En vol

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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

dimanche 26 avril 2020

CET INDISPENSABLE SUPERFLU

Quand le superflu devient chose nécessaire, voire indispensable... 

Très heureuse de cette constatation, je l'ai partagée avec mon co-confiné. Pour l'entendre me signifier que Voltaire l'avait déjà formulée avant moi.* Quoi ? Le confinement me donne l'esprit de Voltaire ? Voilà qui ne va pas contribuer à ma modestie ! 

Cela étant, il avait raison, le père Voltaire. Et pourtant, il n'a pas vécu l'emprisonnement actuel qui a suscité en moi cette réflexion quasi philosophique. 

L'enfermement imposé nous fait regarder le monde extérieur autrement. Verlaine l'avait écrit de manière autrement plus poétique en observant le ciel depuis sa cellule  : 

                         Le ciel est, par dessus le toit, 
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine 
Sagesse (1881)

Le prisonnier qu'il était ne pouvait même pas se promener une petite heure à l'air libre, comme nous autres en ce moment. Cette heure passée à l'extérieur, ajoutée à celles que nous consacrons à regarder par la fenêtre, nous fait prendre la mesure de l'amour que nous portons à la nature, et le besoin que nous en avons. Les citadins les plus forcenés observent à présent les oiseaux, les brins d'herbe, et, bien entendu les fleurs. 

Dans mon billet précédent j'avais montré ma cueillette de fleurs sauvages, bouquet éphémère mais joyeux, une fois déposé sur un meuble de mon séjour. J'ai récidivé depuis :


Qui me dira si ces fleurs roses
sont de la famille des liserons ? 

(RÉPONSE DE MON AMIE BOTANISTE 
DEPUIS LE LAC D'ÉVIAN : CE SONT DES CONVOLVULUS.
ET VOILÀ.) 



Je me pensais originale ? Là encore, je ne faisais que participer à un mouvement global. Sur ma colline, le long de la route, il ne reste plus guère de ces fleurs-là. D'autres que moi ont eu la même idée. Sûrement par désir de faire entrer la nature dans leurs maisons. Faute de pouvoir jardiner correctement sur son balcon ou sa terrasse, et les fleuristes étant fermés**, chacun se rabat sur ce qui est disponible à proximité. 

Ensuite, j'ai vu, j'ai observé sur Facebook et ailleurs, des plantes et des bouquets fleuris, photographiés à foison. On se les échange, on se les montre, on les "like" à qui mieux mieux !




Photos ci-dessus confiées par mon amie ©Gabriella Jerusel







Les magnifiques fleurs de passiflore
de mon amie Michèle Cagnoli
dominent une rue vide...
Photos ©M.C. 

Et puis, j'ai appris que mon fleuriste favori du Cours Saleya – à Nice, pour les non-niçois – pouvait livrer ses fleurs. Avec une excitation soudaine, incontrôlable, je lui ai commandé une brassée de roses (deux, en fait) et, à vrai dire, leur prix m'a paru dérisoire au regard du plaisir de le voir arriver avec son fourgon rempli de fleurs, et de se saluer comme de vieux amis qui ne se sont pas vu depuis des lustres ! 


Leur prix est véritablement 
raisonnable, croyez-moi. 

Allez, je ne résiste pas. Voilà où vous pourrez en savoir plus sur Mège Père & Fils !



Photo du père et du fils, 
empruntée sur leur page Facebook
Certains les reconnaîtront sûrement !

J'ai eu envie de partager ces merveilles, et pu constater l'enthousiasme de mes voisines à la vue de quelques roses offertes – sans contact, bien entendu. 

C'était comme si, soudain, la prise de conscience du manque de ce superflu leur sautait à la figure, rendant ces bouquets indispensables à leur joie de vivre –  comme à la mienne –, leur donnant, comme à moi, le désir impérieux de s'en procurer ensuite, s'en entourer, de ne plus vivre sans ces cadeaux du printemps. Du moins, c'est ainsi que j'ai perçu leur réaction.

En ce qui me concerne, je rajoute aux bonheurs que me procurent les fleurs celui d'observer la famille de tourterelles turques qui niche entre deux branches du magnifique cèdre qui fait face à ma cuisine, et à mon bureau. Indifférentes aux humains, le couple construit son nid, le consolide à l'aide de brindilles, s'y installe, y pond, couve, surveille ses deux petits. Je ne sais qui est le papa, qui est la maman, les deux étant tout aussi assidus.

J'ai du mal à les photographier, car ils se cachent souvent derrière les brindilles de l'arbre, mais leur vue, aussi fugitive soit-elle, me réjouit énormément et, le temps m'appartenant, je guette sans la moindre impatience les allées et venues de "mes" oiseaux de compagnie. Avec leurs six couvées par an, j'ai du stock d'observation en perspective !



Vous ne les voyez pas, non plus ? Normal. 
Après avoir évoqué Voltaire, 
passons à Saint-Exupéry : 
vous rappelez-vous "Le Petit Prince",
et le dessin de la caisse 
qui contenait un mouton, 
si dur à dessiner ? 


Là encore, je ne suis guère originale. Le silence et le calme ambiant rendent les oiseaux moins farouches. Tous et toutes les re-découvrent, apprécient leur présence, leurs chants, tellement plus audibles en ce moment, y compris en ville. 

Il faudrait que ce superflu-là reste indispensable ; non, il faut qu'il le demeure, parce qu'il permet de transformer un brin d'herbe en gerbe de plaisir, une goutte de pluie en diamant, une larme en perle, une trille en concerto, et un enfermement subi en pétales de bonheur volé. 





Sublime rose du jardin de mon amie,
digne de celle du Petit Prince...
photo ©Michèle Merowka

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ 


* En réalité, dans le poème intitulé "Le mondain", Voltaire faisait plutôt, et avant même que le terme existe, l'éloge de la mondialisation, l'apologie du luxe et des plaisirs – se plaçant ainsi à contrepied des valeurs, alors prévalentes, d'austérité ou de sacrifice. 

Jugez-en par vous même en lisant cet extrait, étonnant de prescience.
(Et pan sur mon bec !...)

"Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements : 
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon coeur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air, 
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
O le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :
Martialo n’est point du siècle d’or.
D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu ? c’était pure ignorance."

Voltaire, extrait de Le Mondain





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** Ouverts depuis ce vendredi à Nice sur décision municipale, et avec l'accord du préfet, afin que le muguet du 1er mai puisse être vendu : attention, sur commande seulement, à retirer ou à se faire livrer à domicile. 



1 commentaire:

  1. Beau blog, plein de poésie et de belles images de la nature qui reprend ses droits et nous enchante, malgré l'enfermement auquel nous sommes tous condamnés. Merci ma chère Cathie !

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