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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

jeudi 19 juillet 2012

DU SHTETL À BROADWAY



    Je vous sens perplexes. Broadway, à la limite, cela vous parle, même si vous hésitez à passer le Var* trop souvent. Mais le premier mot, là, franchement, si vous êtes niçois**, cela ne vous évoque pas grand chose, sauf si vous avez lu un peu de Isaac Bashevis Singer, ou bien plus modestement (!) mes petites Recettes !

Pas de souci, je vais décrypter. C’est un terme qui désignait les bleds (sic) dans lesquels les communautés juives d’Europe de l’Est étaient en quelque sorte assignées à résidence, puisqu’elles n’avaient pas le droit de se mêler au bon peuple russe, polonais, ukrainien, ou moldave (et j’en passe) - ni aucun droit, d’ailleurs.


Les Juifs y vivaient donc en quasi-autarcie, et en relative paix, sauf lorsque leurs "gentils" voisins  décidaient de se donner un peu de bon temps en organisant un petit pogrom des familles : une ratonnade avant l’heure, quoi.
Une belle illustration de cette époque est donnée dans la comédie musicale LE VIOLON SUR LE TOIT – jouée sur maintes scènes du monde entier. En anglais, FIDDLER ON THE ROOF, vous comprenez mieux maintenant pourquoi je m’en souviens si bien !


Bon. Ce n’était pas joyeux tous les jours, là-bas, et nul n’y était encore Rothschild.
Donc, ces braves gens ont commencé à faire ce que font les misérables du monde entier, encore à ce jour : ils ont pris leurs cliques et leurs claques, leurs violons et leurs clarinettes, leurs chèvres et leurs choux, leurs jambes à leur cou, pour traverser l’océan en direction de la terre promise : l’AMÉRIQUE !

Entre 1881 (date des premiers grands pogroms) et 1924 DEUX MILLIONS ET DEMI de Juifs émigrèrent aux États-Unis, emportant avec eux leurs mélodies, leurs sonorités joyeuses et leurs tristes mélopées, sur fond d’airs tziganes.
C’est cette aventure musicale exceptionnelle que nous relate la réalisatrice Fabienne Rousso-Lenoir dans son documentaire intitulé DU SHTETL À BROADWAY.

En 56 minutes de bonheur, elle en fait tout comprendre, grâce à un montage rythmé, rapide, en parfaite adéquation avec les thèmes évoqués et la musique choisie.

Elle nous montre tout, tout, tout. L’exode, la traversée, l’arrivée à Ellis Island, la vue de la Statue de la Liberté, qui fera plus tard chanter : HEAVEN, I’M IN HEAVEN, air composé par Irving Berlin, un de ces échappés du vieux monde. Derrière Fred Astaire flotte son rêve, et ce n’est pas que Ginger Rogers.


Fabienne Rousso-Lenoir fait voir le choc de l’arrivée que sera la découverte des sweatshops sur Hester Street, et de leurs infernales machines à coudre. Son film nous montre la symphonie des taudis sur un rythme de ragtime, de chants yiddish et d’humour grinçant. Car l’humour, bien entendu, est à nouveau une planche de survie, pour faire face à l’inconnu. 
À mesure que les enfants grandissent sur la terre américaine, ils rejettent les dogmes et interdits traditionnels. Ils lancent une révolution des mœurs, des modes de vie. Ils échappent à leurs parents. Jetez un coup d’œil au début ce dessin animé de Betty Boop, illustré musicalement par Cab Calloway pour sourire un peu. 




Les Juifs comprennent vite que leurs compagnons d’infortune sont les Noirs, dont ils partagent le pain sec et la misère. Le film illustre avec délicatesse les ponts qui se créent entre les deux communautés de parias (car, malgré tout, l’intégration ne s’est pas faite en une décennie) ; leur fureur de vivre, qui s’opposera à la « fureur de mort » de la Première Guerre mondiale ; le kaléidoscope musical qu’ils dessinent ensemble, entre Lower East Side et Harlem, pour aboutir aux « Big Bands ». Si Cab Calloway ou Lionel Hampton ont joué avec des Blancs, c’est que ces Blancs étaient juifs, et que, à l'instar de Benny Goodman, ils militaient à leur façon pour un culturalisme pluriel. 
Écoutez !


Ce n’est pas non plus un hasard si le personnage du « blackface » est représenté par Al Jolson, qui était également juif, et si une de ses chansons, Mammy, est le pendant américain de la célèbre mélodie A Yiddishe Mame, en moins triste.

(Peu de gens savent que, tout comme le très catholique irlandais James Cagney, Louis Armstrong parlait couramment yiddish - langue apprise dans son enfance auprès d'une famille d'immigrants juifs russes, qui lui offrit aussi son premier instrument de musique). 

  
George Gerschwin, lui, mettra vingt-cinq ans pour en arriver à une musique « authentiquement américaine » !  Ici. (Sûrement parce ce que son premier piano lui était arrivé par la fenêtre, un vrai gag, digne des Marx Brothers).  

 


Ce documentaire passionnant nous dévoile tout cela. Il nous fait comprendre, bien mieux qu’un cours d’histoire ou de musicologie, les tenants et aboutissants de cette aventure d’immigration, la merveilleuse (au sens premier) ascension de ce groupe d’êtres humains dont la musique créative, née dans le ghetto, finira par arriver sur toutes les scènes de Broadway, jusqu’au Carnegie Hall. Ainsi que le dit Michel Jonasz, dont la voix envoûtante nous raconte cette belle histoire, toutes les langues du monde sont faites pour parler d’amour – et le monde entier a, un temps, fredonné les paroles en yiddish de Bei Mir Bist du Shoein… heureux mélange de kletzmer et de swing.

Les termes que j’utilise ici sont bien souvent tirés du script de ce film. J'ai tenté d'en résumer l’argument, mais ce ne sont que des mots. Il a fallu à sa réalisatrice des milliers d'heures de visionnement de kilomètres de film, des ciseaux de magicienne pour choisir les meilleurs morceaux, et surtout un talent fou pour les assembler... 


Conclusion : Ce film est rare. Il est passé sur Arte. S’il repasse quelque part, ne le ratez pas. Vous en sortirez avec le sentiment très simple que la musique est ce qui nous unit, mais que, pour le découvrir, il nous faut parfois une très bonne passeuse d’images. C’est ici le cas.


* à l’attention de mes lecteurs esstrangers : Le Var est un fleuve qui coule dans les Alpes Maritimes et qui sépare Nice de la France. Hmm. Séparait.

** que mes chers Niçois me pardonnent. Je les sais très érudits, et ne fais que galéjer.



2 commentaires:

  1. Qui peut oublier « Le violon sur le toit », Catherine? Bien sûr, la musique reflète l'âme de la communauté.

    L'esprit de la musique et la danse de Broadway est bien connu partout dans le monde. Le monde serait plus pauvre sans Broadway.

    Mes amitiés à Broadway!
    ("Give my regards to Broadway").

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  2. Merci pour cet article si bien documenté,qui retranscrit fidèlement le film que j'ai vu récemment. Une page méconnue d'Histoire et de Musique, des personnages qui ont marqué l'évolution artistique à travers leur sensibilité et leur attachement à la musique traditionnelle et à la musique en général.

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