Ayant appris mardi la tragédie qui a touché des amis proches en ôtant la vie prématurément à leur petit-fils, dans des circonstances effrayantes, je ne pensais pas rédiger de page pour ce blog cette semaine. Asséchée par cette nouvelle, il me paraissait indécent de manifester à la vie une quelconque gratitude, face à ce drame.
Mais il se trouve que je me suis engagée à participer à la présentation, la semaine prochaine, par l’écrivain Colette Guedj, de ses livres, sous l’intitulé : « La force de l’écriture face au tragique du monde ».
Dérisoire entreprise ? Sans doute, à première vue.
Toujours est-il que je me suis mise à la relecture de son dernier livre LE PERCE OREILLE, ce petit bijou de papier plié, cet origami littéraire, dont le thème s’enroule autour de la mort de son « petit frère », pour m’apercevoir à nouveau que, loin d’être déprimant, ce texte console.
Nul ne peut dire qu’il ou elle a l’apanage de la douleur du deuil. Colette Guedj a eu sa grande part de chagrin, je ne la mesurerai pas, à quelle aune le ferais-je ? Je renvoie simplement à son autre livre, LE BAISER PAPILLON, dans lequel elle relate avec délicatesse, pudeur et force tout à la fois, son accompagnement ultime de sa fille Muriel.
Mais si le PERCE OREILLE touche également à ce thème douloureux qu’est celui de la perte d’un proche, il a une vertu autre, celle de toucher à notre âme poétique, et de la bercer doucement de mots, de sons, d’images – jusqu’à ce que l’on oublie la brutalité de la perte, et l’image initiale qui reste collée à la rétine. Dans son cas, l’oreille de son frère mort.
Colette Guedj nous prévient d’emblée : « …ce livre (qui) tente de percer le secret des mots enroulés dans leur coquille », avant de suivre de petit chapitre en petit chapitre le dessin de l’oreille, ses circonvolutions, ses intérieurs, son aptitude à saisir les rumeurs du monde qui l’entoure. Son labyrinthe est le gardien d’un équilibre à retrouver, pour tenir debout face au tourment.
La question est posée sans détour :
« Comment s’accommoder du vide laissé par la disparition du petit frère ? »
La réponse suit le fil des mots. Colette Guedj nous entraîne dans la spirale du dédale de ses souvenirs, parfois poignants, parfois cocasses, toujours touchants, jamais lassants. À mesure qu’elle les égrène, on se prend à penser qu’elle parle de nous, de notre expérience personnelle, même si le lieu, les personnages qu’elle évoque sont totalement différents des nôtres. Une sorte de maxime vient le confirmer, sous la forme, à nouveau, d’un questionnement :
« D’où vient cette capacité à se croire à l’abri du moment que nous sommes (momentanément) vivants ? »
Ou alors, celui-ci, qui me touche profondément, et que j’ai tenté de traiter, à ma façon, dans La retricoteuse : « Quelle dette qui n’était pas la sienne a-t-il eu à régler par procuration ? Quel crime, quelle faute, dont il n’était pas responsable, a-t-il dû payer de sa vie ? Quel tribut à ses ancêtres ? Et qui déclarera : « Pour solde de tout compte ? »
Ou encore ceci, que je lui volerais volontiers, tant cette phrase me parle : « Être celle sur qui tout glisse sans rien laisser de trace, que rien ne plisse, dépourvu de relief, étale comme ces étangs de la Creuse, par temps plat, reliques d’anciens marécages, cela aura été un de mes rêves les plus prégnants. »
Ce petit livre magistral fait plus que nous affirmer (ce que je savais d’expérience) que la force de l’écriture aide à surmonter le tragique du monde – pour celui ou celle qui écrit. Il est flagrant à la lecture des livres de Colette Guedj que cela s’applique aussi à celui, ou à celle qui lit.
Le perce oreille, leseditionsovadia / ISBN 978-2-915741-73-5
– 14 € -
Illustration de couverture : Odile Maarek
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