"TOUS DES PLOUCS !"
Aujourd’hui je voudrais que
vous fassiez la connaissance de ma tante Aline, dont j’ai déjà parlé sur ce
blog.
Quel intérêt, me
direz-vous, et je vous comprends. Si quelqu’un m’annonçait ainsi un portrait de
sa tata, pas sûr que je le lirais jusqu’au bout, sauf, bien entendu s’il s’agissait
de celle d’un ou d’une amie proche !
Mais attendez un peu, vous
comprendrez que cette tante là, vous allez me l’envier sous peu, et, comme moi,
regretter qu’elle ait lâché les pédales de son piano à l’âge avancé de 91 ans,
et surtout de ne jamais l’avoir rencontrée.
Tableaux :
Vous êtes au restau
(pardon, vous dirait-elle, ça t’écorcherait la bouche de dire restaurant, c’est
un gros mot, ou bien tu es trop fatiguée pour parler français comme il
faut ?) – et on vous apporte une carafe d’eau. Ma tante Aline fait du
charme au garçon, qu’elle trouve très mignon (pardon, « séduisant »,
« mignon », ça se dit d’un petit enfant, pas d’un beau mec comme
celui-là), pour qu’il y rajoute ou enlève des glaçons, selon la saison. Elle
lui fait un tel coup de rentre-dedans qu’il craque, et en rapporte deux, pour
qu’elle choisisse celle qui lui plaira le plus. Vous mourez de honte, mais
vous êtes ravi (e) de boire de l’eau fraîche, mais pas glacée.
Vous l’avisez que vous
cherchez un petit appart sur Paris (pardon, vous dirait-elle, tu ne peux pas
parler français normalement ? Tu souhaites vivre dans un nuage au-dessus
de Paris ? Et tu ne peux pas dire dans un « appartement »? Si
les académiciens se donnent tant de mal, ce n’est pas pour qu’on écorche notre
belle langue de la sorte !) – et vous désespérez de trouver quoi que ce
soit d’abordable. Ma tante Aline fait le
tour de ses relations, passe deux coups de fil (pardon, de téléphone) et en
moins de temps qu’il n’en faut pour dire « agence immobilière » elle
vous aura dégoté un studio au-dessus de celui d’un ami à elle, pour un loyer
dérisoire, quelques heures de ménage, et plus si affinités. Vous ne savez pas
quels sont les termes exacts du bail, mais à cheval donné on ne regarde pas les
dents.
Vous avez eu un petit souci
d’infidélité avec votre mec (pardon, vous dirait-elle, « un souci » ?
C’est quoi ce terme dans ce contexte ? Et tu ne peux pas dire ton jules,
comme tout le monde ?) – et vous ne savez pas si vous devez vous excuser
platement pour le récupérer. Ma tante Aline en perdra son sens de la bienséance, et vous
dira recta : « Quel con celui-là, t’as bien fait de le cocufier, il
ne méritait pas mieux, plaque-le donc !» Du coup, vous vous sentez
prête à tous les accommodements, et c’est reparti pour un bail de vingt ans de
vie amoureuse. (Fiction totale, je vous le promets)
Vous ne supportez plus vos
voisins, et vous avez un méga coup de blues ou de déprime (pardon, vous
dirait-elle, tu ne peux pas dire la vérité, que tu es un brin contrariée ou affligée par
quelque chose ? C’est quoi cette mode de la dépression ?) – vous lui
expliquez donc qu’ils passent du rap et de la techno (« qu’est-ce donc ? »),
toute la journée et une bonne partie de la nuit, et là, soudain, elle est en
osmose avec vous. «Tous des ploucs, aucune éducation, aucun respect
d’autrui, aucune culture» et de vous citer Kant, Shakespeare, Schiller,
Schopenhauer, Goethe, Rilke, Dante et Tolstoï, dans le désordre, et dans le
texte naturellement. (Ma tante Aline parlait parfaitement au moins quatre langues, dont
le russe et l’allemand. Le français n’était pas sa langue maternelle, c’est la
raison pour laquelle elle le respectait autant.)
Pour vous consoler de vos
malheurs, elle se met aussitôt à vous donner du Mozart, elle qui
déteste jouer en public, et là, miracle, vous oubliez tous vos tracas.
Car ma chère tante Aline, dont le
débit verbal était légendaire dans la famille, avait un don exceptionnel, une
fois placée devant un piano (et pas juste celui de se taire à ce moment-là). Un
don accompagné de milliers d’heures de travail acharné qui en avaient fait un
professeur exceptionnel pour des pianistes professionnels qui venaient lui
demander aide et conseils avant un concert.
Malheureusement pour moi,
j’habitais un peu loin pour bénéficier souvent de ce calmant si efficace, et
sans aucun effet secondaire.
Alors quand il m’arrive,
comme cette semaine, d’avoir affaire à des goujats qu’elle n’aurait
même pas tenté de séduire (« Tous des ploucs » bis) – je me passe en boucle le CD qu’elle avait enregistré, sur
lequel, en effet, elle joue du Chopin et du Schubert – et le monde entier
semble s’arrêter de me casser les oreilles. (Elle aurait sans doute utilisé un terme plus viril si elle avait été dans la même situation : aucune nuance de la langue ne lui était étrangère !)
Aline n’est pas encore sur youtube, mais voilà un des morceaux en question, un nocturne de Chopin, pas mieux joué que par elle !
Je parie que vous me
l’enviez à présent, ma tante Aline, qui me manque tant. Mais je suis contente
de vous l’avoir prêtée, le temps de cette lecture. Vous en dites quoi ?
Merci de nous "prêter" ta précieuse tante. Je vais la partager un peu avec toi ... sur Internet !
RépondreSupprimerTrès touchant, Cathie. Bravo
RépondreSupprimerAmities
Moise
Super tata ALINE et j'adore la façon Cathy que tu as de la décrire ... C'est vrai que tante Aline.... on te l'envie !
RépondreSupprimerBises
Georgette
absolutely green with envy - and delighted! I could buy one like her any time!
RépondreSupprimerThank you for the comments ! Merci beaucoup de ces retours enthousiastes : je pourrais vous en dire bien davantage, par exemple, sur sa façon unique de draguer les employés de la SNCF (à 75 balais tout de même) pour qu'ils lui transportent ses bagages alors qu'ils ne sont pas porteurs du tout ; sur la manière dont jadis elle conduisait sa 2CV dans Paris sans jamais regarder la route, puisque forcément, elle me parlait. Sur son respect de la manière de se tenir à table, et de croiser ses jolies jambes... Sur le fait que quand on l'abordait pour lui demander un autographe, car on la confondait souvent avec Danielle Darrieux, elle signait le papier sans sourciller - enfin c'est peut-être une légende. Tout comme elle, à présent.
RépondreSupprimerOui ! Bonjour Cathie et merci pour ce blog,
RépondreSupprimerQue de souvenirs en effet de ta chère tante, qui m'a appris le piano
Dans les années 76-78 ... La fiat 500 avait du mal parfois à démarrer mais
Une fois partie ... Une grande dame, je pense à elle à chaque fois que mes mains
Touchent un clavier .
Cher(e) anonyme, je serais ravie d'en savoir davantage sur votre identité cachée ! SVP envoyez moi un autre message à ce sujet, et si vous ne le souhaitez pas, il ne sera pas publié. Merci et à bientôt !
RépondreSupprimerBonjour! Je tombe par hasard sur ce blog et je m'en réjouis. J'ai connu Aline Fidler du temps où je résidais à Paris (1983-99). Je crois que je l'ai connue par le biais de l'Institut Autrichien. Elle me donnait régulièrement à traduire les annonces de ses master-class en été à la campagne. Je garde un excellent souvenir de cette femme remarquable...
RépondreSupprimerMais en effet, elle a donné des master classes plusieurs étés en Autriche, au Schloss Weinberg, près de Linz. J'y ai assisté une fois, en 1993 : MAGIQUE. Merci de ce message.
SupprimerJ'avais 9 ans quand Aline m'a pris sous son aile...pianistiquement parlant. J'en ai 60 maintenant et je ne l'oublierai jamais.Elle m'a insufflé le Beau que je n'avais qu'en brut! Bonjour à ses enfants Marianne et Michel que je n'ai pas vu depuis si longtemps!
RépondreSupprimerMichel Beziat
Merci Michel, de ce beau commentaire, partagé dans la famille. Ayant vue Aline à l'œuvre, je me souviens encore de la manière dont elle encourageait, corrigeait, et aidait ses élèves - qu'elle n'a au fond jamais quittés, vous en êtes la preuve.
RépondreSupprimerMerci beaucoup ... quelle chance de la retrouver par votre blog.. j'ai eu la chance de participer à ses master Class en Autriche , France .. et plus en amitie
RépondreSupprimerMarieJose Coulon
Je suis très heureuse de lire votre commentaire, et peut-être vous ai-je croisée en Autriche, dans ce merveilleux endroit où j'ai pu constater de visu ses immenses talents de professeur. Merci à vous, et à vous tous, de garder d'elle ce souvenir. Elle me manque toujours, mais cela fait du bien de penser qu'elle reste dans le coeur de tant de ses élèves...
SupprimerComme je me rejouis de ce blog ! Mme Fidler a ete mon professeur de piano de 1982 a 1988 quand j'etudias au Conservatoire Europeen. C'etait un personnage unique a qui je dois beaucoup. Par la suite j'ai continue mes etudes musicales aux USA (ou je vis) et suis maintenant Docteur en Musique. Sa memoire reste dans mon coeur !
RépondreSupprimerSerge BONNAIRE
Bonjour Dr Bonnaire, et merci de ce message si émouvant. Pardonnez le retard de sa publication, il s'était caché quelque part et je ne l'avais pas vu. Aline me manque toujours, mais je la convoque volontiers en cas de besoin, et entends sa voix dans l'oreille de mon cœur. Comme vous, sans doute ?
Supprimerbonjour, je suis émue de votre commentaire qui lui va si bien...en entendant Maria Joao pires jouer ce samedi, j'ai retrouvé le touché d'Aline sur son piano. elle nous a transmis sa passion. inoubliable !
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