"À Dresde en 1937, le tout jeune Kurt Barnet visite, grâce à sa tante Elisabeth, l'exposition sur l'art dégénéré organisée par le régime nazi. Il découvre alors sa vocation de peintre. Dix ans plus tard en RDA, étudiant aux Beaux-arts, Kurt peine à s'adapter aux diktats du réalisme socialiste. »
Tandis qu’il cherche sa voie et tente d’affirmer son style, il tombe amoureux d’Ellie. Mais Kurt ignore que le père de celle-ci, le professeur Seeband, médecin influent, est lié à lui par un terrible passé.
Epris d’amour et de liberté, ils décident de passer à l’Ouest… "
Epris d’amour et de liberté, ils décident de passer à l’Ouest… "
Elisabeth May interprétée par Saskia Rosendahl
C'est ainsi que débute ce film en deux parties. En tout, il dure plus de trois heures. Alors, on commence par prendre un billet pour la première partie, en se disant « On verra bien après… ». Et voilà qu'à peine cette première partie est-elle achevée que l’on se précipite au guichet afin de pouvoir regarder la suite !
Je ne dirai pas davantage ici sur son synopsis complet, que l’on peut trouver à peu près partout sur internet*, mais exprimerai d'emblée mon sentiment d’irritation suite à la lecture de certains articles publiés par les journaux français sur ce film exceptionnel, récompensé partout ailleurs, mais dont le message subliminal semble avoir échappé à leurs auteurs.
Dans leurs analyses, il n’est question que de logique, de raisonnement, d’intellect, de "réalisme" en somme. Alors que ce film vous prend à la gorge par ses non-dits, justement, et par la façon si subtile qu’il a de soulever deux problématiques essentielles : celle de la création artistique en marge de l’Histoire, et celle de la culpabilité enfouie de l’artiste, voleur d’images et d’histoires.
Ceux et celles qui auront lu mon dernier roman comprendront en voyant ce film pourquoi il m’a tiré des larmes et donné la chair de poule.
(J’écris ceci de manière probablement plus subjective cette fois-ci que d’ordinaire, mais au fond, ceci est un blog personnel.)
Le parcours artistique du héros, Kurt Barnet, est lui-même créé par le réalisateur Florian Henckel von Donnersmarck, à partir de celui (à peine déformé) du peintre allemand Gerhard Richter, dont l'une des toiles, "Nu sur un escalier", est évoquée visuellement dans ce film.
C’est bien là toute la subtilité de cette "œuvre sans auteur" que de révéler aux spectateurs l'angoisse que ressent un créateur lorsqu’il vole la réalité des êtres pour la transformer en œuvre d'art. Tout comme Kurt, un artiste mentira en répondant à certaines questions quant à ses sources "d'inspiration". Qui est véritablement l'auteur du résultat final ?
Dans ce film, on perçoit bien l'aspect "poupées russes" qu'a imaginé son réalisateur.
À l'instar d'Irène — la "création" de ma créature Margot –, Kurt, le peintre, a transformé les personnages dont il s’est inspiré ; il a effectué des juxtapositions dérangeantes, volé leurs traits tout en les dissimulant à coup de brosse.
En voyant ce film, je me suis sentie comme une sœur (soeur ? Il est né en 1973, je pourrais être sa mère !) de Florian Henckel von Donnersmarck, et je lui suis extrêmement reconnaissante d’avoir abordé avec autant de délicatesse, et de force, cet aspect-là, si troublant, de la création artistique.
Pour le citer : (...) "Le devoir de l'artiste est de découvrir par ses sens quelque chose que l'intellect ne peut saisir. L'intuition et la sensibilité sont des outils de connaissance qui nous conduisent au cœur de l'existence et donnent accès aux choses spirituelles".
(Citation prise ici.)
Kurt Barnet, interprété
par Tom Schilling,
dont le quasi-mutisme est parlant tout du long
Ainsi le personnage de Kurt ne peut-il véritablement créer que lorsqu'il utilise et transforme ce qui le touche au cœur : ses souvenirs les plus douloureux – ceux du régime nazi qui ordonné l'assassinat de sa jeune et jolie tante, auparavant stérilisée...
Un autre personnage central :
le Professeur Carl Seeband tout aussi
superbement interprété par Sebastian Koch
La manière dont le réalisateur traite
du problème de sa culpabilité est
d'une subtilité remarquable
La manière dont le réalisateur traite
du problème de sa culpabilité est
d'une subtilité remarquable
Pendant longtemps, Kurt ne fait que se plier aux normes dictées par la société et son milieu. Sa toile intime en est restée aussi blanche que la page vierge que fixe un écrivain sur son écran. Mais après son bras-le-corps avec les horreurs de l'Histoire, il parvient à émouvoir par son travail les plus rétifs, les plus caparaçonnés de ses proches, y compris son professeur, si exigeant. Il touche aussi les spectateurs, qui regardent naître les créatures du créateur après avoir observé la mise à mort d'œuvres belles, mais peu authentiques...
Un personnage secondaire qui ne laisse pas indifférent
le Professeur Horst Grimma : Hans-Uwe Bauer
L'art n'est pas fait pour être joli. On le sait. Ceux qui le montrent aussi bien que Florian Henckel von Donnersmarck dans ce film qui est tout sauf "joli" méritent notre plus grand respect. Depuis "La vie des autres", le mien lui était acquis. À présent encore davantage, on l'aura compris.
Un dernier point : le réalisateur ne cède jamais à la facilité. Il ne tombe pas dans le piège du thriller, de la traque du méchant. Il ne va pas là où on l'attendrait peut-être. Il évite les rebondissements romanesques. Il creuse et suit un sillon autre, bien plus riche – que certains journalistes pressés n'ont peut-être pas perçu ?
Un dernier point : le réalisateur ne cède jamais à la facilité. Il ne tombe pas dans le piège du thriller, de la traque du méchant. Il ne va pas là où on l'attendrait peut-être. Il évite les rebondissements romanesques. Il creuse et suit un sillon autre, bien plus riche – que certains journalistes pressés n'ont peut-être pas perçu ?
Si, de surcroît, on se fie à la réaction des spectateurs niçois (nombreux dans la salle ce jour-là) qui ont applaudi le film en fin de séance et qui sont restés figés dans leur siège jusqu’à la fin du générique, on peut aussi se dire avec un sourire que les critiques et eux, ça fait deux !
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J'y cours! Merci de tes belles critiques qui nous incitent (et permettent) de partager des films exceptionnels avec nos amis.
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