Entendu au
café du commerce, ou ce qui lui ressemble le plus dans ma vie, à savoir le
petit bus que je prends régulièrement, un soir vers 17h 30.
Une lycéenne
rentre à la maison. Elle est assise à côté d’une copine, et elles bavardent
sans se soucier de qui les entendra. Toutes les deux ont des boucles d’oreille
démesurées (que l’on nomme je crois, des créoles), et arborent un décolleté
intéressant, qui prouve que leurs poumons sont en très bonne santé.
En revanche,
la première souffre atrocement du coeur. Elle s’en ouvre à sa copine.
« Je le kiffe
trop, dès que je le vois, j’ai trop chaud de partout ! Tu sais ce que ça
fait quand on a l’impression d’avoir la figure qui crame ? Je veux lui
dire des trucs, mais je peux même pas. C’est pire qu’en cours de maths, tu vois
ce que je veux dire, je flippe grave ! »
L’autre ne
dit rien. Elle acquiesce, tout en tapotant sur son portable.
La première
continue son monologue :
« J’ai aucune
chance, il les choppe toutes les unes après les autres, et pas que les plus
moches, hein ? En plus, il n’est même pas, style, je reste cinq jours avec
la même. Non, il les emballe et il les jette. Il a même fait le coup à la meuf
du prof’ de salsa. Remarque, je me dis, s’il faut, il est pas comme ça, au
fond. Au final, c’est peut-être juste qu’il ose pas dire ce qu’il ressent, tu
vois ce que je veux dire. S’il faut, il est juste trop fier. Tu crois que j’ai
mes chances, même si je suis plus vieille que lui ?
Alors, je me
suis dit que le monde ne changeait guère. Seul le style est différent, et, qui
sait, si en cours de français on recommençait à faire découvrir Racine aux
jeunes gens, ils comprendraient peut-être que tout est affaire d’emballage
(sic) et que ce qui les rebute tant à la première lecture pourrait bien mettre
des mots sur leur détresse, sur leur passion ; leur donner des clefs pour
se comprendre, eux et les autres, et, tout simplement, les aider à vivre.
Et à vous,
est-ce que ceci vous parle ?
Je le vis, je
rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva
dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient
plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon
corps et transir et brûler.
(Phèdre, acte
I, scène 3)
*****
Oui, Prince, je languis, je brûle
pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont
vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets
divers,
Qui va du Dieu des morts
déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un
peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les
coeurs après soi,
Tel qu'on dépeint nos
Dieux, ou tel que je vous vois.
(Phèdre, acte II, scène 5)
Extra !!! la jeunesse est éternelle et ses sentiments également... Langage moins châtié, certes, mais qu'importe ! Le coeur a ses raisons que la raison ne connait point... Blaise Pascal est toujours d'actualité!
RépondreSupprimerQuelques cours de français bien ciblés devraient réconcilier ces jeunes filles avec les auteurs classiques !
A condition, bien sûr, que l'on cesse de "saigner" les programmes de français, pour être soit-disant plus en phase
RépondreSupprimeravec cette jeunesse qu'on a presque rendue aphasique à force
de "bons" sentiments (égalitaristes, il va de soi)