Suédois, vous avez dit suédois ?
Bizarrement, c'est un angle historique et culturel en rapport avec la Seconde Guerre mondiale que je souhaite éclairer en commençant ce billet sur la Suède, et sur Göteborg en particulier.
Il me faut d'emblée rappeler que deux dizaines de milliers de Juifs allemands et
autrichiens ont été sauvés par le suédois Raul Wallenberg, qui fut nommé
diplomate à Budapest en 1944. Afin de parvenir à ses fins, il fit (entre autres) imprimer
des « passeports de protection » leur permettant d’être
considérés comme des sujets suédois en instance de rapatriement.
La
mémoire de ce « Juste parmi les Nations » est honorée en maints
endroits du monde, dont Göteborg, sur la côte ouest de la Suède, où un superbe monument
est érigé dans un jardin public afin de la célébrer.
Ce monument est régulièrement
fleuri par des passants
Cette ville présente d’autres aspects touchants, en ce qui concerne la mémoire.
S’il
semble naturel de trouver une stèle mémorielle dans l’enceinte de sa synagogue, il est
plus surprenant de constater la manière dont cette cité honore ailleurs l'histoire juive,
alors même que cette communauté est aujourd'hui si restreinte.
Commençons
cependant par la visite de la synagogue, organisée par grâce aux contacts amicaux de mes hôtes.
Celle-ci est fort discrète, car
dissimulée de la rue par un immeuble très ordinaire. Seule une plaque mentionne
qu’il s’agit-là d’un centre culturel israélite. Une fois passée cette porte, et les bureaux d’accueil, on
se retrouve dans une cour face à la porte d’entrée de ce lieu de culte.
Le
bâtiment, terminé en 1855, est imposant vu de l'extérieur et, à l'intérieur, on se croirait dans une église. De fait, notre guide, Dan Fibert, nous explique que la
communauté suédoise, soucieuse de manifester son intégration à sa nation, avait
conçu ce temple sur le modèle des églises environnantes. D’où la présence d'un orgue, l’emplacement de la bimah (l'autel) et
une décoration mâtinée d’influences françaises – et viking, ainsi que l’on peut
s’en rendre compte en observant le marteau du dieu Thor qui orne le
plafond !
Dans la
petite cour qui sépare la synagogue du centre culturel se trouve un monument
assez inhabituel. Chacun sait que la Suède, demeurée neutre pendant la guerre, n'a pas subi le joug nazi. Il n’y eut donc aucune déportation depuis ce pays,
qui accueillit en revanche la quasi-totalité des Juifs échappés du Danemark
(8000), et environ 900 Juifs norvégiens, en 1943.
Ces bus ont été peints en blanc pour qu'on ne
les confonde pas avec des véhicules militaires
(source : wikipedia)
Plus tard,
en 1945, la Croix Rouge suédoise, avec le soutien actif du comte Folke
Bernadotte, négocia l’accueil de 15 000 survivants, norvégiens et danois
principalement. Folke Bernadotte fut donc l’artisan essentiel cette opération
de sauvetage, connue sous le nom de bus
blancs.
Sur ce livre de pierre, une bien triste histoire...
Ce rappel permet de mieux comprendre la signification du monument érigé devant la synagogue de Göteborg : Chaque nom inscrit au dessus d’un trait horizontal est celui d’un ou d’une survivante accueilli par la Suède. En dessous figurent les noms des membres de sa famille qui ont été assassinés. En contempler le nombre est une vraie torture… Nous y déposons chacun un petit caillou.
Dan
Fibert est un guide attentif et disponible. Il nous parle d’une communauté
active et dynamique, toutefois plus axée sur les aspects culturels du judaïsme
que sur la pratique religieuse.
Il évoque la difficulté actuelle d’être juif en Suède, l’antisémitisme croissant, l’impossibilité d'arborer dans la rue le
moindre signe distinctif.
Ça, au moins, c'est typiquement suédois, non ? Non ? Ah bon ?
Après avoir quitté ces lieux, nous trouvons, tout proche, un autre monument.
Celui-ci évoque aussi la Shoah, mais il se situe dans un espace public, et
regardez… il n’y a rien à y ajouter.
...seulement cette plaque mémorielle, sur un banc.
Göteborg
est également une ville de culture. Son musée des Beaux-Arts recèle une
collection de tableaux d’artistes que je vous engage à découvrir si, comme moi,
vous ne les connaissiez pas, ou peu, ou mal.
Par
exemple, Ernst Josephson :
Portrait de Jeanette Rubenson (1883)
Été suédois, 1886. Aquarelle.
et Carl Larsson :
Auto-portrait, 1895.
Alors là,
coup de théâtre. Le point commun entre ces peintres scandinaves ? Tous trois ont pu créer en liberté grâce à un amateur généreux (et perspicace),
Pontus Fürstenberg, dont la famille juive était arrivée de Russie au début du 19ème
siècle.
Les
parents de Pontus étaient grossistes en schmattès
(comprenez "textile") et avaient relativement bien réussi. Mais c'est son mariage tardif (d’amour – si,
si !) avec une riche héritière, Göthilda Magnus, qui lui permit de développer
son goût pour l’art et de soutenir avec enthousiasme des artistes qui, grâce à
lui purent s’épanouir pleinement. Il subvenait à leurs besoins, payait leurs
dettes, leurs voyages d’études à Paris… Un mécène, quoi !
Il légua sa résidence à la ville de Göteborg, et sa famille fit ensuite le don au musée des Beaux-Arts d'une partie de sa magnifique collection.
Demeure, ailleurs, sur le mur
de l’un de ses descendants, un autre tableau de Carl Larsson. J'ai eu le privilège de l'admirer. On y discerne, en compagnie d’artistes et de Göthilda Fürstenberg, un autre mécène, plus connu celui-ci : Charles Ephrussi.
Lequel Charles Ephrussi servit de modèle au Swann
de Marcel Proust ; son destin exceptionnel est narré dans un livre que
je vous engage vivement à découvrir : Le lièvre aux yeux d’ambre, d’Edmund De Waal. Curieusement, il m'accompagnait au moment précis de cette rencontre artistique !
Vous y lirez, construit en
colimaçon, tout comme le récit de cette promenade en Suède, le témoignage d’un artiste sur un aspect peu connu de l’histoire de la famille Rothschild & C°.
Le voilà
terminé, ce petit tour nordique...
L’hospitalité manifestée, la convivialité
ambiante (sans parler du respect, et de la propreté des lieux publics !),
la palette si nuancée du printemps suédois et, last but not least, le saumon et les délicieux harengs dégustés ici et là, tout ceci ne
peut que m’inciter à vous suggérer de délaisser un temps la Méditerranée pour
aller, sur les traces de leurs ancêtres les Vikings, vous régaler au bord des
mers de la Scandinavie.
Ne me dites surtout pas
que cela finit
en queue de poisson,
parce que
pour boucler la boucle,
j'informerai
les mauvais esprits
pour boucler la boucle,
j'informerai
les mauvais esprits
que la petite île Marstrand
– qui fait partie de l'archipel de
Göteborg –,
jadis un port franc,
vit s'ouvrir la première synagogue de Suède.
La communauté juive grandissante
obtint deux ou trois ans plus tard
le droit de s'installer à Göteborg,
dont elle contribua à assurer la prospérité.
THE END
NB. La Suède comte aujourd’hui environ 18 000 Juifs, répartis entre
Malmö, Göteborg, et Stockholm. The end pour de bon.
passionnant
RépondreSupprimerCette histoire est l'un des meilleurs sur le site, Catherine!
RépondreSupprimerUne belle contribution.
Joseph
Merci Joseph, de ce compliment, que j'apprécie particulièrement !
RépondreSupprimerL'article est disponible en anglais à présent, donc il peut être partagé avec des anglophones.