Quand je n’écrivais pas encore, et que je fréquentais assidûment, les salons et festivals du livre, je me souviens avoir éprouvé une certaine pitié pour ces malheureux auteurs, alignés en brochettes le long des stands, à attendre le lecteur motivé, par tous les temps, avec sur les lèvres un sourire engageant… Je me disais que cela devait être très éprouvant de voir passer, pendant des heures, ce défilé d’individus tantôt surexcités, tantôt indifférents - dont je faisais partie.
Ce n’était pas la raison pour laquelle je dépensais tous mes sous chez l’un(e) ou chez l’autre de ces malheureux, non, je n’étais pas charitable à ce point. Emportée par ma passion pour la lecture, je me laissais juste très souvent tenter par un titre, par le plaisir rare de me le faire dédicacer. Je repartais en général avec un sac lourd de volumes, sans trop me soucier de savoir où je les caserais, ni quand je trouverais le temps de les lire.
À présent, il m’arrive d’être de l’autre côté de la table, à mon tour ! J’avoue en éprouver beaucoup de fierté et de satisfaction, même si j’ai conscience de n’être qu’une débutante, et encore plus quand il s’agit d’accrocher les visiteurs. J’admire ceux et celles qui, assis ou debout, savent attirer les passants par la force de leur intime conviction, font le « pitch » de leur livre sans bafouiller, pour ensuite rédiger d’une plume rapide une dédicace que j’imagine personnalisée et spirituelle. De vrais pros, ceux-ci.
Pour parfaire mon apprentissage, donc, j’écoute aussi les passants, et les remarques que j’entends sont instructives, en effet. Nombre d’auteurs en reconnaîtront l’authenticité :
« Oui, ça a l’air intéressant, merci, je repasserai. »
« Je vais demander à ma femme, elle cherche un cadeau pour ma belle-mère, je reviens avec elle. »
(Naturellement on ne les revoit que si on est passé à la télé !)
« Ah, si on devait acheter tout ce qui nous plaît… »
« Si seulement j’avais encore de la place dans ma bibliothèque ! »
(Encore faut-il en avoir une !)
« Je le prendrais bien pour ma fille, mais elle n’aime pas lire. »
« Moi, je ne lis pas, ça me fatigue les yeux. »
(On se demande pourquoi ils sont venus alors !)
Et dans la série, «You can’t win ! » :
« Oui, ce serait une idée de cadeau. Mais je ne sais pas si ça va lui plaire ! »
« Encore un truc sur la guerre, ah non, c’est trop triste ! »
« C’est de la fiction ? Non, je n’aime que l’histoire. »
« Ça a l’air long, j’ai pas trop le temps de lire, vous savez. »
« C’est des nouvelles ? Ah bon, je cherche plutôt un roman. »
« Je le prendrai à la Fnac »
« La couverture est très beau – mais je suis Bulgare, je pas bien lire en français… »
Du danger des salons régionaux qui ne vendent pas que du papier imprimé :
« J’ai tout dépensé sur le stand de l’artisanat local, une autre fois ? »
Et puis, limite vexant :
« C’est vous qui l’avez écrit ? »
« Il se vend bien ? »
« Vous savez quand elle va revenir, Nadine de Rothschild ? », avec sa variante :
« Il est où, le stand des frères Bogdanov ? »
Et pourtant, j’en redemande, du salon, car au-delà de ces petites phrases assassines, il y a le miracle de la rencontre avec de vrais curieux qui, en amoureux de l’écriture, prendront le risque de la découverte. Il y a la surprise d’entendre raconter des choses quasi-intimes, au-dessus d’une pile de livres… Sans oublier le plaisir du temps passé à bavarder avec des auteurs inconnus ou reconnus, de partager bonnes adresses et bons plans, entre « collègues » ! Et, au pire du pire, la joie de repartir le chariot plein de leurs livres - échangés contre les miens !
À quand le prochain salon, déjà ?
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