Prenez
deux octogénaires relativement bien conservés (Michael Caine dans le rôle d’un
chef d’orchestre retiré de la scène depuis longtemps, et Harvey Keitel, en
réalisateur peinant à conclure son film-testament, Life's Last Day, "Le dernier jour de sa vie"), mettez-les ensemble dans une station thermale haut de gamme en Suisse, rajoutez autour d’eux quelques jeunes gens,
quelques belles dames, une ex-star du football, du personnel stylé, un décor bucolique,
et vous aurez une idée de YOUTH, de Paolo Sorrentino.
Une idée,
c’est très vague, et un rien superficiel, je vous l’accorde. En réalité, ce
film est une superbe fable sur le processus de vieillissement et sur les liens
qui nous attachent les uns aux autres, quels que soit nos âges respectifs, et ça, c’est tout ce qu’il y a de plus
profond.
Peu
importe l’histoire – il n’y en a pas vraiment une, juste des trajectoires qui
se croisent, et dont on se demande comment le scénariste a pu les vendre à un producteur – car ce qui touche le spectateur, et même la spectatrice, c’est le
message poétique, quasi-subliminal de ce film.
Quelques
exemples :
La
relation entre les deux personnages principaux est servie par des dialogues
truculents, qui en révèlent long, sur l’amitié notamment, et l’intimité cocasse
qu’elle implique parfois. Si, si, on évoque volontiers ses soucis de prostate,
ou de nénés, entre vrai(e)s ami(e)s !
Les
rapports entre un père, Fred Ballinger (Michael Caine) et sa fille Lena (Rachel Weisz) sont aussi
compliqués qu’ils pourraient l’être dans la vraie vie, et la manière dont cette
dernière réagit face au soudain dé-tricotage de son mariage ne saurait laisser
aucune femme indifférente.
La star
vieillissante qui débarque soudain, tel un oiseau de mal augure (une Jane Fonda
méconnaissable) est plus vraie que nature, et les dialogues de la scène qui
l’oppose à Mick / Harvey Keitel ont une verdeur ébouriffante. Et, génial coup de
griffe aux vieux de la vieille, il nous est bien asséné que, désormais, c’est à
la télévision que se concocte la meilleure fiction. Culotté !
La
relation amoureuse naissante entre la fille de Fred Bollinger (Michael Caine)
et un alpiniste fort barbu (qui évoque, je ne sais pourquoi, un personnage
de Jules Verne) est illustrée par des plans vertigineux. On peut deviner que
ces deux-là vont s’envoyer en l’air pour de bon. Tout comme ce couple au
mutisme mystérieux à table, qui retrouve la puissance de ses cordes vocales une
fois lâché en pleine nature. Décoiffant !
Harvey Keitel & Michael Caine
Image prise sur ce site.
Sans
oublier l’épisode censé vendre le film au public, qui montre les
deux vieux amis en train de mariner dans une piscine tiède, lorsqu’arrive, plus
dénudée qu’Ursula Andress dans James Bond
contre Dr No, une bombe sexuelle qui ne peut que leur faire lever… les yeux – en un accès de frustration lucide. D'autant plus que la belle a oublié d'être bête.
Mais
surtout, surtout, Paolo Sorrentino, l'encore jeune réalisateur de ce film soulève en
filigrane (et explicitement) les questions que nous nous posons tous et toutes,
arrivés à un certain âge, sur notre capacité à aimer, à avoir aimé, à nous
souvenir, et à oublier : la façon dont les deux héros gomment et se
remémorent tour à tour certains détails de leur passé amoureux nous atteint droit au cœur. Pour finir, c’est l’épouse de Michael Caine qui se révèle avoir
sombré dans le monde de l’oubli total. Il faut à un réalisateur quadragénaire
une bonne dose d’intuition pour soulever ces questions-là avec autant d’acuité.
Poétique,
ce film l’est aussi, voire surréaliste. La scène montrant Michael Caine dirigeant
un concert de cloches de vaches et de chants d’oiseaux est un morceau
d’anthologie. Celle où Harvey Keitel (le réalisateur en mal de conclusion de
son film) revoit, plantées sur la prairie, les stars qui ont illuminé ses films
à succès, tout kitschissime qu’elle soit, est envoûtante.
D’une
certaine façon, YOUTH est très graphique dans sa facture, qui rappelle par moments
celle d’une bande dessinée – et le voilà, le vrai clin d’œil à la
jeunesse !
Ce
mélange-là a dû donner de l’urticaire à certains critiques, qui ont descendu le
film au lance-flamme, et au jury de Cannes, qui ne l’a pas récompensé. Gratitude se
régale à en dire du bien – même si, une dizaine de minutes en moins ?…
(Mais qu'aurait pu ôter Paolo
Sorrentino, à ce bain de jouvence qui continue de vous habiter, longtemps, longtemps, longtemps, après que le rideau s'est refermé... ?)
YOUTH. Italie (1h58). Avec
Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano, Jane Fonda.
Alors j'y vais, c'est sûr.
RépondreSupprimerClaude
Merci Cathie pour cette belle critique qui fait chatouiller l'envie de voir ce film . Je sors du cinéma , vu "Marguerite" à ne manquer sous aucun prétexte; Bisou Myriam
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec presque tout ce que tu as écrit, bien que mon intérêt pour ce film n'aille pas jusqu'à l'enthousiasme que tu exprimes. Bises.
RépondreSupprimerMichèle
C'est un peu drôle, ce film - italien, mais la troupe parle en anglais et la première était en France (Cannes, mai 2015).
RépondreSupprimer"Not a lot of people know that" (attribué à Michael Caine par Peter Sellers)!