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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

mardi 26 mars 2013

ISTVAN SZABO ET LE FLOU






Ceux et celles qui ont lu HISTOIRES FLOUES savent que ce qui m’intéresse au plus haut point c’est le comportement des êtres en temps de crise. À mon fils qui se moque (gentiment) de moi parce que nombre de mes écrits ont pour cadre la dernière guerre mondiale, je réponds souvent que ce n’est pas juste ses horreurs qui me touchent, mais tout un contexte  trouble qui a mené des êtres ordinaires à des comportements inattendus, et donc intéressants.


Dans la Gratitude du Ouistiti, il est question du maire d’un petit village provençal qui est foncièrement antisémite – comme tant d'autres l’étaient en ce temps-là. Mais par amour vrai, il en arrive à prendre des mesures qui permettront la survie d’une famille juive. Courante la motivation ? Peut-être, mais attitude risquée tout de même, à cette époque. Tout son arrière-plan est remis en question. Il a une épouse détestable, qu'il ne quitte pas pour autant. Il navigue entre toutes ces eaux, et en sortira seul.

Alors, quand, tardivement, je l’admets, je découvre le travail d’Istvan Szabo, je suis en phase totale avec ce qu’il montre dans ses films, et il me touche au cœur.

Sans m’étendre longuement, je dirai qu’il est fascinant de penser qu’un réalisateur ayant grandi dans une Hongrie successivement nazie, puis stalinienne - deux régimes qui nient l’être humain dans sa nature, puisqu’ils considèrent que l’éducation forcée, précoce des individus les coulera dans un moule utile à leur cause –,  ait fait des films qui ont pour postulat l’existence de la nature humaine. Et pourtant…

Istvan Szabo nous fait voir ce que les hommes sont capables de renier en temps de crise (je n'entre pas dans les détails) dans le seul but de se préserver.
Il ne semble pas penser qu’un quelconque idéal puisse les animer, au fond. Les êtres humains sauvent leur place, tel le chef d’orchestre Furtwängler, coupable, en fin de compte, non de collusion ou d’adhésion à une idéologie, mais d’ambition personnelle, de vanité, de désir de survie artistique dans son pays, dont il aime la langue et la culture. Face à lui, le major américain chargé de son cas, dans le cadre de la dé-nazification de l'Allemagne (rôle interprété par Harvey Keitel), pourtant décidé à avoir sa peau, ne poursuivra pas – de son propre aveu – l’homme au-delà du nécessaire, une fois celui-ci face à ses juges. Son intransigeance aura aussi une limite.
(Je parle ici du film TAKING SIDES, le cas Furtwängler)

De même, les trois personnages centraux de SUNSHINE, tous interprétés par Ralph Fiennes, vont-ils peu à peu renier leur identité, pour, pensent-ils, être acceptés par la société dominante, hongroise et catholique. Mais la nature des hommes qui les entourent prouvera que c’est là un leurre. Le dernier descendant en prendra soudain conscience.

S’adapter ou crever. Dilemme éternel. Istvan Szabo, lors de sa magistrale rencontre avec le public de la Cinémathèque de Nice a dit encore une ou deux petites choses qui m’ont parlé.
L’une d’entre elles concerne la relation entre la langue et la manière dont un acteur l’utilise :

Face à une réplique à donner, un acteur polonais - dont la langue a été interdite au cours des siècles soit par les Russes, soit par les Allemands - cherchera longuement  le sens caché derrière sa phrase, avant de la prononcer. Sa langue est tout pour lui, il veut être sûr des nuances qu’il mettra dans sa phrase, et de son impact.

Un acteur hongrois, habitué à exercer le métier d’acteur, dira la même réplique de manière professionnelle, sans trop y chercher de nuances cachées.

Un acteur allemand… jettera sa réplique franco, puisque c’est ce qu’il doit faire : il remplit son devoir d’acteur, sans se poser de questions.

En donnant ces exemples, Istvan Szabo met l’accent sur ce qui est acquis, et transmis par la langue, elle-même le reflet et l’outil d’une culture - cela va sans dire. Alors, je me demande, car je trouve cela un peu flou, qu’est-ce qui relève ici purement de la nature humaine ?
(En y réfléchissant, peu importe le flou, et même je persiste : Vive le flou ! Il est tellement plus complexe que la lumière crue et les angles droits !)

Évoquant ensuite l’exil forcé de tant de cinéastes d’Europe Centrale vers Hollywood, et leur réussite  en terre inconnue*, il a expliqué la chose suivante :
Tous ces gens avaient eu l’habitude de côtoyer des langues différentes en Europe, des habitudes, des religions et des cultures variées. Une fois arrivés en Amérique, ils se sont retrouvés dans une situation polyglotte identique. Il n’y a pas eu, pour eux, de véritable choc culturel, ils ont su s’adapter et communiquer immédiatement dans ce nouveau milieu.
D’où leur capacité à donner ensuite le meilleur d’eux-mêmes, et d'où leur réussite en pays anglophone. 

Voilà. En prime, Istvan Szabo m’a, ce soir-là rappelé la chance que j’avais eue de naître entourée de tant de langues étrangères. Son insistance répétée sur la spécificité de l’Europe Centrale a réveillé en moi un héritage dont je suis infiniment heureuse d’être la dépositaire.  


* Michael Curtis, Billy Wilder, Ernst Lubitsch...
Photo : wikipedia. 

1 commentaire:

  1. Une autre perspective très intéressante sur un genre cinématographique, Catherine! Il a été souvent le cas que les gens ont dû s'adapter ou crever.

    Considérons des Huguenots à Paris pour le mariage d'Henri de Navarre et de la Reine Margot, des catholiques anglais à l'époque d'Oliver Cromwell et le Commonwealth, ou même des juifs espagnols à l'époque de l'Inquisition!

    Dans une ambiance plus légère quel est le sens du mot 'polyglotte'?

    En Grande-Bretagne il y a un proverbe que quelqu'un qui parle deux langues est bilingue et quelqu'un qui parle trois langues est trilingue.

    Bien. Mais, comment s'appelle quelqu'un qui parle une langue?

    La réponse est simple : Anglais!
    Pardonnez-moi !

    [Il y a une deuxième langue en Écosse et au Pays de Galles].

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