Aujourd’hui, je triche un peu.
Voilà, j’ai eu envie de partager un coup de cœur durable, et un petit texte que j’ai écrit, il y a quelque temps pour le bulletin de l’association AMEJDAM, déjà mentionnée sur ce blog – tout simplement parce que je ne souhaite pas que les belles choses aient une vie trop éphémère. Les livres, comme le reste - y compris les élans du cœur - deviennent des consommables, on en parle lorsqu’ils sortent, et on les oublie une fois la page publicitaire tournée. Même pas juste ! Pour une petite piqûre de rappel, ou pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, voici de quoi il s’agit.
Celle qui a lu, tardivement, le Journal de Myriam Bloch, en deux jours - une lecture hélas entrecoupée par les tâches du quotidien - éprouve le besoin impérieux de partager son émotion avec les amis de l’AMEJDAM.
Ce livre est bien une de ces « bouleversantes rencontres », ainsi que le dit la manchette rouge de l’éditeur à propos du contenu de l’ouvrage de Colette Guedj. Mais il y a bien plus que l’accroche ne le suggère, dans ce croisement-là.
La rencontre de l’héroïne au nom troublant de « Celle qui lit » avec le Journal de Myriam Bloch - livre de mémoire jamais retrouvé - fusionne par un étrange phénomène de cascade avec celle qui a lieu entre la lectrice et le livre de Colette Guedj lui-même.
Autrement dit, on entre dans le livre dans le livre dans le livre….
Soyons plus clairs. Colette Guedj raconte l’identification de son personnage à une petite fille juive menacée par les nazis, et comment toute sa vie a été façonnée par cette présence intime de la peur absolue et de la nécessité de survivre.
Dit ainsi, cela paraît banal. Mais Colette Guedj nous fait pénétrer, tels des passe muraille, dans trois ou quatre mondes différents à la fois, avec une subtilité et une délicatesse envoûtantes.
Il y a le monde terrifiant de Myriam Bloch, que nous connaissons tous hélas, pour l’avoir vécu directement ou reçu en héritage. Avec sa question subsidiaire, tellement cruciale pour ceux d’entre nous qui sommes nés après la guerre : « Qu’aurais-je fait si…… ? »
Il y a le monde de l’enfance en Algérie, avec toutes ses composantes affectives et sensuelles – c’est-à-dire qui touchent tous nos sens. Nous en respirons l’air, nous humons ses senteurs, nous en goûtons les saveurs, le piment, nous en éprouvons la rudesse, aussi, et les ambiguïtés. Le récit du contenu des strates de cette mémoire peu organisée qui fonctionne par association d’idées, fascine et trouble tout à la fois. Colette Guedj nous émeut, sans jamais tomber dans le mélo, dans la guimauve, même si la douceur de cette Algérie évanouie est également perceptible à travers chacun de ses mots.
Et puis il y a cette composante poétique qui donne envie de lire le texte à voix haute à quiconque se trouve à proximité, ou bien pour soi-même, pour goûter le plaisir accru des sonorités, des correspondances, des échos littéraires, linguistiques ou cosmiques qu’il éveille en nous.
De fait, chacun d’entre nous, enfant de survivants, peut se retrouver dans ce récit, qu’il ou elle soit né(e) de ce côté-ci de la Méditerranée, ou de l’autre. Colette Guedj fait délicatement tomber les barrières entre Ashkénazes et Séfarades, entre Juifs et non Juifs. Ce faisant, elle nous parle de l’humanité, de ses angoisses enfouies, de sa responsabilité collective, de sa culpabilité enfouie, de ses travers, de ses merveilleuses qualités et de son optimisme inné.
J’oublie une dernière strate de feuillets, et non des moindres. Celle qui décrit notre monde contemporain, déchiré de contradictions, dont les fragments menaçants sont exposés ça et là, et qui comporte dans sa trame la question lancinante, récurrente que se pose chaque être humain : où est donc ma place, ici et maintenant ?
Plus légèrement parlant, ce mille-feuille est un plaisir fou à déguster. Tour de passe-passe absolu, c’est un (merveilleux) livre dont on est le héros : on le pose à regret, mais c’est sûr, on le relira et on le partagera.
Le Journal de Myriam Bloch (ed. JC Lattès – 2004)
Du même auteur, entre autres :
Le baiser papillon (ed. J.C Lattès – 1999)
Le perce oreille (Les éditions Ovadia – 2010)
On ne peut qu'applaudir des 2 mains, aussi bien pour l'auteur du Journal de Myriam Bloch que pour le commentaire qui en a été fait par l'auteur de ce blog... et du livre dont, par modestie, elle ne parle pas... ces "histoires floues" qui évoquent la même période douloureuse de la guerre, mais à Nice, au lieu d'etre de l'autre côté de la méditerranée...
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