Dans la droite ligne de mon dernier billet, la
question se pose à nouveau pour moi de cette autre ligne, censée être claire, entre
le bien et le mal.
Curieux comme parfois il ne se passe rien de
concret à relater pendant plus d’une semaine, et puis soudain le même thème
revient, décliné sous (à peine) une autre forme, me forçant à le traiter.
Après Itsvan Szabo, donc, et la plongée dans le monde
hongrois qu’il transporte avec lui, j’ai découvert hier une autre facette de
cet univers, grâce au film présenté à la Cinémathèque de Nice par le FSJU, à
l’occasion de la journée de commémoration de la Shoah, le 8 avril.
Ce film s’appelle en français LE JUIF QUI NÉGOCIA AVEC LES
NAZIS. Il a été réalisé et produit par une américaine, Gaylen Ross. Je ne vais
pas le résumer ici, ni vraiment l’analyser, car cela a été très bien fait dans Le Monde, l’an dernier. ICI.
Et même LÀ.
J’ai juste envie de remercier la providence qui a
mis ce film sur mon chemin, car il est une des étoiles de la constellation qui
m’éclaire, et m’interpelle. Voilà un jalon supplémentaire au dilemme qui me
préoccupe : qu’est-ce qui détermine la frontière entre la gratitude et
l’ingratitude ?
Cet homme-là, Kasztner, a sauvé d’une mort
certaine plus de 1600 personnes. A-t-il pour cela vendu son âme au diable, comme
cela a été dit, pour l’enfoncer au fond du trou, par un jeune pays, Israël, qui n’avait pas encore pris la mesure de la
perversion manipulatrice qui avait permis ce génocide ? A-t-il collaboré, terme inique, réducteur et
définitif ?
Nous n’en savons rien, même après avoir vu ce
documentaire, et c’est cela qui est intéressant.
Tout le talent de Gaylen Ross est dans le montage
de son film. Il commence avec un coup de poing : le récit froid, détaillé,
illustré, de l’assassinat de Kasztner par Zeev Eckstein, saisi sur les lieux mêmes de son forfait.
Et puis, de loin en
loin, il y a l’auteur de ce documentaire, filmée plan rapproché. Elle nous
emmène dans sa quête de « vérité ». Elle nous rapproche des
différents acteurs de cette tragédie, les rapproche aussi entre eux,
construisant son récit en boucle, avec pudeur, délicatesse et une puissance
étonnante – grâce à sa maîtrise du montage et de l’éclairage. Les deux côtés y
sont présentés avec la même honnêteté, sans la moindre complaisance. On pourrait presque dire que Gaylen Ross
a fait là un travail d’entomologiste, chaque détail a été mis sous le
microscope de sa caméra implacable. Pas la moindre sensiblerie. Pas l’ombre
d’une guimauve. Et pourtant, que d’émotion elle suscite ainsi !
La fin nous laisse pantois, avec ce
questionnement lancinant, quelle que soit notre position : Qu’aurions-nous
fait ? Qui sommes-nous pour juger cet homme ? Pouvons-nous même
juger son assassin officiel ? Ce pays, Israël, a-t-il atteint le comble de
l’ingratitude en mettant au pilori ce sauveur d’âmes ?
J’en suis ressortie avec cette petite
réflexion : Il est flagrant que l’on ne peut négocier qu’avec ses ennemis,
et que, ce faisant, on entre en contact rapproché avec eux. Et que ce contact, semblable à celui qui se produit entre des otages et leurs ravisseurs, ne peut que laisser des
traces – sur les deux parties. Qui nous dit que Kaszner n’a pas ressenti une forme de dette envers ceux qui l’avaient « aidé » dans sa folle entreprise ?
Ce sentiment de gratitude est-il impossible à éprouver à l’égard de bourreaux ?
Questions sans réponses.
Toujours est-il qu’à présent, une forme tangible de
gratitude est enfin manifestée à Yad Vashem, où une section reconnaît et
affiche les détails du sauvetage par Israël Kasztner de 1684 juifs hongrois.
Une des dernières images du film nous fait voir un petit bébé dans les bras de son père. Une vie de plus, qui, sans Kasztner ne serait pas.
Merci à tous ceux et celles qui nous ont permis de découvrir ce film. À paraître en DVD en mai 2013.
Merci à Gaylen Ross. Pour son talent, pour sa
sensibilité, pour sa sincérité.
Un extrait d'une interview citée dans le journal MARIANNE, en guise de conclusion :
« J’ai fait durant des années des films pour le compte de la Jewish Foundation for the Righteous qui honore la mémoire des Gentils pour avoir sauvé des juifs durant la guerre. Mais les sauveteurs juifs n’étaient jamais mentionnés et, jusqu’à aujourd’hui, ça reste un sujet délicat pour beaucoup. Comment un juif pouvait-il sauver d’autres juifs alors que tant de millions n’ont pu se sauver eux-mêmes, leurs familles, leurs communautés ? Pour les survivants, c’est une question toujours très douloureuse. »
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À l'intention des anglophones, une interview d'elle, donnée lors du Festival du cinéma israélien de Paris, à regarder ICI.
PS. À paraître, un livre
que je recommande avec enthousiasme, sur le sort d’une famille hongroise entre
la France et la Hongrie pendant la guerre. Enfin traduit en français, par Josée Kamoun :
LE PONT INVISIBLE, de Julie Orringer.
Voilà une réflexion fort intéressante. Merci Cathie
RépondreSupprimerGeorgette
Comme d'habitude, un article qui pousse à la reflexion, Catherine. C'est encore un sujet difficile à traiter. Merci.
RépondreSupprimerDans mes propres recherches sur l'occupation allemande (France), je suis tombé sur de nombreux cas de personnes qui ont été dénoncés à la Gestapo ou la police de Vichy. Parmi ceux qui ont été trahis étaient des juifs et d'autres étaient des résistants.
Ensuite, il y a d'autres cas où les gens ont été sauvés grâce à l'intervention d'un autre. Souvent, il y avait quelques « négociations » avec l'Occupant. Parfois, on a fait un «paiement» à l'autre. Il s'agit d'un dilemme.
Pourtant, en fin de compte, il faut avoir avec une conscience tranquille.
Avec amitiés,
Joseph