Cette semaine la polémique a été relancée, avec une attaque maligne envers les classes préparatoires aux grandes écoles. Le Monde a publié ici un article de Marie Desplechin qui ne met le projecteur que sur les aspects les plus noirs de cette voie d’excellence. À lire cette chronique, on se demande comment une telle formation peut être autorisée dans un pays démocratique. Elle donne à penser que l’on prend les meilleurs éléments des lycées de France pour leur faire vivre une vie de bagnards pendant deux ans. Quelle caricature !
Son article a suscité de nombreuses réactions, de toutes parts. Des professeurs de classe préparatoire ont fait part de leur vécu et de leur expérience, (voir ici) tandis que de nombreux étudiants en prépa ont écrit pour dire, de manière fort peu académique, que c’était « du grand n’importe quoi ».
Ceux du Lycée Masséna de Nice laissent même leur témoignage sur le site officiel de leur établissement. Voir ici aussi.
Je ne me joindrai pas à ce débat, car je sais d’expérience que n’importe quelle institution d’enseignement peut produire le pire et le meilleur. Tel jeune sera très malheureux en prépa, et s’épanouira en faculté – mais l’inverse est vrai aussi : combien de lycéens studieux savourent le fait d’arriver dans une classe où tous ont envie d’apprendre et de progresser, sans être traités de « fayot » !
Et, que je sache, on trouvera des professeurs exigeants dans tous les établissements, ainsi que des plus ou moins compétents en matière pédagogique - tout comme des maîtres idéaux : ceux et celles qui donnent pour toujours à leurs élèves le goût d’apprendre.
Ayant pu comparer les systèmes éducatifs de différents pays, je pense que si le nôtre est perfectible, (cela va de soi) il a tout de même su conserver le pôle d’excellence dont tout pays a besoin, et que celui-ci se trouve souvent dans les classes préparatoires de toutes les grandes villes de France - pas seulement à Paris.
Marie Desplechin écrit : « Beaucoup seront amenés à abandonner la musique, le sport ou le théâtre. »
C’est là que je souhaite faire pivoter le projecteur.
À Nice a lieu chaque année, depuis 32 ans ce que l’on nomme familièrement « Le concert des prépas ». Il rassemble tous les élèves musiciens pour un concert exceptionnel.
Depuis 6 ans, date de l’inauguration du nouveau Conservatoire National de Région, il a lieu dans sa superbe salle de concert, et il est gratuit.
J’ai assisté mardi dernier à cette manifestation, et une fois encore, j’ai été éblouie, si toutefois ce terme convient pour une expérience d’ordre acoustique !
Et je n’ai pas été la seule dans ce cas, à en juger par les réactions de la salle.
Ces jeunes gens et ces jeunes filles dont on connaît l’emploi du temps de folie, dont certains disent qu’ils sont proches du désespoir à force de travail, dont on imagine qu’ils ne sont que des cerveaux pleins de chiffres ou de lettres, mais vides de sentiments, nous ont fait la grâce et le cadeau inimaginables de leurs talents conjugués. Le cadeau de leur jeunesse enthousiaste et généreuse, par l’intermédiaire de la musique, des musiques.
L’Ensemble Vocal « Atout Cœur » dirigé par Claude di Benedetto a ouvert la soirée de manière magistrale avec un morceau des Pink Floyd. Celui-ci a été suivi par un extrait de la Carmen de Bizet, chanté par Le Chœur du Collège Henri Matisse. Imaginez tous ces petits collégiens en train de défiler fièrement sur la scène, un grand alternant avec un plus petit, avant de se placer sur deux rangs et de chanter magnifiquement ce morceau de bravoure. Ils étaient si beaux, si sérieux, si concentrés, et quelle harmonie ! Ce fut-là un belle ouverture, un hors d’œuvre parfait pour une soirée de haute tenue qui allait être un régal.
Le jeu de leurs aînés, sérieusement présenté par deux adorables maîtres de cérémonie, nous a ensuite rendus muets. Sauf quand les musiciens quittaient la scène et que nous nous déchaînions en bravos tonitruants !
Je n’entrerai pas dans une description qui risquerait d’être lassante, alors que leur musique ne l’a jamais été. J’aimerais simplement écrire aujourd’hui que les jeunes dont je vais citer les noms ont su me procurer une émotion habituellement ressentie en écoutant les plus grands.
En vrac :
Au piano : Gautier Todeschini éblouissant ; Michaël Margo - quelle perfection dans cette interprétation de Autumn Leaves !
Youssef Joundy a, lui, brillamment ressuscité « ce cher cadavre » … je parle, avec l’irrévérence de George Sand, de Chopin ; plus tard, Marie Miot a posé sur le clavier ses doigts de papillon, mais avec, quelle surprise !, toute la force et l’énergie que requérait une gavotte de Rameau.
En écoutant Arthur Saunier nous donner du Beethoven, je me suis demandé sur quelle voie littéraire il s’était engagé - celle de la poésie, peut-être ?
À la clarinette, enfin, Corentin Depagne m’a bouleversée – mais là, j’avoue un parti-pris, cet instrument me touche plus qu’aucun autre.
Justine Charlet, Marie Lesnik (quelle voix !) et Samuel Rotsztejn sont, eux, quasiment hors concours : Purcell est revenu sur scène avec eux – et moi j’étais partie quelques siècles en arrière à les écouter, le souffle coupé…
Tous et toutes ont forcément passé des heures et des heures à répéter, volant le temps, jonglant avec – pour notre bonheur. Vous trouverez leurs noms, et plus, sur le programme ci-dessous.
Une fois le concert terminé, le livre d’or signé, le public ravi ne parvenait pas à s’arracher aux lieux. Il a fallu un appel au micro pour lui intimer de sortir – c’est ce refus de briser le charme qui se produit lors d’une expérience collective forte.
Merci donc à tous ceux qui ont fait de cette soirée un moment qui réchauffe l’âme. Nul doute qu’ils, et elles, sont retournés, dès le lendemain matin, résoudre des équations, étudier les problèmes d’hygiène et de santé du 18ème siècle jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale, ou disserter sur Edgar Allan Poe (là, enfin, je sais un peu de quoi je parle !) – il reste si peu de temps avant les concours.
Mais que peuvent imaginer de cette quête laborieuse et fascinante du savoir ceux qui ne l’ont jamais approchée ?
Un dernier mot. Depuis maintes années, c’est Henri Koen, un professeur de mathématiques en classes préparatoires du même Lycée Masséna qui tient haut le flambeau de l'organisation de ce concert, à défaut de la baguette. Son discours aura été à l’image de la soirée : pertinent, pétillant, émouvant.
Tout en bas du programme, une mention manuscrite a été ajoutée, tirée du livre d’or :
« Ah si tous les théorèmes étaient musique ! » Et j’ai envie de terminer en disant « Ah, que n’ai-je étudié la musique, j’aurais peut-être été moins nulle en maths !
Marie Desplechin? Ne me dites pas que ça vous étonne...
RépondreSupprimerÀ vrai dire, je suis assez ignorante en ce qui la concerne. Mais je pense, ayant jeté un coup d'oeil à wikipedia, que c'est une vision très parisienne du problème qui est mise en avant. Ainsi qu'un de mes correspondants me l'a fait remarquer avec pertinence, une poignée de prestigieuses prépas parisiennes est peut-être différente - ce sont elles qui font croire au monde que toute la France est à l'image de Paris.
RépondreSupprimerEt pourtant les résultats brillants du lycée Masséna aux grandes écoles prouvent que l'on peut aussi conjuguer travail intensif et épanouissement artistique, ainsi que j'ai tenté de le démontrer dans cet article.