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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

samedi 16 avril 2011

La leçon de Costa-Gavras



20 000. Vingt mille étrangers en moins seront interdits d’immigration LÉGALE en France, si le projet annoncé par le ministre de l’Immigration (sic) aboutit, faisant baisser le chiffre des entrants de 200 000 à 180 000.

Pourquoi ce nombre ? Quel arbitraire a accompagné son choix ?

Quid du numéro 20 001 ? Celui qui se verra fermer la porte d’entrée, arbitrairement, alors que son rêve professionnel dirigeait ses pas vers Paris, ou une autre de nos villes, Nice, par exemple ?

Où donc iront les esprits brillants venus de pays où les études sont un luxe inabordable ? Quels pays moins bornés les accueilleront, pour ensuite tisser des liens privilégiés avec eux, et avec leur pays d’origine ? Plus concrètement, où donc iront-ils ensuite faire rayonner leur savoir, leurs talents, ET contribuer à la diffusion de la langue française ?

Je me le demande encore plus fort ce matin, après avoir assisté à la passionnante « leçon de cinéma » donnée hier soir, à la Cinémathèque de Nice, par le réalisateur Constantin Costa-Gavras, qui s’y est entretenu avec deux maîtres en la matière, Jean-Jacques Bernard, (Président du Syndicat de la Critique de cinéma et de télévision) et Jean-Luc Douin (journaliste au Monde).

Ma question est la suivante : que se serait-il passé si un fonctionnaire zélé avait refusé de tamponner son passeport lorsque Costa-Gavras s’est présenté à nos frontières avec l’espoir d’étudier les lettres à Paris, en lui disant « Désolé, nous avons suffisamment accueilli de Grecs cette année » ou bien « Vous êtes le numéro 20 001 sur notre liste, tentez votre chance ailleurs… » ?

Serait-il parti faire ses films aux États-Unis, comme tant d’autres, où il aurait eu à subir les diktats des « majors » ; où il aurait été accusé d’être communiste, ses projets d’être trop libres, trop indépendants, pas assez commerciaux, que sais-je ? Où, surtout, il n’aurait pas rencontré la femme de sa vie, celle qui accompagne ses rêves et l’aide à les réaliser, pour notre plus grand bonheur à nous, spectateurs.

Si ce mode de pensée myope avait existé quand Costa Gavras a choisi notre pays pour y étudier, nous n’aurions pas entendu hier soir ces témoignages de reconnaissance venus d’une salle comble. Nous n’aurions pas vu notre vie, notre conscience basculer, ainsi que l’a souligné Odile Chapel, la directrice de la Cinémathèque de Nice : il y a bien eu, pour nombre d’entre nous, un avant, et un après Z. Un avant et un après L’Aveu. Un choc devant Music Box, si prémonitoire des quêtes qui nous taraudent des années après sa sortie en 1989. Et j’en passe.

Non, tout cela ne se serait pas produit, si cet étranger, ce métèque, avait été refoulé à nos frontières par une loi étriquée.

Ah, me dira-t-on, mais la délinquance, vous ne la voyez pas, cette plaie sur notre société ?

Ce serait si simple de pouvoir affirmer que la méchanceté se voit au premier coup d’œil, mais en écoutant Costa-Gavras, il nous est confirmé qu’il faut la chercher, la révéler, derrière le visage de l’ange parfois. Et inversement, donc ?

Alors qui nous dit que le mal est inhérent au groupe refoulé, à une ethnie particulière, ou à un nombre défini ?

Non, ce schéma est simpliste, faussement rassurant, mais, hélas, récurrent ; le débat tourne en rond, en France comme ailleurs en Europe, du reste.

Au risque de passer pour naïve, j’ai envie de dire :

Continuons donc à donner leur chance aux talents venus d’ailleurs, ils s’épanouiront chez nous, ainsi que le prouve l’histoire extraordinaire de cette jeune boxeuse française, que les plateaux télé s’arrachent, et dont la vie est un roman*.

Cessons de jeter l’anathème sur «les immigrés », de nous refermer sur nous-mêmes, quand chaque Français sait qu’il est lui-même un descendant d’étrangers…

Nous en récolterons la gloire, l’honneur, et surtout la conscience d’avoir été les citoyens actifs d’un monde éclairé.

Chiche ?

(Et je remercie ma ville d’avoir invité et reçu Constantin Costa-Gavras ici)


* Danbé, Aya Cissoko, avec Marie Desplechin, Calmann-Lévy

Photo : source Wikipedia (auteur : Perline)

3 commentaires:

  1. « Cessons de jeter l’anathème sur «les immigrés », de nous refermer sur nous-mêmes, quand chaque Français sait qu’il est lui-même un descendant d’étrangers… »

    Après tout, le nom même du pays provient d’une tribu étrangère, germanique en plus !
    1940 : un jeune officier allemand vient sonner à la porte de la maison où il sera cantonné en Normandie. La jeune fille de la famille lui ouvre la porte. Avant même les présentations, le lieutenant a l’air tout interloqué… Après un moment de silence embarrassé, il bredouille:
    « Mais… vous êtes blanche ! »
    « Eh oui, Monsieur, à quoi vous attendiez-vous, donc ? »
    A l’origine de cette histoire, un soldat allemand sur le Westfront en 1916, dont le régiment se trouve face à un régiment colonial français… et dont l’esprit malade tire la conclusion que la population française toute entière doit donc être de couleur…
    Quant à la jeune fille qui n’était pas métisse mais tout ce qu’il y a de plus normande (donc d’origine scandinave), elle est devenue plus tard mon professeur d’histoire…
    En ce qui concerne Costa Gavras, je suis tout à fait d’accord. Mais, s’il s’agissait de faire la liste des immigrés illustres, celle-ci pourrait s’avérer interminable… Il y aurait d’abord d’autres cinéastes, tels le génial Max Ophüls, et même Luis Buñuel, dont les débuts (scabreux !) se firent à Paris, des musiciens, de Lully à Stravinsky, des hommes de théâtre comme Peter Brook, de grands artistes, tels Leonardo, Goya, van Gogh, Pablo Picasso, Kandinsky, Max Ernst, Kisling, Soutine, Chagall, Le Corbusier et Nicolas de Staël. Et, en politique, où en serions-nous sans les Stanislas Leszczynski ou les Poniatowski, les Jacques Necker (et fille), les Napoléon Bonaparte ou… les Nicolas Sarkozy ?

    PeterB

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  2. -- Quelque temps plus tard, je rajoute ici un lien avec un autre blog, afin que l'éclairage soit également mis sur Georges Semprun, l'écrivain remarquable qui a écrit, entre autres, les scénarios de Z et de l'Aveu. Ce beau texte d'Albert Bensoussan est un hommage à ne pas manquer.

    http://www.terredisrael.com/infos/?p=37380

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