La même en français
Je vais ici raconter une histoire qui ferait un tabac, si toutefois elle était de la plume de Kafka. Bon, je vais faire de mon mieux pour vous en dire les méandres, en espérant ne pas vous perdre en route.
Il y est question d’une de mes cousines de cœur, Miss Z.
Je sais, j’ai mentionné le Z de Costa-Gavras la semaine dernière, et le film ainsi nommé a fait sa réputation, suis-je en train de me prendre la grosse tête, par hasard ?
Tant pis, je continue sans attendre de réponse !
Alors, voilà : Miss Z. se trouve être la fille de R. née en Allemagne, donc allemande à l’époque où elle y a vécu – sauf qu’elle a été obligée de fuir ce pays avec ses parents vers la fin des années trente. Pas de gaieté de cœur, certes, mais avec une sagesse qui leur a sauvé la vie.
Peu de temps après, ils se sont tous retrouvés déchus de leur nationalité allemande, et apatrides. Cela vous parle ?
Je vous épargnerai les détails du sort de la famille pendant la guerre, pour me concentrer sur leur survie et leur immigration réussie aux États-Unis, pays qui leur accorda la citoyenneté assez rapidement.
Halleluya !
R. épousa ensuite un citoyen américain, ce qui signifie que Miss Z. la personne dont je parle aujourd’hui est née aux USA, et qu’elle est donc de droit une citoyenne américaine.
Tout est bien qui finit bien ?
À voir !
Même si Miss Z. est ravie de bénéficier de cette citoyenneté enviée, et même si elle a vécu toute sa vie en Californie, et même si elle est bien décidée à conserver cette nationalité toute sa vie, quelque chose lui a un jour sauté aux yeux. Un article dans USA Today qui expliquait comment un tas de gens, dans le même cas que le sien avaient à présent le droit de réclamer la nationalité allemande (en conservant la leur), s’ils en avaient été déchus par les lois nazies, entre autres.
(Pour les anglophones voir ceci :
http://www.usatoday.com/news/nation/2007-09-07-270955086_x.htm)
Miss Z étant une voyageuse acharnée, et amoureuse de l’Europe, elle a sauté sur l’information en dépit du douloureux passé commun à sa famille et à l’Allemagne.
En effet, il semble qu’abondance de passeports ne nuise pas plus par les temps qui courent qu’il y a quelques décennies – qui sait quel endroit s’avérera le plus sûr refuge, un jour, de l’Amérique, ou de l’Europe ?
Mais rien n’est simple, nulle part au monde, quand il est question de formalités !
Car, en raison de sa date de naissance, et du fait que la nationalité allemande aurait été transmise à Miss Z. par sa MÈRE et non par son père, il semblerait qu’elle ne soit pas jugée éligible au rang de citoyenne germanique. En effet, la citoyenneté allemande ne passe à un enfant par la mère que depuis 1953. Auparavant, elle s’acquérait par le père. À cette date fatidique, l’Allemagne accorda aux femmes le même droit qu’aux hommes, le résultat, en ce qui concerne Miss Z. étant qu’un enfant né avant cette date ne peut prétendre à cette faveur, la loi n’ayant pas un effet rétroactif, comme chacun le sait. Exit la demande de Miss Z ?
Ah, ce serait sans compter sur sa force de caractère, et sa persévérance !
Comment ? L’héritage de sa mère serait considéré nul et non avenu au prétexte qu’il émanerait d’une FEMME ?
Comment, non seulement R. avait été rejetée en tant que Juive, pendant la période nazie, mais maintenant, il en irait de même de la requête de sa fille ?
Et la sœur cadette de Miss Z. aurait, elle, le droit d’obtenir ce passeport, du seul fait d’être née deux ans plus tard ?
Ceci n’a ni queue ni tête, et certainement pas pour quelqu’un qui est attachée à l’égalité des sexes en matière de droit, sans même parler d’équité entre frères et sœurs !
Miss Z. s’est donc battue bec et ongles, en fournissant chacun des documents requis par toutes sortes de fonctionnaires, et son cri d’outrage a dû résonner très fort sur la toile, car, après un ultime entretien, il vient de lui être signifié que son dossier est digne de considération, en haut lieu. Il sera donc envoyé « Nach Berlin » dans les meilleurs délais pour examen en vue de validation.
À présent, nous pouvons garder les doigts croisés afin que les personnes adéquates lui accordent ce qu’elle réclame : une très petite compensation, au regard de ce que sa famille a subi, et pour avoir perdu les avantages que procure l’appartenance à notre chère Europe depuis sa naissance.
En ce qui me concerne, tout ce que je souhaite, c’est d’être parmi ceux qui assisteront, dans quelques mois peut-être, à la remise de ce passeport allemand, mais surtout européen, à une exilée de longue date, pour lui souhaiter un heureux retour au pays !
Cela sera également la preuve que les bureaucrates si souvent décriés sont capables de fournir une autre réponse que « Ce n’est pas dans les textes » et surtout, qu’ils savent faire bon usage de leur mémoire.
Ceci se produirait quand, après avoir entendu répéter le caricatural slogan : «Ah non, nous n’achèterons pas de voiture allemande ! » pendant des décennies, je me retrouve en train d’en conduire une.
Elle a été fabriquée et montée par toutes sortes d’ouvriers immigrés, dans une bonne douzaine de pays européens, vendue avec fierté par des Français, et naturellement payée en euros…
Eh oui, c’est notre monde à présent, alors pourquoi ces prises de tête pour un passeport, je vous le demande ?
Vous m’avez suivie jusqu’ici ? Bravo ! Passez donc un bon week-end, où que vous viviez !
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