Vous avez beau vouloir tout prendre du bon côté, il y a des jours où c’est plus dur que d’autres. Quand, par exemple, vous avez fait la queue au supermarché pendant si longtemps que, logiquement, ils auraient dû activer leur « ligne bleue » et ouvrir dix caisses de plus – mais non, ils n’en ont rien fait, et vous avez eu tout le temps de téléphoner à droite et à gauche, de vous endormir sur le chariot, et même de pester après la caissière - la pauvre, elle n’y est vraiment pour rien si la mémé, trois personnes avant vous, a du mal à écrire son chèque et a oublié sa pièce d’identité…
Et quand enfin, paf, c’est à vous de tout placer sur le tapis roulant, c’est juste à ce moment-là que vous vous apercevez que l’ingrédient essentiel à votre recette de demain soir manque à l’appel. Pas moyen de vous échapper, c’est trop tard, ça bloque derrière, ça accélère devant, c’est irrattrapable, faudra juste changer de menu, ou annuler l’invitation.
Ou alors, quand vous aviez fait le ménage à fond dans la cuisine, et que le plombier (que vous attendiez depuis trois jours) est venu déboucher l’évier, et qu’il a tout « pastissé » (il y a de la graisse noire de partout, des éclaboussures jusqu’au plafond, et même s’il vous a dit « Vous inquiétez pas ma petite dame, je vais tout bien nettoyer avant de partir » -, vous savez qu’il vous faudra la journée pour tout récurer), cela vous plombe le moral, non ?
Et quand (je me demande si ça vous arrive à vous aussi) vous avez … Non, là je m’arrête, je suis persuadée que vous avez vécu tout cela, voire pire, et que vous avez râlé comme moi, en vous demandant ce qui pourrait bien vous remettre le moral en place, et des idées roses dans le cerveau.
Alors, moi, j’ai la chance extraordinaire d’avoir une amie qui sait masser les pieds.
Elle est adorable, car elle prétend avoir besoin de cobayes pour s’entraîner, et il paraît que je suis un bon cobaye. Ne me demandez pas pourquoi, ni quelle est la nature de la peau de mes pieds, je pense plutôt que son sens de l’amitié est en cause. Toujours est-il que les heures (si, si) qu’elle passe à me faire un massage thaïlandais des pieds a un effet quasi-instantané sur mes neurones, ma thyroïde, mon thymus, ou mon hypophyse, car cela me met dans un hyper-état de grâce qui me fait oublier pour toujours les mésaventures de la journée, et même ne pas envisager une seconde celles des années à venir.
Le plus extraordinaire, c’est que tout en s’occupant avec un professionnalisme extrême de mes extrémités, elle est capable de me raconter des merveilles, des anecdotes exceptionnelles, de ces choses qui m’inspireraient des romans si, embrumée de détente, je n’étais moi, incapable de les noter, et encore plus de les mémoriser.
Tant pis. Tout ce que j’en retiens, c’est que je passe plus volontiers par les épisodes désagréables du quotidien, en sachant que, de temps à autre, ma sauveuse aux mains d’or saura les éradiquer de mon système, me faire la peau douce, et me remettre sur pied… jusqu’à ma prochaine visite au supermarché !
***
Dans un autre registre, voilà que me revient ce poème sombre, appris au lycée il y a fort longtemps, que mes amis hispanistes reconnaîtront. Son auteur, Gabriela Mistral, obtint le Prix Nobel de Littérature en 1945.
PIECECITOS DE NIÑO
Piececitos de niño,
azulosos de frío,
¡cómo os ven y no os cubren,
Dios mío!
¡Piececitos heridos
por los guijarros todos,
ultrajados de nieves
y lodos!
El hombre ciego ignora
que por donde pasáis,
una flor de luz viva
dejáis;
que allí donde ponéis
la plantita sangrante,
el nardo nace más
fragante.
Sed, puesto que marcháis
por los caminos rectos,
heroicos como sois
perfectos.
Piececitos de niño,
dos joyitas sufrientes,
¡cómo pasan sin veros
las gentes!