LA SEMAINE DERNIÈRE J'AI RENDU COMPTE DU LIVRE D'ANDRÉ NAHUM, YOUNG PEREZ CHAMPION. Il vient de sortir, ce 25 novembre, et, bien que débordé de coups de téléphone, son auteur a bien voulu répondre à mes questions pour GRATITUDE. Vous verrez, chers lecteurs et lectrices passionnés, que ce n'est pas juste de ce boxeur qu'il est question dans ce livre, mais d'une belle promenade dans un univers culturel et moral que tous et toutes apprécieront.
- Cher Monsieur,
c’est un plaisir pour moi que vous ayez accepté de répondre à mes questions
pour GRATITUDE. Comme vous le savez, j'ai beaucoup apprécié votre livre, et j'ai maintenant envie de vous demander, en sachant que vous êtes vous-même originaire de Tunisie - de quand date cet intérêt passionné pour Young Perez ? Parce que, quand j'ai regardé Wikipédia moi-même pour découvrir Young Perez, j’ai constaté que la plupart des
informations qui s’y trouvent proviennent de vos recherches. C’est
impressionnant ! Alors, quand les avez-vous commencées ?
ANDRÉ NAHUM : Oui, sur
wikipedia il y a 96 références sur 106 qui proviennent de mes recherches! Alors, voilà : J’avais dix ans et j’habitais Tunis, et un soir j’entends un
très grand chahut dans la rue, quelque chose comme s’il y avait une manif dans
la rue, tout le monde sort, on s’interroge, on demande et on nous dit :
vous ne savez pas ? C’est le champion du monde Young Perez qui vient
d’arriver, il est là, il est là, et
c’était le champion du monde de boxe qui était là, avec un cabriolet Peugeot
qu’on lui avait offert – et cette image m’a marqué, et je dois dire que depuis
ce temps-là Young Perez est devenu, pour tous les gens de notre pays, une idole,
pour tous les Juifs de Tunisie. Ce garçon nous avait rendu notre dignité. Young Peres,
c’est pas un match de boxe, c’est un boxeur, un homme, dans ses origines, dans son pays, un homme qui découvre la
France, qui découvre les Juifs ashkénazes, dont il n’avait pas la moindre
idée ! Un jour il va manger casher dans un restaurant ashkénase, et
qu’est-ce qu’il y trouve ? Du borscht ! Alors il n’y comprend
rien ! Et cela reprend ma propre histoire. Un jour, j’étais en PCB à Paris,
et j’ignorais tout d’eux – j’avais près de moi une jeune fille au nom très
bizarre, comme Katzenblum… et quand j'ai appris qu'elle était juive, je me suis dit, elle est juive, c’est pas
possible ! Cela me rappelle une autre histoire : quand des Juifs
allemands sont venus se réfugier à Tunis, ils étaient arrivés sans un rond, et
ma grand-mère qui ne parlait pas un mot de français, croyait avoir du diabète.
Alors mon père, pour faire gagner 20 francs à l’un de ces médecins lui a dit,
Venez faire une visite à ma mère. Le médecin, un grand professeur, vient chez
nous, il s’enferme avec ma grand-mère, et quand il est parti, ma grand-mère a
mis les mains sur les hanches et a dit « Mais vous vous moquez de
moi ? C’est un Juif ce monsieur là ? Il comprend pas un mot
d’arabe ! »
- Oui, alors, cette histoire a fait écho à la vôtre, en quelque sorte ?
- ANDRÉ NAHUM : Je
voulais dire ça : à cette époque on adorait la France, mais on ignorait tout des
Français de France. On adorait la France, quand on entendait la Marseillaise on
frissonnait ! Mais comme nous, Young, il ne connaissait pas la France, il
la connaissait à travers ce que lui raconte un personnage inventé dans mon
histoire, Monsieur Léon, qui représente un Juif français qui avait fait la
guerre - il n’y en avait pas beaucoup en Tunisie à cette époque. Cette France,
Young Perez la découvre, et c’est ça que j’ai voulu montrer. Le Paris des
années 30, la beauté, l'ambiance… Quand Young Perez y va, il découvre la France, les
music-halls, les musiciens noirs… On ne connaissait pas les Noirs à Tunis – et
c’étaient des Américains qui ne pouvaient pas jouer chez eux, ni jouer dans des
films… La seule fois où on a fait jouer un Noir dans un film, c’était un Blanc
déguisé (Al Johnson) – alors même si la France était quand même assez raciste,
il y avait cela… et ils avaient tellement de talent que les gens adoraient le
jazz… Ils ont amené Josephine Baker avec eux.
- Je voudrais
revenir à l’histoire de ce livre, qui est, je crois, une réédition d’un premier
ouvrage sur le même sujet – votre premier éditeur a, je crois, mis la clef sous
la porte. Est-ce que cela a été difficile pour vous de le faire rééditer ?
- À ce propos,
je ne l’ai pas vu, mais je me demandais, à quoi est due la sortie quasi concomitante
de votre livre et du film sur le même champion ? Du pur hasard ?
ANDRÉ NAHUM : Non,
pas vraiment….C’est la volonté de l’éditeur… C’était de bonne guerre !
- Ah, très bien,
dites-en deux mots, alors !
- ANDRÉ NAHUM : Ceux qui ont réalisé ce film ont tout fait pour ne pas me racheter mes droits. Moi, je connais
Young Perez, dont personne n’a parlé avant que je m’en occupe. Un jour, il y a
des années j’ai reçu en consultation à Sarcelles une petite bonne femme, qui
s’est avérée être la sœur de Young Perez. Elle n’était pas malade, mais elle
savait que j’avais déjà écrit sur lui et elle m’a demandé d’écrire la vie de
son frère, et même d’en faire un film ! C’était presque une
commande ! Mais pour moi, ce n’est pas une question d’argent, c’est un
devoir moral, parce que je me dois … Je ne veux pas
qu’on le trahisse.
- Venons-en, si vous le
voulez, aux questions clefs que pose ce
livre : Vous décrivez très bien
dans toute la première partie la vie quotidienne des familles juives,
mais vous ne parlez pas d’amitiés entre enfants juifs et musulmans, était-ce de
l’ordre de l’impossible ?
- ANDRÉ NAHUM : Je
sais qu’il y avait des relations professionnelles très cordiales, mais on ne se
recevait pas. La ségrégation était moins marquée qu’en Algérie, mais il y avait
une ségrégation quand même.
- - Donc, il
n’était pas question pour les enfants de jouer ensemble dans la rue, par
exemple ?
- ANDRÉ NAHUM : C'était assez rare. La
règle en Tunisie, c’était chacun dans sa communauté. Les Français avec les
Français, les Siciliens avec les Siciliens, les Maltais avec les Maltais… À la
maison, moi je n’ai jamais reçu un copain arabe, ni français, pour un
anniversaire par exemple... Pas dans mon enfance en tous cas, parce qu’après il
y a eu des petits changements… Les commerçants, les avocats, les médecins se fréquentaient
professionnellement, mais les pauvres, dans le ghetto, ne fréquentaient que les
gosses du ghetto. C’est comme ça… Je parle de mon temps, bien sûr.
- - Je comprends. Alors, nous allons revenir au
moment où Young Perez part pour la France, dans les conditions les plus
rudimentaires possibles, et en cachette de sa famille – est-ce que c’était
aussi pour échapper au poids des traditions et des contraintes culturelles,
pour ne pas dire religieuses ?
- ANDRÉ NAHUM : Non,
non, non ! C'est parce que sa mère ne l’aurait jamais laissé partir ! Ah, vous savez
les mères juives, ça garde ses poussins ! C’était une très bonne mère de
famille – il fait un pet, elle s’imagine qu’il va crever ! Alors l’envoyer
en France !!! Je vais vous dire, dans mon jeune temps – et ça, ça m’est
arrivé à moi -, venir en France, c’est comme si aujourd’hui on allait en Australie.
Quand je suis arrivé à Paris, à 17 ans, pour faire le PCB, il y avait quoi
comme Juifs tunisiens ? Une dizaine, une quinzaine… une trentaine, une centaine ? Pas plus. Peu de Marocains, peu d’Algériens… La France, c’était
loin, il fallait deux jours pour y arriver – il n’y avait qu’un restaurant qui
faisait le couscous, et c’est tout. C’était une aventure extraordinaire, une
terre inconnue.
- - Une fois Young
Perez à Paris, avec tous les alea de sa carrière passée, que vous racontez si
bien, la question que chacun se pose, encore maintenant, c’est : Pourquoi
n’a-t-il pas écouté les signes avant-coureurs de la catastrophe, surtout en
étant allé à Berlin au lendemain de Kristallnacht ?
Est-ce parce que ce héros et champion se pensait invincible, à tous points de vue ?
Victime d’une forme de mégalomanie ?
Quel est votre sentiment à ce
sujet ?
- ANDRÉ NAHUM : Moi
je ne connaissais pas grand-chose de son séjour à Berlin, et il y a beaucoup de
fiction dans cette partie – mais il a subi un problème très grave. Il faut pas
oublier que Young Perez, après son ascension fulgurante, en cinq minutes il est
passé de l’anonymat à la gloire, de la quasi-misère à la fortune, mais il est retombé assez vite. Il a perdu son titre. Après, il a essayé de le rattraper dans
une autre catégorie, avec un personnage exceptionnel, Al Brown, qui fut, dit-on, très lié à Jean Cocteau… Mais il a dégringolé. Il ne voulait pas rentrer à Tunis
après y être retourné une première fois en héros. Lorsque ce jour-là, il est descendu du bateau, il y avait
la police qui empêchait les gens d’approcher. Une dame française qui attendait
son mari, et cette histoire est vraie, qui dit « Mais enfin c’est
scandaleux ! Pour ce petit Juif, on fait toute cette histoire, mais c’est
insupportable ! » Il était arrivé en héros, il ne voulait pas revenir en perdant, en
loser… Donc après son ascension fulgurante, il est retombé très vite. Plus de fric…
Pendant l’occupation, j’imagine qu’il a fait de petits combats pour survivre. Imaginez comment un boxeur juif déchu peut vivre sous l’Occupation.
Pendant l’occupation, j’imagine qu’il a fait de petits combats pour survivre. Imaginez comment un boxeur juif déchu peut vivre sous l’Occupation.
- - Oui, on
comprend. Mais il y a autre chose qui m’a interpellée : Dans sa relation
avec les femmes, et avec Mireille Balin en particulier, il est vraiment
« primaire », non ? On a envie de le secouer, de lui dire de se
reprendre ! Est-ce que sa famille et son éducation comptaient si peu pour
lui ? Parce que, on a vraiment l’impression que, s’il a fait ce qu’il
fallait pour les aider matériellement, il s’en est éloigné spirituellement.
Qu’en pensez-vous ?
- ANDRÉ NAHUM : Non,
non, pas du tout ! Pas spirituellement, c’était un Juif tunisien. Vous
savez, il y a une chose qu’il faut comprendre : Les filles n’ont pas de
sexualité jusqu’au mariage, et la sexualité d’un monsieur, juif ou arabe
d’ailleurs, à Tunis… pour eux il y a le bordel. Il y a la rue Abdellah Guéche, pour
ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent ça coûte 7 francs la passe, et il y a les bordels chics à 20 francs la passe. Donc sa sexualité à Tunis... il n’avait
pas le choix, il faisait comme tout le monde ! Il faut montrer cette
société, ses odeurs, ses saveurs…
- - Ce que vous faites très bien, justement dans votre livre…
- ANDRÉ NAHUM : Oui,
ce n’est pas juste un match de boxe ! c’est ça l’histoire ! Alors,
donc, faire l’amour avec une autre femme qu’une putain, c’est impossible. Les
filles on ne les approche pas. On ne touchait pas aux filles hors mariage, et
surtout on ne touchait pas aux filles de la communauté. Elles étaient sacrées.
Il y a même des hommes qui sont devenus impuissants, parce qu’ils ne couchaient
qu’avec des putes et quand ils se sont mariés, ils osaient pas, parce qu’on
n’osait pas…
- - Alors, dans
cette relation avec Mireille Balin, ce que vous voulez dire c’est qu’il a été
envoûté par elle ?
- ANDRÉ NAHUM : Mais
attendez Cathie, c’est pas envoûté !
Mais c’est le rêve de tout le monde ! Une maîtresse française, mais c’est
le rêve de tout le monde ! En arrivant à Paris à la gare de Lyon, en 1938, un ami à moi a crié
« Où sont les femmes, où sont les femmes ? » Je veux faire
passer ce message – c’était le rêve inaccessible de tout jeune garçon, qu’il
soit juif ou musulman, ou italien ou autre… alors il devient fou, il l’adore,
ça c’est vrai. C’était aussi le nôtre. Mireille Balin, une vraie Française, la peau
blanche … C’est son rêve impossible.
- - Encore une
question, est-ce que la boxe était un sport rassembleur, en Tunisie, au-delà
des communautés ?
- ANDRÉ NAHUM : Oui,
absolument. Comme le football ici aujourd’hui. Je suis formel.
- - Pour finir, et
vous libérer, une question encore plus personnelle : Que diriez-vous à un
jeune sportif – quel que soit le sport qu’il pratique, pour qu’il ne se perde
pas ainsi ? À mon sens il s’est perdu, en dégringolant.
- ANDRÉ NAHUM : Il
n’y a pas de secret. Ce qui est arrivé à Young Perez est arrivé à un Américain
qui s’appelle Max Baer, c’était un Juif qui
avait gagné le championnat du monde. Il voit s’ouvrir à lui une nouvelle
société, la fortune, la fréquentation de gens importants… alors il perd la
tête, il se laisse aller. Ça veut dire quoi ? Pour Young Perez, il prend
du poids, c’est catastrophique. Deuxièmement, il s’entraîne moins bien, c’est
catastrophique. Il croit que c’est arrivé. Or c’est pas arrivé. C’est jamais
arrivé. Vous savez, la vie des champions, c’est comme la vie d’un couple.
L’amour, ça se gagne tous les jours. Le championnat, ça se gagne tous les
jours. Et ça malheureusement il ne le savait pas. C’est comme, Max Baer, comme l’idole de Young Perez, le Noir
sénégalais qui s’appelle Battling Siki, dont vous verrez l’histoire
extraordinaire et qui a servi d’exemple à Young Perez… Ils se laissent aller. Pourquoi j’ai fait publier ce livre, c’est parce que je suis très vieux vous savez,
je ne suis pas un gosse...
- - Je ne
l’entends pas :-)
- ANDRÉ NAHUM : Je voudrais que les jeunes comprennent que
rien n’est jamais acquis. Qu’en lisant ce livre ils comprennent que ce n’est
pas en déconnant qu’on se fait une vie. Mon message, c’est ne vous laissez pas
aller, serrez les dents, choisissez une discipline et foncez ! Young Perez est un exemple typique...
- - Ou plutôt un
contre-exemple !
- ANDRÉ NAHUM : Oui,
mais je répète, c’est comme un amour : pour le conserver on se bat tous
les jours. Ce personnage illustre la vie, avec ses découvertes, ses enthousiasmes, ses succès et ses déceptions…
- - Oui, c’est
bien ce que l’on ressent et découvre dans votre livre. En tous cas je vous
remercie beaucoup d’avoir répondu à mes questions pour donner aux lecteurs de
Gratitude l’envie d’en savoir plus et de découvrir à leur tour celle belle
leçon de sport, et de vie. Je souhaite à votre livre tout le succès qu’il
mérite !
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