ANA, MON AMIE
Tu nous as tous abandonnés le 18 août
dernier, après quelques semaines d’indécision… Ta si belle famille en est
effondrée, et moi aussi.
Avec la science du retard que tu maîtrisais si bien, tu as attendu que je rentre de mon
séjour britannique pour tirer ta dernière révérence, me permettant ainsi d’être
présente à tes funérailles – mais je suis si malheureuse que je ne sais si je
dois t’en remercier.
Toi qui as lu chacune des lignes que
j’ai publiées, sur papier ou sur ce blog, toi qui as accompagné mon écriture
avec vigilance, exigence, mais surtout avec une extrême bienveillance, tu
détesterais que je parle de toi ici, en public. Ta nature discrète en
souffrirait.
Pourtant, je ne peux m’empêcher de le faire,
car tu as été, ma chère Anne-Marie, une lumière pour bien d’autres que moi, et
je me dois, je nous dois, de te rendre hommage, ne serait-ce que de manière
imparfaite, et subjective.
Je n’entrerai pas dans les détails de
ta brillante carrière de professeur d’espagnol, qui s’est achevée avec ta
nomination méritée en Classes Préparatoires littéraires, au lycée Masséna de Nice.
Je mentionnerai seulement le fait que c’est au lycée d’Estienne d’Orves de Nice
que nous nous fîmes connaissance, en 1978, lors de mon arrivée en ce beau lieu.
Nous y fûmes collègues pour la même classe de première, et devinrent amies dès
le premier conseil de classe, sûrement unies par notre hostilité à une certaine
imbécillité administrative de l’époque !
Je me contenterai de dire que tes
élèves t’adoraient. La file d’attente autour de ton bureau à la fin de tes
cours était incroyable. Elles – surtout des filles, dont la mienne – s’y
pressaient au prétexte de te demander une explication supplémentaire, mais
surtout dans l'espoir de te voir s’occuper de chacune personnellement. Stoïque,
tu continuais de remplir avec soin ton cahier de textes (lequel est devenu
virtuel, donc hélas dénué de toutes pattes de mouche personnalisées) tout en
prêtant l’oreille à leurs petits soucis. De temps à autre tu levais les yeux et
leur adressais ce sourire qui les envoûtait tant – et pas que tes élèves !
Oui, Ana, mon amie, tous et toutes
t’adoraient et t'estimaient. Jamais je n’ai entendu quiconque dire quoi que ce soit de négatif
à ton sujet, dans un milieu où l’on ne s’épargne guère. La raison en est
simple : jamais tu ne donnais prise à la bêtise. Digne et souriante, telle
une princesse orientale, tu laissais passer loin de toi la médisance.
Et puis, il y a eu, plus tard, ton
magnifique travail de traductrice, en collaboration avec Albert Bensoussan, ton
ami de jeunesse. Avec ou sans lui, tu as traduit de l’espagnol pas moins de
treize ouvrages, permettant aux non-hispanisants d’avoir accès, entre autres,
aux beaux textes de Mario Vargas Llosa – dont je suis contente d’avoir été la
première à t’informer, à midi précise un jour d’octobre 2010, qu’il était le récipiendaire du Prix Nobel de Littérature.
Ton travail phénoménal a culminé en
2016 lors de ta collaboration à la publication de toutes ses œuvres dans la
collection de la Pléiade, chez Gallimard. Nous notons qu’il est le seul auteur
de langue étrangère à entrer de son vivant dans cette prestigieuse
Bibliothèque… La qualité de la
traduction y est sûrement pour quelque chose. On peut voir ici une liste non
exhaustive des publications auxquelles tu as participé. Et, plus modestement, il va de soi que ton nom figure à la fin de chacune des miennes – dans la rubrique "remerciements", bien sûr.
Ana, ton sens du phrasé, du rythme,
ta connaissance si parfaite de la langue française, ton souci du détail
(oserais-je dire, avec un clin d’œil, de la virgule et du point-virgule ?)
rendaient magique la lecture du moindre de tes messages. Pour l’amoureuse de la
langue que je suis, outre leur aspect personnel si touchant, c’était un bonheur permanent que de communiquer avec toi. J’aimais
aussi le son mélodieux de ta voix souriante. Parfois tu me lisais au téléphone
de longs passages d’une traduction sur laquelle tu venais de travailler, et tu
me demandais mon avis ! Et parfois même je pouvais te le donner, et tu en
tenais compte, ce qui me sidérait. Nous faisions partie de la même secte, en
quelque sorte, sauf que la mécréante que je suis te considérait avec respect
comme sa grande prêtresse. Tu n’en savais rien ? Cela m’étonne, finaude
comme tu étais, peu de choses t’échappaient de ce qui est humain…
Au-delà de cela, que dire sinon que
la lumière de ton amitié me manque déjà. Elle me manquera longtemps ; sinon
à jamais. Je sais que chacune des phrases que j’écrirai dorénavant sera empreinte de ta présence, et de ton absence. Je me demanderai toujours, la gorge serrée (comme en cet
instant) : "Qu’en penserait mon amie ?"
Me manqueront aussi nos échanges culinaires
– quelle gourmande tu étais – et surtout littéraires. Ta culture phénoménale m’éclairait,
me stimulait. Pourtant, plus encore, c’était la chaleur de ton amitié si sincère,
si profonde, si précieuse, qui rendait chaque rencontre spéciale et unique. Tu m'as écrit une fois être fière d'être mon amie, c'est le plus beau compliment que j'aie jamais reçu.
Ana, mon amie si chère, je suis émue de
t’avoir ainsi "partagée", ainsi que ces souvenirs, grâce à ce blog que tu as suivi depuis
le début, avec une fidélité à toute épreuve. Ma peine est aussi immense que la gratitude
que je continuerai à éprouver envers toi pour le cadeau précieux que tu me fis
de ton amitié.
Avec amour.
Cathie.
Elle fut, en effet, ma princesse orientale. Plus rien ne sera comme avant, mais pourquoi faut-il qu'elle soit partie la première? Un, parmi tant d'autres, cœur brisé. Albert (qui quelquefois signait Albanne)
RépondreSupprimerJ'ai connu Anne-Marie surtout à travers ce que tu me racontais,Cathie, et je savais donc qu'elle était exceptionnelle. Une personne comme elle ne disparaît jamais complètement : elle vivra toujours à travers ses traductions,et elle sera toujours présente dans la mémoire de ses ami(e)s.
RépondreSupprimerMichou
J'ai connu Anne-Marie surtout à travers ce que tu me racontais,Cathie, et je savais donc qu'elle était exceptionnelle. Une personne comme elle ne disparaît jamais complètement : elle vivra toujours à travers ses traductions,et elle sera toujours présente dans la mémoire de ses ami(e)s.
RépondreSupprimerMichou
Comment ne pas partager cette lettre-hommage si sincère et émouvante, et te remercier Cathie Fidler pour tes mots pleins d'amour. Ils me rendent tellement fier d'être le fils de cette grande dame que fut ma mère !
RépondreSupprimerPhilippe Le Gac
Suis très touchée, cher Philippe, de ce commentaire. Je comprends ta fierté, tellement justifiée. Ta maman continue à vivre en toi, en nous tous, par la grâce de l'amour qu'elle a su donner et partager avec l'immense générosité qui était la sienne. De cela, je suis certaine.
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