C’est un triste anniversaire que celui de cette
marche forcée, de cet « exode biblique », qu’entreprirent les Juifs étrangers, réfugiés
à Saint-Martin Vésubie, petit village du Mercantour, au dessus de Nice.
Ils y avaient été assignés à résidence dès 1941 par
les autorités italiennes d'occupation, mais, lorsque les nazis envahirent la zone à leur tour, en
septembre 1943, le refuge n’en fut plus un, et environ 1000 Juifs partirent à pied, femmes, enfants,
vieillards, dans la montagne, en direction de l’Italie, par les cols de Fenestre (2474 m) et de Cerise (2543 m). Franchir un col par
beau temps, bien équipé et entraîné, ce n’est déjà pas tellement aisé, alors
imaginons cette cohorte de pauvres gens terrifiés, contraints de se hâter le long de ces sentiers vertigineux, chargés de
valises et de baluchons, sans savoir ce qui les attendrait une fois arrivés de
l’autre côté… 340 d'entre eux y furent arrêtés, emprisonnés à Borgo San Dalmazzo, avant
d’être déportés vers Auschwitz en novembre 1943.
Pour plus de rigueur historique, je citerai à
présent un éminent historien spécialiste de la période, le Professeur Jean-Louis Panicacci :
"Saint-Martin-Vésubie
avait été choisi par le gouvernement de Vichy, en 1942, pour abriter un centre
d'assignation à la résidence des Juifs étrangers. Nous savons qu'au mois
d'août, 222 d'entre eux en avaient été chassés pour cause de marché noir et
refoulés sur Nice (3). L'arrivée, en novembre 1942, des troupes italiennes
d'occupation contribua à renforcer la colonie israélite de la capitale de la
"Suisse niçoise". En effet, les officiers supérieurs de la IV°
Armateur, en accord avec les diplomates puis avec les policiers transalpins,
mirent un frein aux persécutions antisémites sur la Côte d'Azur mais, pour
donner une satisfaction, fut-ce limitée, à leurs alliés allemands, décidèrent
d'assigner à la résidence tous les Juifs étrangers en situation irrégulière a
Vence, Saint-Martin Vésubie, mais aussi dans les Basses-Alpes et en
Haute-Savoie. Le village vésubien accueillit ainsi en 1943 trois cents familles
juives, pour la plupart originaires d'Europe centrale et orientale, qui furent logées
dans une douzaine d'hôtels et de pensions ainsi que, pour les plus fortunées
d'entre elles, dans des villas et des chalets. Les logements étaient
réquisitionnés par les autorités militaires, l'hébergement étant financé par le
Centre d'Accueil de Nice. Les "résidents" devaient se présenter deux
fois par jour au poste de police italien et n'avaient pas le droit de quitter
le village à l'intérieur duquel ils jouissaient d'une liberté à laquelle ils
n'étaient plus habitués. La place servait de lieu de rencontre et d'échange de
vues, les visites étaient autorisées, une synagogue, une école et un hospice
fonctionnaient, la vie culturelle était animée par de jeunes sionistes, un
comité élu répartissait les fonds expédiés par le Centre d'Accueil de Nice. La
crainte faisait place à la sérénité, favorisant la conclusion de mariages.
L'annonce de la
capitulation italienne, le soir du 8 septembre; provoqua une inquiétude qui se
mua rapidement en excitation ; la trêve était terminée, la chasse à l'homme
reprenait. Le comité décida de se rallier à la majorité des
"résidents" qui souhaitait accompagner en Italie le repli déjà amorcé
de la IV° Armata, convaincue d'aller au devant des Alliés. Les départs s'égrenèrent
du 8 à minuit à l'aube du 10, ils concernèrent plus d'un millier de personnes
(1) qui suivirent deux itinéraires : le Boroncol de Cerise (2543 m.)-Valdieri
emprunté par un groupe de 200, la Madone de Fenestre -col de Fenestre (2474
m.)-Entraque emprunté par la majorité. Le voyage fut mouvementé pour des
citadins mal équipés devant évoluer en haute montagne avec des chaussures de
ville, des valises, des enfants dans les bras, qui durent passer deux nuits à
la belle étoile, subir le froid, la pluie et le vertige. Les survivants de cet
exode le comparèrent plus tard à une "marche biblique", la Mer Rouge
ayant fait place aux ravins du Mercantour. Les éléments de la G.A.F. (2)
installés sur les cols firent de leur mieux pour aider les fugitifs dont
beaucoup s'étaient débarrassés de leurs bagages. Après des haltes dans les
premiers hameaux italiens, les arrivées s'échelonnèrent jusqu'au 13 à midi à
Valdieri et Entraque, où elles suscitèrent beaucoup de curiosité. La majorité
des fugitifs comprit rapidement le danger constitué par une trop forte
concentration dans les deux villages de la Valle Gesse et commença à se
disperser vers la plaine du Pô ou vers les vallées voisines afin d'éviter un
coup de filet toujours possible de la part des Allemands installes à Cuneo
depuis le 12. Ces derniers, informés de l'exode, décidèrent le 17, à Borgo San
Dalmazzo, d'afficher des avis menaçant de mort tous les étrangers qui ne se
seraient pas livrés avant le lendemain soir. 350 Juifs se rendirent et furent
internés dans la vieille caserne des "Alpini" jusqu'au 21 novembre
lorsqu’un un train déporta 330 d'entre eux vers Nice via Savone : par une
curieuse ironie du sort, les auteurs de la "marche biblique"
retrouvaient la Côte d'Azur quittée quelques mois plus tôt ; ils n'y
séjournèrent pas longtemps : dès le lendemain, des convois les transportèrent à
Drancy puis à Auschwitz, où seulement 9 survécurent à l'holocauste."
Jean-Louis PANICACCI
(1)Il est à
noter que la commune ne mentionna pas la présence, puis l'exode des Juifs dans
les réponses qu'elle fit l'enquête sur l'Occupation effectuée en 1948.
(2) Nella flotte straniera. Gli ebrei di S.Martin Vésubie
e il campo di Borgo S.Dalmazzo, Editiuni L'Arciere, Cuneo, 1981, 179
pages.
(3) L'Éclaireur de Nice et du Sud-Est, 7.8.1942
Tous les ans, donc, une marche commémore l’événement.
Italiens et Français se rejoignent à la frontière, et honorent ainsi la mémoire
des disparus…
Cette année, ce sera le 70ème triste
anniversaire de cet exode. L'association pour la mémoire des enfants déportés à laquelle j'appartiens , l'AMEJDAM, y sera naturellement associée, ainsi que le Comité pour Yad Vashem Nice Côte d'Azur, qui honore les Justes.
Voici donc le programme des manifestations qui
auront lieu à Saint-Martin Vésubie les 31 août et 1er septembre 2013.
(Pour tout renseignement, appelez le : 06.07.42.55.18)
À NOTER, dans le cadre de cette commémoration, la présence de la chanteuse Talila, déjà évoquée sur ce blog, qui nous fait l’immense
honneur de venir chanter en yiddish à Saint-Martin le dimanche, devant la
plaque commémorative.
Le lundi 2 septembre, nous aurons le grand plaisir
de pouvoir écouter à nouveau TALILA, à Nice, au Centre Kling, 3,
avenue Jean Médecin, (= 5 Place Masséna) lors d’un concert exceptionnel. Elle sera accompagnée par le musicien Teddy Lasry.
NB : Consultez également les travaux de Jean Kleinmann sur le sujet, ici.
Un documentaire très intéressant peut également être loué ou acheté ICI.
Et, parce que la littérature fait survivre, je n'oublie pas non plus de rappeler à votre attention le roman de Jean-Marie Le Clézio, ÉTOILE ERRANTE, dont le point de départ se situe précisément en ces temps et lieux.
Quelle triste expérience pour ces malheureux, et la detination finale - Auschwitz ! Il faut raconter cette histoire.
RépondreSupprimerOn espère qu'il va bien.
Joseph