On
connaît ce jeu intitulé précisément « Jacques a dit ». Il consiste en une série d’ordres donnés très
rapidement par le meneur ou la meneuse de jeu, et auxquels il faut obéir dans l’instant
s’ils se trouvent être précédés de la mention « Jacques a dit », mais surtout pas lorsque cette proposition
manque. Donc « Jacques a dit :
Grattez-vous le menton » doit être obéi, alors qu’un simple « Levez les bras au ciel » vaut
l’exclusion à l’étourdi(e) qui, dans la foulée, effectue ce geste.
Cette
introduction pour rappeler que dans notre vécu d’enfant, ce Jacques-là était
tout-puissant. Seuls ses ordres valaient, et ils devaient être respectés sans
discussion. Ainsi nous livrions-nous à toutes sortes de mouvements
invraisemblables sans jamais en questionner la pertinence, sous peine d’être
rejetés du cercle des joueurs.
C’est
bien là ce qui ressort du livre (pour adultes, cette fois-ci) de Susie
Morgenstern, auteure magistrale de la littérature jeunesse. Un livre qui lui
permet de raconter l’histoire de vingt-sept années de sa vie aux côtés d’un
mari brillant mathématicien, investi par elle d’une omnipotence quasi divine. Elle
suivit d’ailleurs ses préceptes intransigeants avec une dévotion digne de celle
d’une sainte, adoptant dans la foulée sa culture, ses choix de vie, sa langue
et (pire) sa mère.
Dit comme
cela, ce n’est guère engageant.
Mais ce
qui fait le charme de ce récit autobiographique, c’est le ton inimitable de
Susie Morgenstern, et son talent de conteuse. À la lire, on croit l’entendre, comme à la radio, avec
ses petites erreurs, et son accent américain, tellement incrusté dans chaque pore
de son identité française. C’est de la paresse, dit-elle… Dans ce cas, faisons
l’éloge de la paresse !
En réalité,
Susie Morgenstern est tout, sauf une paresseuse. Ce livre le prouve. Elle a su
dompter l’adversité, plier chaque obstacle, se faire toute petite devant son
géant de mari, et trouver la faille qui lui permettrait d’exister aux yeux de
ce Jacques si exigeant, si intelligent, si merveilleux à ses yeux.
Elle qui n’était, écrit-elle, « qu’une Américaine » importée du New Jersey, incapable de cuisiner, de trier ou de ranger lui a tout de même donné – sinon les douze enfants dont il rêvait (NB : avec douze femmes différentes !) –, deux filles étincelantes d’intelligence, et accomplies dans leur métier. Elle a construit avec lui un « nid de bric et de broc » quasi-inaccessible, fantaisiste, dont elle décrit les incongruités avec humour. Sans parler des progrès en cuisine que le désir de ressembler à une Française (ou à sa belle-mère) pour plaire à Jacques rendait indispensables. À chaque ligne on perçoit la fascination qu'elle éprouvait pour son mari, et l’on sourit, presque malgré soi, de l’auto-dérision dont elle fait preuve. Et chaque chapitre nous rappelle que le plus grand des amours consiste à aimer l’autre avec – et pas « en dépit de » – tous ses travers et ses imperfections.
Elle qui n’était, écrit-elle, « qu’une Américaine » importée du New Jersey, incapable de cuisiner, de trier ou de ranger lui a tout de même donné – sinon les douze enfants dont il rêvait (NB : avec douze femmes différentes !) –, deux filles étincelantes d’intelligence, et accomplies dans leur métier. Elle a construit avec lui un « nid de bric et de broc » quasi-inaccessible, fantaisiste, dont elle décrit les incongruités avec humour. Sans parler des progrès en cuisine que le désir de ressembler à une Française (ou à sa belle-mère) pour plaire à Jacques rendait indispensables. À chaque ligne on perçoit la fascination qu'elle éprouvait pour son mari, et l’on sourit, presque malgré soi, de l’auto-dérision dont elle fait preuve. Et chaque chapitre nous rappelle que le plus grand des amours consiste à aimer l’autre avec – et pas « en dépit de » – tous ses travers et ses imperfections.
Après avoir publié plus de cent livres pour enfants et adolescents, que Susie
la Niçoise ait eu envie de raconter cette histoire à des adultes est touchant,
comme l’est ce livre étonnant : au fil du récit, on se sent sœur de l’épouse bousculée, et souvent à des années-lumière de la philosophie de ce couple singulier ; on
est ému par le passé familial, sensible à la souffrance des survivants de la
Shoah, admiratif face à la constance de leur foi, et curieux d’en
apprendre encore davantage sur la magnifique trajectoire littéraire de
l’auteure, car celle-ci semble trop modeste, comme effacée encore derrière le
fantôme de son Jacques.
En définitive, c’est pourtant elle qui se révèle être l’héroïne vivante et colorée de ce livre captivant dont son époux disparu est censé être le héros – mais les millions de lecteurs fidèles de Susie Morgenstern savent bien que le bonheur immense qu’elle leur procure depuis si longtemps ne peut se commander par un simple « Jacques a dit ».
En définitive, c’est pourtant elle qui se révèle être l’héroïne vivante et colorée de ce livre captivant dont son époux disparu est censé être le héros – mais les millions de lecteurs fidèles de Susie Morgenstern savent bien que le bonheur immense qu’elle leur procure depuis si longtemps ne peut se commander par un simple « Jacques a dit ».
La star de la littérature jeunesse écrit pour la première fois un livre destiné aux adultes. Elle raconte sa propre histoire, à travers celle de son mari, le grand mathématicien français Jacques Morgenstern, avec qui elle a vécu sa grande histoire d'amour. Son texte décrit la beauté de cette relation toute imprégnée de la religion juive qu'ils pratiquent tous deux, avec le talent que l'on connaît, basé sur une incroyable aptitude à manier l'humour, la cocasserie la plus débridée. Mais au travers de ce récit de l'histoire d'un couple désassorti, transparaît une magnifique réflexion sur l'amour, ce qui le fait durer, et à quel prix. Une histoire universelle donc et un texte incroyablement prenant. Impossible de rester indifférent aux bonheurs et aux malheurs de Susie.
Broché: 223 pages
Editeur : Bayard Jeunesse (10 septembre 2015)
Collection : EDUCATION
ISBN-10: 2227488018
ISBN-13: 978-2227488014
18€
Je me souviens bien jouer à ce jeu de l'enfance soit en français soit en anglais ('Simple Simon'). C'est une très bonne idée d'utiliser le jeu pour le thème d'une biographie!
RépondreSupprimerPeut-on dire:
Jacques a dit: Vous êtes obligé de lire ce livre?
Joseph
On va plutôt dire : "Jacques a dit : lisez ce livre"
RépondreSupprimerou encore : "Jacques a dit : admirez Susie" !