Qui se souvient encore de cette expression, et
surtout de se l’être entendu adresser ? La honte qui l’accompagnait
n’avait d’égale que la crainte des représailles familiales, car, brave gens, je
vous parle d’un temps où les parents ne donnaient jamais tort aux professeurs
de leurs enfants. Si, si, je vous assure, ça a existé.
En ce temps-là, les enfants recevaient même des
bons points qu’ils collectionnaient, quand ils ne les reperdaient pas pour bavardage
intempestif. Et, pire, les enfants étaient classés ! Quelle horreur
c’était quand on régressait d’une place, ou qu’on gardait celle de bon dernier
toute l’année, avec pour seule consolation, en hiver, celle d’être collé au
radiateur ! Curieusement, ceux et celles qui le racontent ne semblent pas
en conserver un si mauvais souvenir…
Du rosé (au moins) a coulé sous le pont du Var
depuis lors, mais je n’ai pas l’intention de jouer la vieille garde, ni les
vieilles conservatrices, à peine les vieilles profs. Juste pour exprimer deux
ou trois idées qui me traversent le cerveau en apprenant que, miracle, on va
supprimer les notes à l’école. Enfin, essayer.
Depuis l’époque précitée, j’ai enseigné pendant
trois bonnes décennies. Et j’en ai vu passer des réformes et des idées de génie
qui devaient, promis juré, transformer les cancres en enfants à l’imaginaire
original. J’y ai même adhéré, plus d’une fois, quand je n’en ai pas été à
l’avant-garde, en compagnie de quelques collègues enthousiastes.
Alors, quand aujourd’hui le ministère de
l’Éducation parle à nouveau de supprimer les notes, je rigole, et même pas
doucement.
Parce qu’on a tout essayé.
Fut un temps, on a adopté la notation par lettres,
comme en Amérique ou en Grande-Bretagne. Moins nuancée, certes, mais kif-kif,
quant au résultat.
Lors d’une grève douce, on a cessé, par mesure de
protestation, de noter les copies. Tollé des parents, mais pas de nos élèves, à
qui nous avions (depuis longtemps) soigneusement expliqué le principe de l’évaluation, et dont les copies étaient suffisamment annotées pour qu’ils
comprennent le pourquoi du comment de leurs erreurs. In fine, les élèves participaient à leur évaluation, ce qui est
tout de même bien plus efficace et intelligent.
Mais, peu de temps après, la grève en question a
cessé, et nous avons repris la notation habituelle, c’est-à-dire sur 20. Au
grand soulagement de tous, car cet exercice de décryptage était encore plus chronophage pour les élèves que des explications plus courtes accompagnées d’une note.
Mais ce qui est resté de cette expérience, et qui a
influencé tous ceux et celles d’entre nous qui étions passionnés par la
question, c’est une approche différente de la docimologie (la science des notes, ânes que vous êtes !)
J’explique.
Une note, ce n’est rien qu’un chiffre (ou mieux, un
nombre !) si elle reste toute seule en haut d’une copie. Ce qui compte,
c’est le barème qui y mène, et le pourquoi de celui-ci et sa pertinence au
regard du travail demandé. Si l’on se contente de coller un 8 à un élève, sans
lui expliquer ce qui était attendu (idéalement) et pourquoi donc il a 8 au lieu
de 20, il va forcément être frustré, vexé, et même découragé.
Alors que si on lui fait comprendre le pourquoi des erreurs, ce qui a été
acquis en matière de connaissances, et ce qui reste à acquérir – à son rythme,
pour une fois prochaine, d’ici la fin de l’année peut-être –, le message et la
perception de cette note seront totalement différents.
Que cette note soit exprimée sur 20, sur 100, ou en
lettres importe peu. L’essentiel, c’est que l’élève comprenne le sens et
l’utilité de l’évaluation du travail accompli. Et que cette évaluation ait bien
lieu, à un moment ou à un autre, pour qu'un bilan clair soit dressé.
AH MAIS VOILÀ OÙ EN ARRIVE !
Il n’est pas étonnant que cette suggestion de
supprimer les notes arrive en même temps que la décision de supprimer le
redoublement. Lequel, en effet n’est pas souvent efficace, vu le contexte, je
le reconnais, mais c'est un autre débat.
Quoi qu'il en soit, supprimer toute notation clairement comprise
par les enfants et les familles équivaut tout simplement à casser le
thermomètre pour ne pas prendre connaissance de la fièvre. Cela va sans doute
s’accompagner de la suppression du baccalauréat, et d’un accès prétendument plus aisé
à l’enseignement supérieur, pour que chacun ait le droit de faire de belles
études. Lesquelles seront abandonnées très vite, notre taux de
« décrochage » français en 1ère et 2ème année
de faculté étant l’un des plus hauts d’Europe, sinon du monde. Regardez les chiffres d’il y a dix ans, en sachant que rien ne s’est amélioré depuis. Et un article plus récent sur le sujet évoque le chiffre de 20% de décrocheurs… Et combien de futurs chômeurs, parmi eux ?
Quelle hypocrisie !
Comment une société qui vénère les
exploits sportifs, comptant chaque nano-seconde qui sépare le premier du second
lors d’une course à pied, pour ne citer que cet exemple, peut-elle nier que les
compétences s’améliorent grâce au travail, à l’effort, et qu’il y a un moyen
simple de mesurer cette progression, et de la valoriser ?
Pourquoi adorer le fait que les candidates au titre de Miss
Monde soit notées, suivre avec passion "Que le meilleur gagne » à la télé, et refuser
d’évaluer la progression des jeunes à l’école ?
Sans moyens, sans réflexion de fond, et sans
changement des pratiques pédagogiques, supprimer les notes équivaut à mettre la
charrue avant les bœufs, et surtout à jeter de la poudre aux yeux du pauvre
monde.
Ce n’est pas seulement hypocrite, mais aussi fort
démagogique. Il vaudrait bien mieux enfin admettre que les enfants sont tous
différents, qu’ils peuvent progresser chacun à son rythme (très rapide pour certains, du reste) et que tous ont le droit à l’erreur. Et surtout, leur expliquer cela,
individuellement, en les aidant à avancer dans leurs apprentissages.
Mais pour cela, il faudrait avant tout que les
groupes soient moins lourds, les programmes plus équilibrés, l’orientation
mieux étudiée, le système moins rigide, et les professeurs plus motivés. On en est encore très loin. Sous-payés, maltraités, exploités, insultés, ces derniers craquent,
ils démissionnent. Le pays a du mal à en recruter, et ceux qui entrent dans le
métier sont souvent à présent les étudiants les moins bien notés de leur génération –
pourtant c’est à bien eux tous que doit aller notre gratitude !
Alors, si quelqu’un a intérêt à ce que les notes
soient supprimées, c’est sûrement la ministre actuelle de l’éducation – peut-être
pour se mettre les ignorants dans la poche ?
Ceci mériterait bien un zéro pointé.
Profitons-en, tant qu’il existe encore !
Merci, merci, merci Cathie pour cet texte plein de bon sens!!! Si seulement le ministère de l'EN pouvait le lire ainsi que tous ceux qui proposent de telles réformes!...
RépondreSupprimerCurieusement, ce matin, sur Europe 1, Daniel Cohn-Bendit a dit exactement la même chose que moi concernant l'évaluation... pour justifier la suppression des notes ! Tout en accusant le système d'être trop conservateur. Le serpent n'a pas fini de se mordre la queue.
RépondreSupprimerÀ la demande d'une jeune collègue, je publie ceci.
RépondreSupprimerÇa fait du bien de lire ça !!!! C'est exactement ma pensée, personnellement je donne mes critères d'éval AVANT l'évaluation et les élèves repartent à chaque fois avec une fiche quand ils passent un oral avec le détail de la note. Pour l'écrit j'ecris un grand pavé pour l'appréciation...À ce qui est si bien écrit sur le blog, j'ajouterais une dernière chose, nous sommes dans un système où si ce n'est pas évalué, les élèves ne le font pas le travail ou ne s'appliquent pas vraiment. Après quand je vois la baisse du niveau constante du bac, la baisse de nos exigences sans même évoquer le diplôme offert sur un plateau ce débat sur les notes est hypocrite !!!! Surtout lorsque je vois des articles parlant des notes catastrophiques des professeurs recrutés au capes par matières... quel est l'intérêt de mettre des 6 et 5 sur 20 au concours pour publier des articles disant "les professeurs de tels matières ont eu telle note"? ==> encore une façon de déprécier les professeurs. DONC allons y supprimons les notes et là nous allons perdre nos élèves...Pour le redublement ils peuvent le supprimer puisque l'an dernier on nous disait "attention le redoublement est conseillé non imposé" consequence en 1STMG j'ai "I be a man sayed she happy" bref, ça m'éneeeeeeeeerve ...
Siham M.