En vol

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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

lundi 18 février 2019

LE SOURIRE DES ORCHIDÉES



On va sûrement me penser cinglée, dingo, bonne à enfermer, après avoir lu cette phrase : "Mes orchidées me sourient le matin". 



"Peu m'en chaut", ou "Je n'en ai cure", comme l'aurait dit M. le Professeur de littérature américaine Jean Normand, qui fut mon maître à l'Université de Nice quand celle-ci ne s'appelait pas encore Sophia-Antipolis. Il avait de ces phrases-là, que je ne peux oublier, et j'imagine ce qu'il aurait dit de la situation actuelle. 

Lui qui ne souffrait pas que les avions interrompissent son cours, à la nouvelle fac' de lettres (située sur une colline qui dominait l'aéroport), lui que les fachos de l'époque exaspéraient, que lancerait-il aujourd'hui, dans sa langue si relevée, à ces hordes sauvages qui pourrissent nos vies de leurs insultes immondes ? 

En ces jours éprouvants, mes pensées vont vers cet homme qui a tant compté pour moi lorsque j'étais étudiante, et même plus tard, une fois surmontées les épreuves difficiles qui m'ont permis de devenir professeur à mon tour. J'imagine que, loin de proférer les horreurs que les nouveaux barbares crachent avec une haine qui les avilissent, il aurait tout simplement émis quelque chose comme : "Vous n'êtes que des vilains". La classe, quoi, face à la vulgarité première. Un peu semblable à celle de Hester Prynne, l'héroïne de La lettre écarlate, qui transforma en œuvre d'art brodée l'infâme A (de "adultère") que les Puritains l'obligèrent à porter sur la poitrine. Ah, j'oubliais l'essentiel : Jean Normand fut l'auteur d'une thèse sur Nathaniel Hawthorne, qui écrivit cet ouvrage (entre autres).



Quel rapport avec les orchidées ? me direz-vous. Aucun, à part cette digression, fruit de la faculté (!) que nous avons de tisser le présent grâce au passé, d'entremêler nos émotions, et d'évoquer des êtres disparus en regardant une fleur. 


Mes orchidées me sourient donc. Pour la cinquième année consécutive leur floraison insolente est au rendez-vous de l'hiver. Un cadeau lent, qui s'offre à moi jour après jour, à mesure que, bouton après bouton, chaque brindille se colore, explose, puis s'offre aux regards, généreuse et immobile. 






Je les arrose peu. Mais je les regarde beaucoup. Je les protège des rayons du soleil en tirant le rideau. Je crois même que je leur parle. Je les remercie de m'offrir leur beauté contre quelques soins. D'accepter de passer l'été sur un coin de ma terrasse sans même que je m'occupe d'elles. De patienter en attendant que je les rentre, parfois au deuxième frimas, parce que je les ai un peu oubliées dehors. De se concentrer pendant quelques mois encore avant de laisser poindre ce qui sera une succession de merveilles à mes yeux. Et, dans le même temps, je me souviens des amies qui me les ont offertes un jour sans se douter de l'ampleur de leur présent. 



Mes orchidées me sourient. Leur cœur est bigarré, comme devrait l'être, en douceur, ce pays. Leurs pétales sont calmes. Je sais qu'une fois la saison passée, elles ressembleront à nouveau à de vilains morceaux de bois. Mais qu'elles refleuriront l'an prochain. Elles ont la patience au cœur de la tige. 

Parfois j'aimerais que nous soyons tous des orchidées, dont les couleurs ne se heurtent pas, qui vivent ensemble sur un coin de table sans se déchirer, ni s'insulter, car – bonheur suprême, si elles me sourient, elles ne me saoulent pas de leurs cris, elles n'insultent personne, et ne demandent rien d'autre qu'un peu d'eau et de lumière. 



J'aimerais avoir la sagesse de mes orchidées et savoir la partager avec mes compatriotes.  À défaut, je m'accorde le droit de délirer un peu avant de retourner à la jungle de la réalité, loin du jardin secret qu'elles habitent... 



  




3 commentaires:

  1. Tu as raison, Cathy,ton blog est réconfortant. Moi aussi, je parle à mes plantes quand je les regarde ou quand je les arrose. Vous m'avez offert une magnifique orchidée pour mon anniversaire. Je l'ai bien "bichonnée" mais elle est en train de perdre ses fleurs. Je vais m'occuper d'elle avec soin pour qu'elle refleurisse à la saison prochaine.
    Oui, la violence qui suinte partout dans notre société est démoralisante. On arrive à des débordements de haine et de bêtise insupportables. Heureusement que nous trouvons des refuges accueillants comme la famille,les échanges avec les ami(e)s, la lecture, le jardinage, pour n'en citer que quelques uns.
    Encore merci.
    Bises
    Michou

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  2. Merci Cathie, tout cela est si joliment dit !
    Anne-Marie

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  3. Oui Cathy, ta parole me fait du bien.

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