En vol

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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

vendredi 6 mai 2011

FAILLE - ET CÉSURE

Cela fait plusieurs mois qu’elle me lancine, cette faille. Me donne envie de la fouiller, de la cerner, de la décerner aussi, et surtout de la partager. En me demandant : par quel angle la saisir - et une faille a-t-elle même un ? Ce petit blog est-il le lieu pour le faire ? Mais surtout, suis-je digne de m’y attaquer ?

Ces questions m’ont autant perturbée que le livre dont ce mot est le titre. FAILLE.

Et puis, je me suis dit que même si le sujet en est moins léger (et c’est un euphémisme !) que ceux que j’ai abordés jusqu’à présent, il a sa place ici, et un rapport très net avec la notion de gratitude dont je persiste à explorer les facettes.

Ce livre d’une soixantaine de pages prouve que le poids des feuillets n’est rien comparé à la charge du séisme émotionnel qu’il provoque chez le lecteur, et en l’occurrence, la lectrice.

Il y est question, très simplement résumé, de l’accompagnement par un homme, jour après jour, de sa femme atteinte d’une maladie dégénérative incurable.

Le sujet a de quoi faire fuir, me direz-vous. Être confronté à la souffrance d’autrui, personne n’a envie de cela, quand le quotidien ordinaire est déjà si difficile à affronter pour ceux qui sont en bonne santé !

Et pourtant, c’est là qu’intervient la vraie littérature. Cet art qui transforme l’horreur en beauté, le sordide en tragédie ; qui fait d’une expérience individuelle quelque chose de l’ordre de l’universel, qui résonnera pour chacun et chacune d’entre nous de manière très personnelle, voire intime.

Albert Bensoussan est un génie des mots, et du cheminement de la pensée. Il est fascinant, autant qu’émouvant, d’en suivre la piste à travers le temps et l’espace. Son récit - qui donne tout son sens au terme d’autofiction - nous entraîne en une succession d’échos, d’une fin de vie à une mort, mais aussi, d’une vie à une autre, sur les traces de l’amour.

Dans ce petit livre, il dit tout : Le chagrin de la perte, les prémices de la passion, son déroulement, et la jalousie qu’elle suscite ; la joie d’observer le ventre d’une jeune femme enceinte, le souvenir heureux des moments de soleil, et de musique ; la force de la tradition hébraïque, et sa place dans la vie d’un homme ; l’exil, l’enracinement ; la déchéance. Sol y sombra. Tout y est, dans un désordre parfait.

Sur fond de « maison de vie dernière » (pour ne pas parler de dernière demeure) et de soins quasi-palliatifs, de détails poignants de réalisme, et de larmes bues, Albert Bensoussan nous parle de ce qui nous touche tous, sans jamais tirer sur les ficelles du pathos. C’est douloureux, comme peut l’être le souvenir d’un bonheur évanoui, mais si puissant !

Et puis, il y a cette note (involontairement ?) rassurante pour nous autres femmes : Celle qu’il aime, et à qui jusqu’au bout, il prouvera son amour, l’a trompé. Mais pas comme vous le comprenez. C’est sur son âge que Maria Elena lui a menti, et elle ne l’avouera que très tardivement ! Pendant des années, le héros a passionnément aimé une femme bien plus âgée que lui. Quel réconfort pour toutes les femmes que le monde contemporain assassine une fois la trentaine passée, de se voir assurer que l’esprit et la séduction n’ont pas d’âge ! (Même si, je l’avoue, je n’en doutais pas vraiment en regardant autour de moi !)

Et aussi, on est renversée : Est-il vrai qu’un homme peut aimer à ce point ? Ne pas s’échapper dès la première fuite, ne pas se dérober quand l’esprit et la mémoire flanchent, ne pas renoncer quand la chair faiblit ? Au point d’accomplir les tâches les plus humbles, soulager, nettoyer…. ? C’est ici rendu aussi beau et digne que convaincant.

Ultime délicatesse : dans son récit, Albert Bensoussan insère des paragraphes entiers d’un texte écrit, il y a bien longtemps, par sa propre épouse, Matilda et qu’il a fait publier en même temps que FAILLE. Ce livre s’appelle LA CÉSURE. Il raconte le moment où le destin d’une femme a basculé d’une mort virtuelle vers la vie réelle grâce à des circonstances en apparence létales. Le passage soudain du statut d’épouse ligotée à celui de femme libre y est photographié, avec une étonnante alternance de distances focales, et rendu dans un noir et blanc tout en nuances.

Les textes s’entremêlent dans FAILLE comme les jambes de deux amants, en un ballet étrange et lancinant.

Le héros de FAILLE a été pour l’héroïne « le cadeau de sa quarantaine » ; et elle, on l’a compris, le cadeau d’une vie.

Pour les lecteurs d’Albert Bensoussan, ce livre est un cadeau, tout court.

Albert Bensoussan a publié en 2010 « BELLES ET BEAUX » aux Éditions Al Manar, ainsi qu’une biographie de Federico Garcia Lorca, chez Gallimard - et bien d’autres ouvrages avant cela. Il est également, en collaboration avec Anne-Marie Casès, le traducteur de Mario Vargas Llosa (Prix Nobel de Littérature 2010).

FAILLE, d’Albert Bensoussan, ed. APOGÉE

LA CÉSURE de Matilda Tubau-Bensoussan, ed. APOGÉE


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PS – Et cette semaine, je remercie aussi EDILIVRE qui a accepté d’insérer un sommaire manquant aux HISTOIRES FLOUES – ainsi que d’ôter une petite ambiguïté de la quatrième de couverture. Voilà une maquette toute neuve pour de nouveaux lecteurs !

4 commentaires:

  1. Ecriture inspirée et sensible - au coeur des mots...
    J.

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  2. André Crenn, directeur des éditions Apogée, écrit:
    C’est effectivement un très beau papier. Nous allons le faire circuler le plus possible.
    Quelle qualité d’écriture et quelle sensibilité ! Dommage que les journalistes des revues littéraires n’aient pas tous autant de talents.

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  3. Au-delà des quelques papiers de presse suscités par cette "Faille", ton article, chère Cathie, est le plus précieux : analyse aiguë, sensible, et véritable empathie. Oui, c'est un livre d'amour et de désespoir - celui du temps qui passe et efface tout ce qui dépasse... Albert

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  4. Je suis très sensible à ces retours, même s'ils écorchent ma (petite !) modestie - car ils me prouvent que ma sincérité est perçue comme telle, et non comme de la flagornerie (que je déteste).

    Je suis honorée de l'estime d'Albert Bensoussan : qui ne le serait pas ?
    Alors que ces lignes vous aient plues, et vous donnent envie de lire ses livres, c'est plus que gratifiant.

    Merci également à tous, de vos messages personnels si touchants.
    Il va falloir que je persévère, alors, à vous inonder de mes enthousiasmes ?
    Banco !

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