Plus connu pour ses recherches sur la musique composée dans les camps, compilée dans le livre (accompagné d'un CD) dont la couverture figure ci-dessous, c’est à un drôle de spectacle théâtral que nous a conviés, seul en scène, Hélios Azoulay.
Si vous ne connaissez pas ce clarinettiste au génie si original, vous pourrez peut-être un jour découvrir une autre facette de son talent, celui d’écrivain et de comédien. "MOI AUSSI J'AI VÉCU" est le texte qu'il a mis en scène rien que pour nous Niçois, et c'était même une première : quelle chance nous avons eue !
Adapté de sa nouvelle du même nom, ce one-man show nous a été présenté à Nice récemment, dans la salle du Vieux Nice dite "La Providence", bien nommée en l’occurrence. Par un soir de pluie glacée, nous nous sommes (hélas) retrouvés peu nombreux à le voir, mais tant pis pour les absents, ils ont eu tort, une fois encore.
INTRO : "Il a d’abord fallu que je le rencontre et ça n’a pas été facile de le reconnaître c’est mon père je le connaissais peu je le connaissais sur les photos, mais comme il était mort depuis bientôt trente-quatre ans, je n’ai pas tout de suite réalisé que c’était lui qui venait de s’asseoir en face de moi dans le compartiment."*
Tel est le voyage imaginaire que nous sommes invités à partager, en pénétrant avec étonnement et sans effraction dans le monde rêvé de l'auteur-cum-acteur.
Seul en scène, Hélios Azoulay l’occupe à plein temps, à pleine voix, à la folie. Son spectacle – un monologue, parfois ponctué de pièces pour quatuor à cordes de sa composition – est la lecture dramatisée du récit du rêve éveillé d’un personnage qui est peut-être lui, ou pas, et peu importe.
Avec pour seul accessoire une liasse de feuilles à demi-imprimées qu’il jette au sol à mesure qu’avance sa lecture (factice ?), il nous raconte sa "rencontre" avec le fantôme de son père, mort en 1979 à Bombay alors que lui-même n’avait que quatre ans. S’en suivra une série de rencontres inattendues, invraisemblables, illogiques, poétiques (shakespeariennes ?) avec ce spectre, dont la première occurrence se produit dans un train, pour se reproduire ensuite à chaque fois que le narrateur se rend aux toilettes, comme si ce père revenant (dont il déchiffre au début la dernière lettre en ânonnant, tel l'enfant qu'il fut jadis) ne pouvait être conjuré (je pense ici à l’anglais « conjured up » : convoqué) que grâce à une élimination corporelle.
À mesure que s’écoule le temps du récit, les spectateurs sont, à leur corps défendant, entraînés dans ce voyage d’une mémoire inexistante, de Paris à Bombay et retour. Le fils retrouve le père, le suit, et inversement. Le fils observe, de l’intérieur et sur la frange, l’étrange "conversation de brume"* qu’ils entament. "J’avais la voix gercée"*, dit-il. Il se pense fou, bien que "le goût de la certitude du rêve" le pousse à poursuivre l’expérience et le récit jusqu’au bout du bout de ce voyage onirique certes dérangeant mais envoûtant, comme peuvent l’être la véritable création, l’originalité, la démesure.
Amené au bord de la folie, le fils se découvre la même cicatrice que le père, et envisage même de se faire soigner... signe d'une robuste santé mentale : quand on a été orphelin si jeune, il faut trouver des preuves de sa filiation et si on ne les voit pas, se les inventer. Les photos ne suffisent pas à nourrir cette nécessité-là...
Amené au bord de la folie, le fils se découvre la même cicatrice que le père, et envisage même de se faire soigner... signe d'une robuste santé mentale : quand on a été orphelin si jeune, il faut trouver des preuves de sa filiation et si on ne les voit pas, se les inventer. Les photos ne suffisent pas à nourrir cette nécessité-là...
Au terme de ce spectacle, la musique rattrape notre héros, la clarinette aussi, et le voilà sauvé (momentanément) par un mélomane déjanté.
J’ai écrit "sauvé" ? Ceci restera à prouver. Toujours est-il que le spectateur fasciné, dérouté (au sens premier du terme) aura passé une heure et quart et des poussières d’étoiles à poursuivre le sillage des fantasmes d’un véritable créateur, sans se demander qui, de lui-même ou de ce dernier, est hors du temps, parce que, bluffé, il a été transporté dans une sphère inconnue qu’il n’aurait pas une seconde envisagé de visiter sans le talent phénoménal d’Hélios Azoulay. Eh non. Eh oui.
NB. Tout ceci est également applicable aux spectatrices.
NB. Tout ceci est également applicable aux spectatrices.
Désolée, je ne vois nulle part sur internet mention d’une autre représentation de ce spectacle (fantôme, lui aussi ?). En revanche, le texte en est disponible chez Flammarion, ici. À vous de le commander !
Petit scoop, pour conclure : j'apprends que ce récit constitue le premier tiers d'un roman, à paraître chez Flammarion début 2020. Hélios doit en terminer la rédaction, et donc se mettre au travail d'écriture qui, je ne le sais que trop, est très chronophage !
Patientez donc, mais surtout en gardant les yeux bien ouverts, croyez-moi, ce serait dommage de le manquer une seconde fois.
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Le résumé, moins fantaisiste que mon billet, est celui-ci, pris sur ce site :
"Publiée par Flammarion, MOI AUSSI J'AI VÉCU est une nouvelle d'Hélios Azoulay adaptée ici pour la scène.
Mort mystérieusement à Bombay en 1979, le fantôme du père de l'auteur réapparaît 35 ans après, décidé à montrer à son fils, aujourd'hui "plus grand que lui", là où il est mort. C'est l'histoire de ce voyage au pays des fantômes qui sont tout sauf des fantômes.
Seul en scène, Hélios Azoulay s'incarne, se livre et se délivre dans cette auto-fiction, avec pudeur et burlesque nous confiant que nous sommes tissés de nos absents. (...)"
Retrouvez les événements et autres informations concernant Hélios Azoulay sur son site.
* Citations
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