Pour compléter le billet
précédent, vous trouverez aujourd’hui quelques phrases confiées par un témoin direct du Kindertransport : BEA GREEN.
Avec son autorisation, je
cite auparavant son cas et ses commentaires, traduits de l'anglais.
Bea Green avait 14 ans lorsqu’en 1939 elle monta à bord d’un train qui l’emmènerait loin de ses parents, mais aussi loin de Munich et de ses dangers. Une photo d’elle existe, conservée par le Jewish Museum de Londres, la montrant, avec une autre plus petite fille, dans le train sur le point de quitter la gare de Munich.
Photo prise sur ce site. Photo de droite : Bea est à droite
Le commentaire de
Bea :
Ce départ était sa dernière
chance.
Il faut dire que déjà en mars
1933 elle avait vu son père, un avocat renommé, rentrer,
ensanglanté, à la maison. Le tympan explosé, le pantalon curieusement coupé à
hauteur des genoux, comme pour le ramener à l’état d’enfant impuissant. Il
avait été battu par les SA du coin, pour avoir commis l’erreur d’aller se
plaindre qu’un de ses clients avait été maltraité par les autorités. Il avait
été forcé de rentrer chez lui à pied, une pancarte autour du cou sur laquelle
était inscrits les mots :
« Je suis juif, mais je n’irai plus jamais
me plaindre auprès de la police. »
Les commentaires de
Bea :
La famille ne partit pas.
Enfin, pas tout de suite. Munich était leur ville, et même s’il leur arrivait
de croiser Hitler dans les rues, ils n’allaient pas lui céder le terrain, pas
tout de suite…
Le commentaire de
Bea :
Après la fatale Nuit de
Cristal, la famille comprit que l’heure était venue de fuir pour de bon. Le
père de Bea, Michael Siegel, partit quelque temps au Luxembourg, tandis que le
reste de la famille se réfugiait auprès de la grand-mère de Bea. Les SS vinrent
chercher le père par quatre fois, sans succès.
Finalement, le 27 juin 1939,
à minuit, Bea se trouva dans un train en partance pour la Hollande et la
sécurité. Et si le train est parti à minuit, c’est parce que les SS ne
souhaitaient aucune publicité autour de ce départ… En fait, ils avaient espéré
qu’en « lâchant » 600 enfants d’un coup, l’opération serait
compromise. Ce ne fut pas le cas.
Le commentaire de Bea :
"Vous savez, c'est difficile de se remettre dans un tel contexte. C'était comme si le sol allait se dérober sous vos pieds. Mais quand cette situation si étrange devient réelle, vous ne pouvez rien faire d'autre que de vous adapter. C'était merveilleux d'arriver en Hollande ; toutes ces plantureuses dames blondes qui venaient nous donner du pain et du jus d'orange... On n'avait jamais rien goûté d'aussi bon. "
Certains enfants réfugiés
vécurent douloureusement leur arrivée en Angleterre. Ils furent tout d’abord
rassemblés dans une espèce de colonie de vacances (à Davenport Court, près de
Lowestoft), avant que des familles ne viennent les « choisir » et les
emmener. Les motivations de ces personnes n’étaient pas toujours humanitaires,
il y en avait qui acceptaient d’héberger un ou une jeune réfugié (e) avec
l’idée qu’il ou elle leur servirait de main d’œuvre à bon marché…
À noter que le même
processus se produisit lors de l’évacuation des enfants anglais loin de
Londres, pendant le Blitz :
emmenés à la campagne pour leur épargner les bombardements, ils y furent
confiés à des familles d’accueil. Les récits des petits évacués en sont
identiques. Lisez à ce sujet le beau roman de David Lodge Hors de l'abri (Out of the
Shelter), et revoyez le film de John Boorman, Hope and Glory (La guerre à 7
ans).
Mais dans le cas de Bea, la
chance fut de son côté. Accueillie près de Winchester, dans la magnifique
maison de campagne d’un colonel anglais, elle y apprit à pêcher à la mouche, à
chasser et à dresser des chiens de chasse ! Choyée, traitée comme un enfant de la famille, elle
garde un souvenir ému de cet accueil chaleureux.
Voilà, en guise de bonus, le détail de ce que Bea Green a eu la gentillesse de me confier :
En arrivant en Angleterre, où êtes-vous
allée ?
Je suis allée directement chez Mrs Williams,
qui avait donné son accord pour m’héberger. Elle habitait à Brasted Hall, près
de Sevenoaks, dans le Kent. C’était en juin 1939. Elle est morte en Janvier
1940, alors j’ai été « récupérée » par son fils aîné, le Colonel
Ainslie Williams, et sa femme, Hilda, à Itchen Abbas House, près de Winchester,
dans le Hampshire. Pendant l’année scolaire j’étais pensionnaire à l’école
« Neyland House High School for Girls » à Sevenoaks, dans le Kent. (nb : les enfants de la classe aisée étaient ainsi souvent envoyés en internat dans de « bonnes »
écoles.)
Est-ce que vous avez pu avoir des contacts
avec d’autres kinder lors de votre
séjour dans la famille du Colonel ?
Margot Alsberg était également hébergée par la famille Williams, mais elle s’engagea assez vite dans l’armée. Elle était plus âgée que moi. Il y avait aussi 3 autres kinder, deux filles et un garçon à l’école, ils avaient été accueillis par sa directrice.
À quel
moment avez-vous pu retrouver vos parents ?
Ma mère est venue en Angleterre (nb : du Pérou où elle s’était réfugiée) en 1948 après un voyage sur un cargo de fortune, pour voir mon
frère qui était hospitalisé, il avait attrapé la polio. Il a survécu ! (nb : son frère était venu tout seul quelques mois auparavant, et avait trouvé du travail comme apprenti projectionniste, à Liverpool).
Mon père est venu l’année suivante, juste pour nous rendre visite. Ce n’est que 3 ans après qu’ils se sont retrouvés pour de bon, et qu’ils sont repartis en Allemagne où mon père avait été réintégré au barreau des avocats.
À la fin de la guerre, j'avais 20 ans, fini mes études, et j'étais déjà mariée.
Puis en 1952, j’ai
quitté mon premier mari et je me suis embarquée sur un cargo qui a mis six
semaines à arriver au Pérou, où j'ai trouvé du travail, comme enseignante dans une école juive de Lima. Je suis retournée en Angleterre en 1954.
Quand avez-vous obtenu la nationalité
britannique ?
En 1946, quand j’ai épousé Richard Towning
Hill, qui était un architecte anglais ; c’est à ce moment-là que je
suis devenue britannique, par mariage.
Alors, des années après,
que dit Bea, en public ? A-t-elle pardonné ?
Et puis, elle a rajouté à
mon intention, avec une note d’humour (anglais ?) :
Yes, Britain did allow us
'Kindertransportees' in because, I understand, there was a precedent! English
law loves precedents: the year before, Spanish children were allowed to come
here for the duration of the Spanish Civil War.
We kids, from
Germany, Austria and later Czechoslovakia, were allowed in 'in transit'. Well,
I'm still here.
De fait, 6000 enfants restèrent en Grande-Bretagne, après la guerre. Ils furent nombreux à y faire
de bonnes études et à réussir leur vie, contribuant ainsi à son redressement.
Bel exemple de résilience, n’est-ce pas M. Cyrulnik ?
Quelques dernières précisions, pour expliquer que la
France n’ait pas manifesté, à ce moment-là le même élan de solidarité envers
les persécutés :
En Angleterre, celui-ci a tout de même été initié par
les Juifs anglais eux-mêmes. Or, en France, les Juifs implantés depuis
longtemps manifestaient une certaine réticence à accueillir de nouveaux venus, parce
que ceux-ci risquaient (pensaient-ils) de leur causer du tort, en accentuant
l’antisémitisme. Les Juifs français se revendiquaient souvent plus comme français que
comme juifs – que l’on se rappelle le cas du Capitaine Dreyfus. Qui plus est,
les Juifs allemands étaient assimilés à … des Allemands. Nombre d’entre eux
avaient fait la guerre de 14 du mauvais côté (vu par les Français !) et
s’en étaient vantés, en arborant leur médailles. Les puissantes associations
d’anciens combattants voyaient cela d’un très mauvais œil. Les pacifistes
craignaient que tous ces réfugiés n’entraînent la France dans une nouvelle
guerre. Et puis, il faut reconnaître
qu’en 1938 la France avait déjà sur son sol la moitié des émigrés juifs
allemands, sans doute autour de 100 000. Pour rappel, la population juive
d’Allemagne était de 523 000* en janvier 1933, dont 200 000 étaient déjà partis
début 1938.
La Conférence d’Évian, initiée par Roosevelt en 1938,
ne déboucha sur pas grand’ chose de concret. Seuls les Américains acceptèrent
d’assouplir leurs quotas pour accueillir 30 000 réfugiés de plus. La Hollande
et le Danemark se montrèrent proportionnellement les plus hospitaliers. Pour ce qui est de la Hollande… mauvaise
pioche, car 75% de ses Juifs y furent déportés (comparé à 26% en France – et à
90% en Allemagne et Autriche).
Quoi qu’il en soit, et pour conclure ce billet moins
réjouissant que d’autres, rappelons-nous que, si "seulement" 26% des Juifs de
France furent déportés, c’est bien grâce à l’aide de la population française,
qui a caché, aidé et sauvé ses compatriotes et d’autres, qui s’étaient réfugiés
sur son sol. Pas tous, hélas, mais une fois encore honorons la mémoire de ceux qui ont
permis la survie de la grande majorité d'entre eux.
Merci également à Christian Ceccarelli, professeur d’histoire en CPGE au Lycée Masséna de Nice, pour sa précieuse contribution sur le sujet.
* source : United States Holocaust Museum
** Quelques informations supplémentaires sur Bea Green, en anglais, ici.
*** Lire les ouvrages de référence à ce sujet, de Catherine Nicault et d'Anne Grynberg.
*** Lire les ouvrages de référence à ce sujet, de Catherine Nicault et d'Anne Grynberg.
Pour mes lecteurs anglophones (et anglophiles) cet extrait d'un article paru dans Tablet Magazine du 4 novembre :
RépondreSupprimer"Contemporary defenders of FDR’s response to Kristallnacht are correct when they note that Britain and France, unlike Roosevelt, did not recall their ambassadors from Berlin for consultations. But the British government took concrete steps that were much more significant than a symbolic diplomatic consultation. It admitted 10,000 German Jewish refugee children—the famous Kindertransport—and granted haven to 14,000 young German Jewish women by admitting them as cooks and nannies. By contrast, President Roosevelt refused to endorse post-Kristallnacht legislation, the Wagner-Rogers Bill, that would have admitted 20,000 German Jewish children."
10 000 + 14 000 = 24 000 vies sauvées, dont celles de certains parents que leurs enfants adolescents ont réussi à faire venir en GB. Plus d'autres.
Lire l'article entier :
Tablet Magazine