ah, mais, question courage, le clou, le clou surréel de ton
show, c’est Le Cid. Et là, il faut que je te dise un truc que personne
d’autre n’a remarqué : Ton spectacle, il est construit comme si Virginia
Woolf s’était maquée avec Lewis Carroll pour t'aider à l'écrire. Je sais, ça t’en bouche un coin.
Personne ne t’a jamais dit que tu faisais du « courant de conscience »? Si ? Eh ben, moi, je ne l’ai lu nulle part, et pourtant c’est juste ce qui
se passe quand tu quittes ta tribu pour nous entraîner devant ce miroir où un fantassin croit voir
son alter ego lui arriver dessus. Jamais je n’aurais cru
m’esclaffer ainsi devant Le Cid - de Molière, comme chacun ne le sait pas. Ensuite,
paf, on redescend dans le réel, qui est en fait imaginaire, et, comme Alice, on passe en quelque sorte de
l’autre côté du miroir, sans jamais perdre le fil de ton discours. Pourtant, c'est vachement dur de faire passer un fil à travers un miroir, pire que d'enfiler une aiguille dans une botte de foin. Mais toi, tu y parviens : jamais on ne le lâche, on te suit, et on gobe tout. Quel talent !
Comment est-il possible de « mourir de rire »
(tout en réfléchissant grâce à toi au sens de ce terme, ce qui est bien naturel après toute
cette réflexion devant la glace) et, la seconde suivante, de se taire en sentant perler des
larmes d’émotion ? Franchement, là, Michel, tu m’as bluffée.
Car il faut que je te
l’avoue : j’avais pris les places un peu par habitude, par nostalgie, en
me disant, oui, Boujenah, on sait ce qu’il va donner, on l’a déjà vu trois fois, on connaît, mais enfin, ça ou peindre la girafe…
Alors, miracle, quand on ne sent pas passer le temps, en
osmose avec une salle comble - aussi comblée que soi-même - que ta générosité
inonde de plaisir, on oublie que tu nous as fait chanter faux, et engueulés (pour
de rire) ; et, à la fin, avant de te faire le modeste cadeau de nos remerciements, on a juste
envie d’être l'enfant que ce vieil homme prend par la main pour lui raconter
la vie, ta vie.
Y aura une suite, ou faudra se l’inventer ?
Peu importe, tout ce qu’il me reste à te dire, cher
Michel, un verre de snaps à la main
(non, je n’ai rien de chevelu sur la langue, on a bien le droit de boire
suédois, parfois) – c’est : L'CHAÏM !
qui, chez toi, comme chez moi, signifie À LA VIE !
Que la tienne reste douce et joyeuse, et te fasse souvent revenir à Nissa la Bella !
PS. Quand même, entre nous, je vais te faire une
remarque sérieuse. J’ai tiqué en entendant des références et termes
contemporains mis dans la bouche de personnages censés parler dans les années
60. Comment, me suis-je dit, avec un accent pointu, et sûre de mon fait, il ne se rend pas compte des anachronismes qu'il profère ? Il déraille, ou quoi ? Là, le temps d'une minute d'immodestie,
je me suis sentie plus forte que toi et ton frère rassemblés. Et juste après – pan sur le bec. J’ai
compris l’universalité du propos. Certains essayent de mettre Paris en bouteille, toi, à
Nice et ailleurs, tu parviens à compresser le temps et à le rendre éternel.
C’est-y pas beau ça ? Alors, chapeau, l'artiste, et merci !
C’est-y pas beau ça ? Alors, chapeau, l'artiste, et merci !
Pour les dates de tournée : voir ICI
Chère Cathie,
RépondreSupprimerEn fait les Boujenah sont plus ashkénazes que tu le crois, car ce patronyme est la transcription locale - indigène - de Busnach, nom autrichien d'illustre famille, dont les banquiers Busnach, de Livourne, qui, associés aux Bacri d'Alger, ont régné sur les finances de la Régence au XIXe siècle. Prononce bien Busnach à l'allemande, mets-y un cheveu sur la langue (comme ton magnifique acteur) et tu obtiendras "boujenah", c'est aussi simple que ça. Bises d'Albert (Bensoussan)
Eh ben voilà, tout s'explique ! Merci cher Albert, de partager tes immenses connaissances avec nous tous, ici et ailleurs. Bises reconnaissantes.
RépondreSupprimerComme d'habitude pour Cathie, c'est un excellent article et bien analysée.
RépondreSupprimerMerci à vous, Cathie!