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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

lundi 1 décembre 2014

ROMAIN GARY, TENDRE GUERRIER



Vendredi dernier se sont tenues à Nice, au Centre Universitaire Méditerranéen, deux journées de colloque autour de l’écrivain Romain Gary.
Tout le programme (et la liste des invités) en avait été annoncé ici.

Gary et la Méditerranée, Gary et la guerre, Gary et les femmes – tels ont donc été les thèmes abordés lors de la seule demi-journée à laquelle j’ai pu assister. 

Le compte-rendu détaillé de ce colloque sera très certainement publié bientôt, et mon propos n’est pas ici de retranscrire mot pour mot ce qu’ont dit les brillants intervenants. Ce serait inutile, voire ennuyeux. En revanche, j’ai très envie de relever certains des points qui ont été évoqués et de les passer à la moulinette de mes émotions – à défaut de celle de ma pensée !

Je vais commencer par la fin : En partant, j’ai entendu une dame dire à une amie qui l’accompagnait : « Je me suis crue à l’école, en pire ». Et là, je me suis dit que décidément j'avais dû être une élève très docile, car je ne me suis pas ennuyée une seconde pendant les quatre heures où je suis restée dans cet amphithéâtre. Ou alors que cette personne ne devait pas être sensible aux mêmes choses que moi, pour être ainsi passée à côté de ce qui m’a paru être le caractère original et essentiel de ce colloque.

Flash-back sur le début de l’après-midi où, après une présentation par Carine Marret de l’itinéraire de Romain Gary à Nice, et la passion qu'il éprouvait pour pour sa ville, la parole a été donnée au petit cousin de l’auteur (et non son neveu), Paul Pavlowitch. Ce qu’il a dit touchera tous ceux et celles, qui, comme moi, ont eu des parents immigrés (on disait plutôt alors émigrés) dont le rapport au français était empreint d’un respect si énorme qu’en aucun cas il ne fallait le malmener. C’était, a dit Paul Pavlowitch, "une langue qui nous habitait".

C’est là quelque chose de très touchant, qui explique le désir forcené de la mère de Romain Gary de voir son fils devenir écrivain. Ceux qui ont lu la première nouvelle de Rêves de rencontres sur la Rivera comprendront parfaitement pourquoi cette remarque me parle autant. C’est un bain dans lequel j’ai effectué mes premières brasses, et  voir que je le partage ainsi avec d’autres m’émeut, encore et toujours.

Ensuite, Paul Pavlowitch a été le premier, cet après-midi-là, à utiliser un adjectif inhabituel pour parler de Romain Gary. Il a dit que c’était « un homme très doux, pas bagarreur du tout. Tendre. »
Voilà qui brise l’image de l’homme hautain, guerrier, endurci, caustique, hâbleur, voire mondain.
"Il avait un côté dandy", a-t-il continué. "Mais ce qui l’a changé, c’est la guerre, et ce qui l’a aidé, c’est la fraternité."

Tendre est l’homme qui a souffert et risqué sa vie pour sauver ses compagnons. Tendre est celui qui a appris, comme on le faisait dans nos familles, fussent-elles peu fortunées, à pratiquer le baisemain, et qui ont conservé leur vie durant une extrême politesse, quelque peu désuète, même à l’époque : elle correspondait à l’idée que les Russes avaient du Français – et j’ajouterai, de sa langue policée.

Tendre est l’homme qui éprouve dès l’adolescence la difficulté d’être en relation avec les Niçois, si différents, tellement plus rudes en apparence, et qui doit ainsi se forger une armure.

Paul Pavlowitch a dressé ce portrait inattendu de son parent, complété plus tard par celui peint par son épouse, Anne Barreau-Pavlowitch. Elle, qui fut très proche de Romain Gary, a également insisté sur la dimension de tendresse qui l'auréolait, et l’habitait, alors qu’il était reconnu et adulé pour d'autres qualités. Il ne savait pas dire non, pas même à une femme encombrante, et devait avoir recours à toutes sortes de subterfuges pour l’éloigner. Et pourtant, les femmes de passage, nous dit Jean-Pierre Guéno, étaient pour lui comme des "doudous" apaisants, qui lui donnaient une forme de "ré-assurance". La tendresse, donc, il la recherchait ainsi, même s’il disait ensuite "Trop, c’est personne".  

Jérôme Camilly, lui, insistera sur la tendresse que Gary éprouvait pour les autres en général, et sur sa fraternité, tandis que Colette Guedj dira que La promesse de l’aube est un roman tendre, et rappellera que l’homme dont la mère a fait preuve d’un humour salvateur sera immunisé pour toujours contre le sens du ridicule : elle l’en aura vacciné.

J’ai aimé que Colette Guedj dise ensuite que la mère de Gary avait été son centre de gravité, et que La promesse de l’aube était un monument, un tombeau à sa mémoire. Elle a choisi des citations parfaites pour illustrer son propos : "Oui, ma mère avait du talent, et je ne m'en suis jamais remis." Et : "Ma mère était le premier Général de Gaulle que j'ai rencontré."


Ce nom me permet de revenir à la magistrale présentation de Jean-Pierre Guéno sur Romain Gary et la guerre.
Avant de rappeler que Romain Gary avait trouvé en de Gaulle un père de substitution, le conférencier a procédé à une brillante (et passionnante) démonstration pour définir le guerrier que fut Romain Gary.

Il y a, dit-il, ceux qui finissent par donner la priorité aux besoins de leur corps, et non à ceux de leur âme. Ce sont les résignés, qui finissent par accepter l’inacceptable. Et puis il y a les autres, les hyper-lucides, qui ont compris que l’angoisse humaine est le carburant de l’existence. Les révoltés, les rebelles, les résistants.
Alors, bien sûr (dans cette catégorie) il y a les maudits de l’existence, les Céline et consorts : ils sont "des anges noirs".
Romain Gary, lui est "un ange blanc aux ailes tachées de noir", c’est-à-dire qu’il est empreint de dualité.
Il est devenu un guerrier qui aura passé sa vie à combattre trois guerres :
La vieillesse
Le grand génocide humain
L’intelligentsia.

Cette dernière guerre l’amènera à combattre la pensée unique, et les nervis de cette pensée, et c’est la raison pour laquelle il a tant joui de les "baiser" en recevant 2 Prix Goncourt ! Après avoir été "un Français libre", Gary a continué d'être un formidable rebelle, en menant cette troisième guerre, celle de  l’écriture et de l’esprit. 
Et il est clair qu’il l’a gagnée.

J.P. Guéno

Petite remarque annexe : Tout ce qui précède était certes intéressant à découvrir, mais encore plus à écouter, car ce M. Guéno est un formidable conteur, dont la voix mélodieuse vous envoûte, et plante chacune de ses remarques en vous comme le ferait un maître-jardinier de l’esprit.
(Voilà qui ne pourrait être transcrit dans les minutes d’un colloque, et dont j’ai le plaisir de vous informer : si donc Jean-Pierre Guéno revient à Nice, vous saurez qu’il y a de pires orateurs au monde que lui !)

Ne croyez pas pour autant que j’allais en oublier de mentionner la participation de l’écrivain niçois Didier Van Cauwelaert. Point du tout. Ce qu’il nous a confié, je vais aller jusqu’à dire : avec tendresse, était de l’ordre du personnel. Mais de ce personnel sensible et intéressant qui touche chacun d’entre nous, si on veut bien l’écouter et entrer en résonnance avec ce qui est dit. Oublieux de l’amphi, Didier Van Cauwelaert a remonté le temps familial et évoqué l’amitié de son propre père avec Romain Gary, dont il fut le condisciple au Lycée de garçons de Nice (tiens, tiens, un de plus !)

Les deux jeunes gens ont en effet eu des destins croisés : Le père de Didier Van Cauwelaert fut emmené à Nice tout petit car il était rachitique et on avait dit à sa mère – veuve de guerre – que seul le soleil du midi le garderait en vie. Sous la houlette de la grand-mère, une maîtresse femme, la famille débarqua donc et s’installa en terre inconnue. Le jeune garçon grandit sans père, tout comme Romain Gary, avec qui il se lia d’une amitié durable, jalonnée d'échanges malicieux. Quand le père de Didier raconta plus tard à Romain qu’il était l’inventeur de la brique réfractaire (ce qui était vrai) celui-ci pensa que lui aussi s’était inventé une histoire !

Tout ceci a pu, en effet, paraître anecdotique à certains, voire superficiel. En ce qui me concerne j’ai trouvé cette après-midi (dont je n’ai pas restitué tous les aspects, loin de là, que les omis me pardonnent) extrêmement enrichissante au plan humain, car les participants ont tous et toutes su puiser à l’émotion autant qu’à l’érudition.

Aucune autre démarche n’aurait mieux pu, à mon sens, évoquer et révéler le tendre guerrier que fut  Romain Gary, le plus français de tous les Juifs russes  niçois.

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Rappels :

Carine Marret est l'auteur, entre autres, de Promenades littéraires sur la Côte d'Azur, et de : Romain Gary - promenade à Nice. 

Jean-Pierre Guéno est, entre autres, l’auteur de Paroles de Poilus, lettres et carnets du Front (1914-1918) et de Paroles d’étoiles, Mémoires d’enfants cachés, (1939-1945)

Quant à Colette Guedj,  je n’ai plus besoin de la présenter aux fidèles de ce blog. Au cas où vous auriez un trou de mémoire, cliquez ici. Et









1 commentaire:

  1. merci pour ce compte rendu qui est bien plus qu'un compte rendu : une déclaration d'amour à Gary, et à tous ceux qui en ont si bien parlé parce qu'ils l'aiment eux aussi

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