Non, je ne reprends pas
ici un billet antérieur sous une forme différente. Quoique…
C’est l’actualité, comme souvent, qui me fait
réagir, et notamment celle qui touche à mon domaine de prédilection, à mon
centre d’intérêt primordial – j’ai nommé celui de l’écriture.
Et ma réaction a été vive, instantanée, à l’annonce
du lauréat du Prix Nobel de littérature 2016. J’ai éclaté de rire, en me
demandant si les membres de cet illustre jury subissaient à leur tour les
effets des substances consommées par leur chouchou, et si la nostalgie de leur chevelure fleurie (pour ne pas dire
leur barbe) les avait embués au point qu'ils en aient oublié ce que représente la notion de
littérature, en tout cas pour le monde cultivé qui la respecte. Mais non, ils
avaient fait preuve du plus grand sérieux en couronnant de couronnes suédoises
un barde rebelle du vingtième siècle.
Je ne le nie pas : j’ai longtemps éprouvé une
grande admiration pour le chanteur et le compositeur Bob Dylan, j’ai aimé écouter ses
chansons, leur mélodie, reconnu son originalité et la place qu’il a tenue, à maints égards, dans le monde
de la musique. Je ne nierai pas un instant sa contribution à l’esprit d’une
période, même si celle-ci est révolue depuis belle lurette. Bob Dylan appartient à notre histoire, et la nostalgie est toujours ce qu'elle était.
Mais voilà, je me demande vraiment ce que donnent ses
textes une fois traduits en français ou en suédois et si, même en V.O, lus
dans le silence d’une page imprimée, ils peuvent entrer dans la même ligue que ceux des grands écrivains et poètes de notre époque. Non, je ne me le demande
pas. Ma réponse est claire, et elle est négative. Sans musique, et surtout sans la
musique de la langue originale, on est fort déçu. Cette lecture peut même
être un pensum éprouvant, selon la traduction qui en est donnée. Tous ceux qui se sont un jour essayé à l'exercice de traduction savent que seul un très bon texte résiste au passage d'une langue à l'autre. Les plus faibles s'effritent lamentablement, ligne après ligne. Quant aux chansons... leur spécificité les rend encore plus difficiles à transposer. Donc, comment éviter le ridicule*, pour en mettre les paroles à la portée de ceux qui ne maîtrisent pas la langue source ? Un prix tel que le Nobel de littérature (et non de la chanson populaire) peut-il récompenser l'auteur de textes que seule une partie de la population mondiale pourra apprécier à sa juste valeur ? Est-ce bien démocratique ?
Ce site est dédié à Bob Dylan, je vous laisse donc
le soin d'en parcourir le contenu par vous-même.
Et maintenant comparez ces vers à ceux des poètes
contemporains que vous connaissez. Ou s’il fallait absolument récompenser un auteur-compositeur, à ceux du Canadien Leonard Cohen, Et pourquoi pas, à la verve de notre
Pierre Perret national ? Comme poète de la langue vivante, il se pose en
maître – même si je souhaite bien du courage à celui ou celle qui
s’attaquera à la traduction de ses textes en suédois. Le Pierrot, il s'en tordrait les boyaux, de rire !
En résumé, si vous êtes clairvoyants, la vérité
vous aveuglera.
Hélas, en l’occurrence, c’est le Comité Nobel qui a
été myope en ne récompensant pas un écrivain américain autrement plus important
pour le monde littéraire et pour les lecteurs, à savoir Philip Roth. Parmi les autres écrivains
de langue anglaise, pour ne parler que de ceux que je connais le mieux, il y en
a tant d’autres qui mériteraient de voir récompensé le travail de toute une
vie.
Et puis, ne le nions pas, l'arrogance affichée du récipiendaire n'est pas négligeable.
L’Académie a joué l’anticonformisme ? Elle
reçoit la monnaie de sa pièce. Son lauréat la méprise, en n’accusant pas
réception de ce prix pendant plus d’une semaine, et en supprimant sa mention de
son site officiel. Lire ceci pour plus de détails.
Certes, le prix a déjà été refusé par le passé, et
notamment par Jean-Paul Sartre en 1964, mais au moins celui-ci avait-il répondu et
expliqué les raisons de son attitude, comme par exemple le fait que le Prix était "beaucoup trop tourné vers l'Occident"... Ironiquement, ce dernier prix lui donne à nouveau raison.
Le silence actuel de Bob Dylan est pour le moins curieux : durera-t-il ? L'artiste se détournera-t-il aussi de la somme conséquente qui accompagne ce prix ? Et sinon, qu'en fera-t-il ? (Cela ne nous regarde pas ? Tant pis, je me le demande quand même !)
À noter que dans le passé, cela ne l’avait pas gêné de se faire rémunérer par des marques
telles que Victoria Secret, Cadillac, Chrysler, ou Pepsi. (source : The
Guardian, ici).
Le silence actuel de Bob Dylan est pour le moins curieux : durera-t-il ? L'artiste se détournera-t-il aussi de la somme conséquente qui accompagne ce prix ? Et sinon, qu'en fera-t-il ? (Cela ne nous regarde pas ? Tant pis, je me le demande quand même !)
Sourions-en : Bob Dylan, en se comportant
ainsi, met du baume au cœur des éducateurs d’aujourd’hui. Nous avons là un bel
exemple prouvant que le temps ne fait rien à l’affaire, et que les plus jeunes ne sont
pas les seuls à se comporter en gamins mal-élevés. Ceux qui ont pu un jour observer le mépris affiché du même artiste pour son public en gardent encore un souvenir amer. Il convient de distinguer l'homme de son œuvre, nous dit-on. Mouais. Il n'en reste pas moins une certaine déception, voire une aigreur face à cette récompense. Dans les années 60 et 70, le Prix Nobel a été attribué à des géants de l'écriture tels que : John Steinbeck (1962); Miguel Angel Asturias (1967) ; Samuel Beckett (1969) ; Pablo Neruda (1971); Saul Bellow (1976); Isaac Bashevis Singer (1978) – j'admets que mes illustrations sont très partiales, et je ne cite pas volontiers le cas de Gunter Grass (1999) que l'on aurait bien voulu voir rendre sa médaille une fois publié son magnifique (au plan littéraire, sinon politique) "Pelures d'oignon", dans lequel (je vous préviens, ça va être lourd) il n'était nullement question d'herbe, ni de la beat generation, mais de son engagement dans les jeunesses hitlériennes. Hélas.
"The times, they are (certainly, encore et toujours) a-changing, et en matière de Prix Nobel aussi...
Alain Finkelkraut, qui aime la provocation comme
chacun le sait, a récemment répondu à la perfide question "était-ce mieux
avant ?" en donnant un exemple tout simple. Celui du temps (pas si
lointain) où un jeune professeur de philosophie nouvellement nommé dans un
lycée technique d’une province ordinaire, pouvait s’y rendre sans la moindre
peur au ventre, et y exercer son métier avec sérénité. Ses élèves, même les moins motivés, le traitaient
avec respect. Aucun de ses collègues n'avait démissionné. Il ne l’a pas dit, mais
j’ajoute que d’autres professeurs – d’anglais, par exemple –, pouvaient
enseigner les chansons de Bob Dylan sans, non plus, encourir le rejet d’une partie des lycéens : en ce temps-là, personne ne se posait de questions sur les "origines" de Robert Zimmerman. Voilà pourquoi, cette fois-ci, je partage totalement le point de
vue d’Alain Finkelkraut :
Ce n’était peut-être pas mieux avant, mais en tout cas, ce n’était pas toujours pire non plus.
~ ~ ~ ~ ~ ~ ~
* Exemple :
Et c'est une dure, et c'est une dure, c'est une dure, c'est une dure,
Et c'est une pluie dure qui va tomber.
Hmm. Moi, je suis très reconnaissant et j'ai beaucoup de gratitude pour le travail de Bob Dylan depuis 55 ans. Son écriture est magnifique - avec quelques ratés, mais bon, sur 55 ans, qui n'en a pas? C'est aussi la reconnaissance de la Beat generation dont tous sont morts (sauf Ferlinghetti): Kerouac, Ginsberg, même Burroughs. Après ça, les prix et les récompenses ne sont que détails.
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