Il est rare de sortir d’une salle de cinéma en ayant l’impression d’avoir vu se manifester à la fois l’intelligence et la sensibilité du réalisateur, et celles de l’acteur principal — qui, en l’occurrence sont une seule et même personne. De même, il est peu fréquent d’éprouver ces sentiments dès les premières minutes de sa projection, et qu’ils perdurent.
C’est pourtant ce qui se produit en regardant GUY, le film réalisé par Alex Lutz, qui en tient le rôle-titre.
Guy, c’est Guy Jamet, un chanteur vieillissant, qui eut son heure de grande gloire entre les années 60 et 90. Aujourd’hui, à 74 ans, Guy, tel un vieux cabot, continue à jouer le jeu du show biz, et à charmer ses fans d’antan, qui ont pris, comme lui, quelques cheveux gris et pas mal de rides.
Le synopsis de ce film est très simple, si simple que je me demande comment Alex Lutz a pu le vendre à ses producteurs. Je vous le pitche brièvement, ainsi que le recommandent les spécialistes du scénario :
"Gauthier, un jeune réalisateur, apprend tardivement que sa mère, à présent décédée, a eu jadis une aventure avec le chanteur dont elle était fan, Guy Jamet, et qu’il est son fils illégitime. Le chanteur revient sur le devant de la scène avec un nouvel album. Avec son accord, Gauthier le suit, caméra au poing, pour enregistrer sa vie quotidienne et son discours, qu’il commente parfois en voix off."
Et puis quoi ?
Rien de plus.
Et c’est tout bonnement génial d’intelligence et de sensibilité. Alex Lutz élude tous les poncifs en les utilisant. Il cerne et joue le personnage avec un talent inimaginable. Le jeune homme qu’il est, bien grimé, devient le vieil artiste qui a subi un petit accident cérébral : sa diction ralentie est d’une justesse totale. Bien entendu, les artistes du maquillage et les costumières sont aussi à applaudir, mais ils et elles ne font pas tout. La démarche, la gestuelle, le travail de la voix de l’acteur principal sont parfaits. Quant aux "seconds rôles", Nicole Calfan, Elodie Bouchez et Dani, ils sont tout aussi exceptionnels. Ajoutons que la présence, dans leur propre rôle, de Julien Clerc et de Michel Drucker est aussi efficace que celles des chevaux du héros !
Et il y a surtout le jeu permanent qui se déroule entre cette caméra fictive, tenue par le "fils" (joué par Tom Dingler) dont on ne voit pas le visage pendant longtemps, et celle, bien réelle, du véritable réalisateur, qui ponctue son récit de flash-backs d’une véracité renversante. Comment Alex Lutz a-t-il déniché les musiciens (Vincent Blanchard et Romain Greffe) qui ont reconstitué le son de l’époque, et composé ces morceaux postiches que l’on aurait pu adorer en ce temps-là, s’ils avaient existé ? Et le directeur de la photographie (Mathieu Le Bothlan), qui a reconstitué la lumière et le rendu des clips ? On s’y croirait ! Au passage, si l’on a plus ou moins l’âge du héros, on est sûr de vivre avec délice ce trip nostalgique, au plan musical comme au plan du décor. La reconstitution des seventies est plus vraie que nature.
En parallèle, tout, dans ce film, est tissé de nuances, et en particulier la relation qui se crée lentement entre Guy Jamet et son jeune interlocuteur, qui ne lâche (presque) jamais sa caméra.
À gauche, Tom Dingler, qui tient le rôle de Gauthier.
Il est strasbourgeois, comme Alex Lutz.
Image prise sur ce site.
© Coadic Guirec / Bestimage
Un tel travail, une telle réflexion sur ce qu’implique la paternité, sur ce qu’un fils peut attendre d’un père, ce qui "fait" un père, au-delà des conventions, sur ce dont il faut parfois savoir se contenter, voilà qui nous sort des sentiers battus, et nous élève. Sans jamais recourir aux discours convenus, ni aux clichés, Alex Lutz amène les spectateurs à capter les non-dits, les émotions profondes des deux personnages, ce qui est un défi, en considérant que Gauthier est quasiment absent de l’image. La réussite totale du réalisateur est d’avoir su ne pas suivre le chemin attendu vers un dénouement – que, bien entendu, on ne saurait révéler.
Alex Lutz nous a donné en cette rentrée un petit bijou décalé à admirer avec tendresse et jubilation. Son talent semble abouti. Que nous offrira-t-il ensuite ? Nous avons hâte de le savoir. En attendant, ne manquez pas votre rencontre avec GUY !
Alex Lutz "himself", dont on connaît le personnage
de Catherine, dans "Catherine et Liliane" sur Canal +
Ici, comme d'habitude, la bande annonce, pour vous éviter de la chercher.
Merci Cathie pour ton bel article!
RépondreSupprimerBises Stéphanie