Ceux et celles qui ont lu HISTOIRES FLOUES savent que ce qui m’intéresse au plus haut point
c’est le comportement des êtres en temps de crise. À mon fils qui se moque
(gentiment) de moi parce que nombre de mes écrits ont pour cadre la dernière
guerre mondiale, je réponds souvent que ce n’est pas juste ses horreurs qui me
touchent, mais tout un contexte trouble qui
a mené des êtres ordinaires à des comportements inattendus, et donc
intéressants.
Dans la Gratitude
du Ouistiti, il est question du maire d’un petit village provençal qui est
foncièrement antisémite – comme tant d'autres l’étaient en ce temps-là. Mais par amour vrai,
il en arrive à prendre des mesures qui permettront la survie d’une famille
juive. Courante la motivation ? Peut-être, mais attitude risquée tout de
même, à cette époque. Tout son arrière-plan est remis en question. Il a une
épouse détestable, qu'il ne quitte pas pour autant. Il navigue entre toutes ces
eaux, et en sortira seul.
Alors, quand, tardivement, je l’admets, je découvre
le travail d’Istvan Szabo, je suis en phase totale avec ce qu’il montre dans
ses films, et il me touche au cœur.
Sans m’étendre longuement, je dirai qu’il est
fascinant de penser qu’un réalisateur ayant grandi dans une Hongrie successivement
nazie, puis stalinienne - deux régimes qui nient l’être humain dans sa nature,
puisqu’ils considèrent que l’éducation forcée, précoce des individus les
coulera dans un moule utile à leur cause –,
ait fait des films qui ont pour postulat l’existence de la nature
humaine. Et pourtant…
Istvan Szabo nous fait voir ce que les hommes sont capables
de renier en temps de crise (je n'entre pas dans les détails) dans le seul
but de se préserver.
Il ne semble pas penser qu’un quelconque idéal
puisse les animer, au fond. Les êtres humains sauvent leur place, tel le chef
d’orchestre Furtwängler, coupable, en fin de compte, non de collusion ou
d’adhésion à une idéologie, mais d’ambition personnelle, de vanité, de désir de
survie artistique dans son pays, dont il aime la langue et la culture. Face à
lui, le major américain chargé de son cas, dans le cadre de la dé-nazification de l'Allemagne (rôle interprété par Harvey Keitel), pourtant décidé à avoir
sa peau, ne poursuivra pas – de son propre aveu – l’homme au-delà du
nécessaire, une fois celui-ci face à ses juges. Son intransigeance aura aussi
une limite.
(Je parle ici du film TAKING SIDES, le cas Furtwängler)
De même, les trois personnages centraux de SUNSHINE,
tous interprétés par Ralph Fiennes, vont-ils peu à peu renier leur identité,
pour, pensent-ils, être acceptés par la société dominante, hongroise et
catholique. Mais la nature des hommes qui les entourent prouvera que c’est là
un leurre. Le dernier descendant en prendra soudain conscience.
S’adapter ou crever. Dilemme éternel.
Istvan Szabo, lors de sa magistrale rencontre avec le public de la Cinémathèque
de Nice a dit encore une ou deux petites choses qui m’ont parlé.
L’une d’entre elles concerne la relation entre la
langue et la manière dont un acteur l’utilise :
Face à une réplique à donner, un acteur polonais - dont la langue a été interdite au cours des siècles soit par les Russes, soit
par les Allemands - cherchera longuement le sens caché derrière sa
phrase, avant de la prononcer. Sa langue est tout pour lui, il veut être sûr
des nuances qu’il mettra dans sa phrase, et de son impact.
Un acteur hongrois, habitué à exercer le métier
d’acteur, dira la même réplique de manière professionnelle, sans trop y
chercher de nuances cachées.
Un acteur allemand… jettera sa réplique franco,
puisque c’est ce qu’il doit faire : il remplit son devoir d’acteur, sans se poser de questions.
En donnant ces exemples, Istvan Szabo met l’accent
sur ce qui est acquis, et transmis par la langue, elle-même le reflet et
l’outil d’une culture - cela va sans dire. Alors, je me demande, car je trouve
cela un peu flou, qu’est-ce qui relève ici purement de la nature humaine ?
(En y réfléchissant, peu importe le flou, et même je persiste : Vive le flou ! Il est tellement plus complexe que la lumière crue et les
angles droits !)
Évoquant ensuite l’exil forcé de tant de cinéastes
d’Europe Centrale vers Hollywood, et leur réussite en terre inconnue*, il a expliqué la chose
suivante :
Tous ces gens avaient eu l’habitude de côtoyer des
langues différentes en Europe, des habitudes, des religions et des cultures
variées. Une fois arrivés en Amérique, ils se sont retrouvés dans une situation
polyglotte identique. Il n’y a pas eu, pour eux, de véritable choc culturel,
ils ont su s’adapter et communiquer immédiatement dans ce nouveau milieu.
D’où leur capacité à donner ensuite le meilleur
d’eux-mêmes, et d'où leur réussite en pays anglophone.
Voilà. En prime, Istvan Szabo m’a, ce soir-là rappelé la
chance que j’avais eue de naître entourée de tant de langues étrangères. Son
insistance répétée sur la spécificité de l’Europe Centrale a réveillé en moi un
héritage dont je suis infiniment heureuse d’être la dépositaire.
* Michael Curtis, Billy Wilder, Ernst Lubitsch...
Photo : wikipedia.
Une autre perspective très intéressante sur un genre cinématographique, Catherine! Il a été souvent le cas que les gens ont dû s'adapter ou crever.
RépondreSupprimerConsidérons des Huguenots à Paris pour le mariage d'Henri de Navarre et de la Reine Margot, des catholiques anglais à l'époque d'Oliver Cromwell et le Commonwealth, ou même des juifs espagnols à l'époque de l'Inquisition!
Dans une ambiance plus légère quel est le sens du mot 'polyglotte'?
En Grande-Bretagne il y a un proverbe que quelqu'un qui parle deux langues est bilingue et quelqu'un qui parle trois langues est trilingue.
Bien. Mais, comment s'appelle quelqu'un qui parle une langue?
La réponse est simple : Anglais!
Pardonnez-moi !
[Il y a une deuxième langue en Écosse et au Pays de Galles].