Voilà. Encore une semaine
endeuillée. J’avais envie de faire un blanc sur ce blog, au regard des tragédies
de Montauban et de Toulouse, mais j’ai décidé que les signes de tolérance et d’amitié
devaient prévaloir. C’est la raison pour laquelle je vous raconte encore une
belle histoire, tressée d’un de ces miracles du « hasard » que j’aime
tant. Jugez-en.
Petits discours, petits
canapés (en l’occurrence des parts de pissaladière et de pizza, merci à
Monsieur l’Intendant !), et bavardages entre amis.
Soudain, grosse stupeur et grands cris
de surprise : mon époux, qui est autant que moi, côté français, à
l’origine de cet échange, sinon plus, me présente quelqu’un - dont la fille,
Emmy-Lou, fait partie de l’échange - qui
venait de le reconnaître.
Ce monsieur fut un de ses
élèves - il y a un certain temps, il faut l’avouer. Il a, semble-t-il, gardé un
souvenir plus que plaisant de son ancien professeur d’anglais, et me le fait
ensuite savoir. Et plus surprenant, sa fille aînée Flora avait déjà fait partie
de cette aventure avec Falmouth, sans que je sache rien à l'époque de cette belle histoire
partagée, qui remontait aux années de lycée de son papa.
Plus drôle encore : un
peu plus tard, je discute avec une jeune Américaine du groupe, Ayla : elle
s’avère être la correspondante d’Emmy-Lou. Ses remarques et questions sur
HISTOIRES FLOUES, qu’elle étudie en cours de français, m’ont touchée et émue à
la fois. Elle me parlait des personnages
comme si elle les connaissait en personne, leur donnant avec enthousiasme
toute la vie que j’ai souhaité leur insuffler en les créant.
Elle désire devenir
écrivain…
Que dire de plus, sinon que
l’âme généreuse de Worth Campbell continue à veiller sur nous, à tisser des
liens, créer des amitiés, au-delà et au mépris du temps. Thank you and rest in peace,
Worth. We love you.
Ci-dessous un texte qui en dira plus sur l’historique de cet échange.
L’ÉCHANGE FALMOUTH
ACADEMY – LYCÉE ESTIENNE D’ORVES :
HISTOIRE D’UNE BELLE
ET RICHE AMITIÉ
En
1964, autant dire au siècle dernier, un jeune lycéen passionné de littérature
anglo-américaine se rendit par curiosité à l’USO*, avenue Félix Faure, à Nice
pour y suivre des cours de conversation en anglais à partir de textes
littéraires. L’endroit était un lieu de rencontres et d’échanges culturels. S’y
rendaient également les marins et officiers de la 6ème flotte, dont
les navires mouillaient à l’époque en baie de Villefranche. Ils souhaitaient
rencontrer des Français, afin de nouer des liens avec la population locale.
Le
maître de cérémonie de ces séances avait un charisme tout particulier, et notre
jeune homme assista y régulièrement, tous les samedis.
Le
maître en question se nommait Worthington Campbell, et il avait été « chaplain », c’est-à dire
aumônier de la marine américaine pendant ses jeunes années. Depuis, il était
devenu pasteur de l’église épiscopalienne en terre étrangère, et son poste dans
les années soixante se trouvait précisément être à Nice, où il résidait avec
son épouse, Dorothy.
Comme
chacun le sait, les pasteurs protestants ne sont pas voués au célibat, et donc
le couple Campbell s’activait socialement à créer des liens entre leur
communauté et les Niçois. Leur résidence était l’église américaine, qui se
trouvait alors Bd Victor Hugo.
Worth,
que tous appelaient aussi Father
Campbell, était un homme exceptionnel, de bonté, de générosité et de
sensibilité. Il comprit vite que le jeune homme qui venait avec autant
d’assiduité assister à ses cours de littérature américaine était certes doué,
mais aussi en manque de chaleur familiale.
Il
lui ouvrit donc les portes de son amitié, et de sa vie. Et lui fit au passage
découvrir tous les auteurs qu’il aimait. Très érudit, car diplômé de la
prestigieuse université de Harvard, il avait aussi le don et l’enthousiasme de savoir
tout partager, y compris la bonne chère, car il était aussi fin cuisinier.
Leur
histoire ne faisait que commencer. Elle dura toute la vie de Worth Campbell,
qui après maintes affectations en Europe, retourna vivre à Falmouth,
Massachusetts, sur le Cape Cod.
Jacques,
le jeune homme dont il est question entreprit ensuite de brillantes études
d’anglais à la faculté des Lettres de Nice, où il rencontra Catherine, une
jeune étudiante de la même section. Boy
meets girl … La suite logique : ils
se marièrent, devinrent professeurs d’anglais tous les deux, et eurent
deux enfants. Worth et Dorothy les accueillirent de tout cœur.
En
1978 Catherine fut nommée au Lycée d’Estienne d’Orves (où elle resterait trente
années), et son époux au Lycée du Parc Impérial, avant d’être affecté à la
Khâgne du Lycée Masséna.
Le
couple continua à correspondre avec Worth Campbell. Toute la famille fut
naturellement invitée à Falmouth pour y passer des vacances merveilleuses.
À
Falmouth, Worth continua lui aussi à enseigner la littérature, et participa
avec enthousiasme à la création d’une petite école secondaire, dont il fut un
temps proviseur. L’école s’appelait FALMOUTH ACADEMY.
Puis,
les hivers de Nouvelle Angleterre n’étant pas les plus cléments du monde, Worth
Campbell et sa femme décidèrent d’acheter un appartement à Nice pour leur
échapper. Quelques saisons se passèrent
ainsi, les liens tissés devinrent encore plus solides et profonds.
Les
hivers passèrent et, un jour d’été, Worth tomba malade. Très inquiets, ses amis
sautèrent dans un avion pour aller lui rendre visite à Falmouth pendant les
vacances de la Toussaint 2003. C’est à ce moment-là que Worth, déjà très
amaigri et affaibli, suggéra une rencontre entre eux et l’équipe de Falmouth
Academy, en vue d’un échange entre ses deux villes préférées.
Ce
qui avait été vaguement évoqué plusieurs fois auparavant se décida en une
demi-heure dans un bureau de l’école, entre Catherine et Deborah Bradley,
professeur de français à Falmouth Academy. Les grandes lignes furent tracées.
Et tout se matérialisa très vite au retour de Catherine. Le proviseur de
l’époque, Pierre Cadis, appuya le projet, et un groupe de 13 élèves partit aux
vacances de Pâques 2004, accompagné par Catherine et Michel Borla. Jacques se
joignit au groupe comme accompagnateur et chauffeur bénévole.
Worth
eut la joie d’accueillir ce groupe chez lui, dans sa belle maison qui
surplombait l’océan. On peut dire que son rêve prit corps au moment où sa vie
le quittait.
Il
mourut en septembre 2004, mais depuis, cet échange n’a cessé de vivre. Une
seule fois, dans les années Bush il a capoté – on préfère oublier pourquoi.
Catherine, aka Cathie Fidler**, a
cessé d’enseigner en 2008, mais depuis ses collègues du Lycée d’Estienne
d’Orves (Suzan Delvigne, Sonia Protzenko, Christine Chabas-Reyne) et de
Falmouth Academy (Deborah Bradley & Ben Parsons) ont su garder vivante la
flamme de cette belle amitié entre les jeunes Niçois et les jeunes de Cape Cod,
prolongeant ainsi la mémoire d’un homme exceptionnel qui ne souhaitait qu’une
seule chose : que la connaissance de l’autre abolisse les préjugés et
contribue à l’amitié entre les peuples.
*United Service Organization
*Un hommage a été rendu à Worth Campbell dans le chapitre intitulé
« Une dinde œcuménique » tiré du recueil « RECETTES À LA VIE À
L’AMOUR » - éditions Au Pays Rêvé, 2011.
*****
Et pour finir, il y a eu
cette rencontre avec les élèves qui ont donc étudié, et de très près, HISTOIRES
FLOUES avec leur professeur de français.
Ce fut un beau moment
d’échange. Leurs questions ont été pertinentes, intéressantes bien formulées,
et leur attention parfaite. Mais le plus beau cadeau a été celui qui m’a été
remis par leur professeur, Deborah Bradley, à la fin de cette séance, sous forme d’un dossier contenant des histoires
courtes qu’ils et elles ont écrites, en excellent français, et des essais ou
mini-dissertations sur des thèmes en rapport avec mon livre. J’avoue que cela
m’a fait très drôle, le soir même, de lire que ces jeunes gens avaient su
découvrir, et formuler avec autant de délicatesse, mon propos caché. Et de quel talent ils font preuve dans l'écriture d'invention ! MERCI À EUX
TOUS.
Je crois qu’il a là de quoi
être apaisée, et rassurée : ces jeunes-là ne seront jamais fanatisés.
Et quel merveilleux hommage pour un auteur que celui venu de jeunes
lecteurs, francophones par choix de surcroît. Il va vraiment falloir que je
continue à « assurer » !
Merci, et encore merci, de ce grand reconfort. Nous nous trouvons à l'un de ces moments où chacun a, plus que jamais, besoin de se remémorer ce qui nous relie tous, êtres humains.
RépondreSupprimerTu as su suggérer l'antidote à tant de haine et de souffrance et raviver la flamme, chancelante, de notre foi innée.
Puisse cette inspiration se répandre partout, nous en avons un si grand besoin.
PB
Worth was indeed "a gentleman from sole to crown". I miss him so much. Thank you for paying tribute to such a wonderful man.
RépondreSupprimerJ.