Il y a quelques mois, j'avais mentionné ici et ici la visite à Nice des élèves de Falmouth Academy, un lycée de Cape Cod, Massachusetts, qui est jumelé au Lycée d'Estienne d'Orves.
J'avais également parlé des textes que certains ont écrits sur HISTOIRES FLOUES, à la demande de leur professeur de français, Dr Deborah Bradley. Leur qualité est telle que j'ai eu envie de les publier, avec leur autorisation, naturellement. Je viens de recevoir celle d'Isabelle Camarra, 17 ans, et je partage donc ce cadeau avec plaisir. Vous noterez aussi la justesse de son français. En prime, deux jolies photos de la jeune fille en question, car je ne savais laquelle choisir !
Et maintenant son texte :
Le 12 Avril, 2012
L’EMPRISONNEMENT
Dans l’histoire Au Bout de L’impasse, l’emprisonnement physique provoque l’emprisonnement émotionnel et psychologique chez les victimes de l’holocauste,
particulièrement Elsie. Elle peut échapper à cet emprisonnement un peu quand
elle est plus vieille, mais il y a toujours une partie d’Elsie qui est attrapée
dedans.
Quand l’histoire commence, Elsie est
cachée dans un placard avec ses parents. Ici, elle doit rester sans parler,
sans rire, et sans poser de questions. Elle est confinée à cette petite
‘chambre’ qui devient une sorte d’emprisonnement d’ignorance, de crainte, et
d’isolement pour elle :
« Balancement destucteur pour eux-mêmes, et pour
leur enfant, dont ils niaient l’existence à vouloir trop la protéger. »
(13). Elle ne peut pas comprendre la
situation, et donc son ignorance la piège. Tout ce qu’elle sait, c’est que ses
parents lui disent qu’elle ne peut pas parler ou faire de bruit, et donc elle
apprend à être silencieuse.
Ce silence est un refuge pour Elsie,
parce qu’elle ne doit pas expliquer tout ce qui se passe à tout le monde, mais il a aussi un effet destructeur. Elle ne
peut pas parler avec les autres, et donc elle ne peut pas guérir de son
expérience traumatique. Ainsi elle
devient une prison pour elle-même.
Après que ses parents sont enlevés,
Elsie est trouvée par Madame Viale, qui l’amène à l’institut pour les sourdes, muettes, et aveugles. Là, elle est emprisonnée par les fausses
croyances : une religion inconnue, et une fausse identité. Elle se recule
davantage dans son mutisme ; « Elle s’endormit sans pleurer, sans un
mot, emmurée dans le silence qui serait son refuge pendant des années. » (p
25). Elsie apprenait à être silencieuse
quand elle était triste, ou effrayée, ou
refoulée. Peu à peu elle oubliait, ou peut être n’a jamais appris, de lutter
pour elle-même.
Finalement, plus tard dans sa vie d’adulte, Elsie
surmonte ces prisons, particulièrement son silence: Elle trouve sa voix, et
elle peut vivre, nous supposons, une vie plutôt normale et contente. Initialement, la chose qui libère sa
voix est sa colère quand elle lit la lettre de dénonciation de ses
parents ; les émotions qu’elle
avait senties avant été des émotions plus douces, comme la tristesse et la
confusion, mais la colère est une émotion plus forte, et elle ne pouvait pas la
supprimer. Quand la barrière se
brise, sa voix peut retourner. En fait, dans son travail, Elsie embrasse sa
voix ; elle devient une écrivaine et une traductrice trilingue pour les
Nations Unis. Elle semble avoir une bonne vie, avec des amis, et des amants.
Tout de même, à la fin de l’histoire
quand elle a soixante et onze ans, elle dit
« Derrière ce masque il y a la petite fille que je n’ai jamais
quittée» (p. 103). Il y a toujours une
petite partie d’Elsie qui est attrapée dedans. C’est peut être un symptôme
inévitable de la guerre, ou de l’expérience traumatique, ou peut être qu’elle
n’a jamais trouvé sa voix totalement. Bien qu’elle trouve sa voix et mène une
vie normale, il semble qu’il y ait
des parties d’elle-même qui restent cachées au monde. Après tout, ce n’est que
quand elle a plus de soixante et dix ans qu’elle écrit l’histoire de son
enfance. Elle voit toujours son corps
comme une prison pour l’esprit de la petite Elsie, parce qu’il y a une partie
qui n’a jamais échappé, et qui restera là pour toujours.
Je note ici les félicitations, reçues en privé, à l'adresse d'Isabelle et de son professeur. On me suggère l'importation de professeurs de français de cette qualité : nous en manquons à ce qu'il paraît, pour le recrutement 2012. Mais il faut dire que les effectifs de Falmouth Academy ne sont pas les nôtres... et inversement.
RépondreSupprimerQu'une seule personne de la génération d'Isabelle ait bien assimilé cette histoire, et ta belle action en l'écrivant a déjà porté ses fruits. Espérons qu'il y en aura bien d'autres.
RépondreSupprimerPeter