TALILA,
pas DALIDA !
Certes, la majorité de mes
amis niçois connaissent mieux Dalida que Talila, mais aujourd’hui je les invite
à découvrir la seconde, et, avec elle, un monde plus étranger que les Puces de
Saint-Ouen - pour un Niçois, s’entend.
Parce que, à la minute où elle
se met à chanter, Talila nous fait découvrir un univers exotique.
Pourquoi exotique? D’abord parce
qu’elle chante dans une langue que peu d’entre nous comprennent, une langue qui
a disparu, en quelques années d'enfer, avec ses millions de locuteurs ; une langue
que l’on appelait mameloschen, c’est
à dire « la langue de la mère ». Un mélange de dialectes germaniques
et d’hébreu, un espéranto avant l’heure, qui permettait à chaque voyageur juif
de se faire comprendre à des milliers de kilomètres de chez lui, et jusque dans le
subway de New-York.
Oui, le yiddish était la
langue que parlaient les mères, en Pologne, et dans toute l’Europe Centrale, tandis
que les pères priaient en hébreu. Plus sérieusement, le yiddish était la langue
vernaculaire, celle du peuple. Les « assimilés » se gardaient bien de
la parler, un peu comme ces méridionaux qui se forcent à parler pointu, une
fois la Loire franchie. Ils apprenaient la langue du pays, le russe, le
polonais, le roumain, le hongrois, le tchèque, le serbo-croate et que sais-je
encore. Mais derrière chacun d’entre eux il y avait eu une mère qui chantait
une berceuse en yiddish à ses petits, pour calmer leur peur, et sans doute la
sienne. Le yiddish véhiculait aussi toute une littérature, un théâtre, une
culture, que beaucoup d’Occidentaux (et de Juifs séfarades !) ont appris à
découvrir grâce à Isaac Bashevish Singer (Prix Nobel de Littérature, tout de
même), à Cholem Aleikhem,
et même à la musique
américaine, ainsi que l'a si bien démontré Fabienne Rousso-Lenoir.
Non, la langue n’était pas qu’un
patois oral, elle s’écrivait, et, en plus, en lettres hébraïques, c’est dire si nombre de ses locuteurs étaient des lettrés.
Cette langue aux accents
exotiques donc, ouvre sur un passé qui n’était pas tout entier dramatique.
Certes la vie était dure en ces temps-là, et la tragédie proche, mais elle
était aussi empreinte d’un univers joyeux, que l’on retrouve dans les couleurs
des tableaux de Chagall, dans les Contes d’Odessa et les danses
hassidiques.
Mais aussi dans les mélodies que Talila nous chante avec nostalgie, depuis des années.
Petit flash back : Je
l’ai découverte dans les années soixante-dix, à une époque où j’en savais probablement plus
sur le fromage auvergnat que sur l’Ukraine de mon grand-père.
Si je me suis un peu
rattrapée depuis, je crois bien que c’est grâce à elle - ce qui ne m'empêche pas de continuer à aimer la fourme d’Ambert.
Ses premiers CDs, avec
l’ensemble Kol Aviv, tel celui-ci, a été une découverte
extraordinaire à tous points de vue. Comme une épiphanie, si vous voyez ce que
je veux dire. Le genre de truc qui, soudain, vous fait prendre conscience que
vous avez quelques racines ailleurs, en plus de celles que vous avez accrochées
à Nice (je donne un exemple, vous pouvez mettre Saint-Jeannet ou Peille,
si vous préférez), et que, si vous aimez tant les langues étrangères, c’est sans
doute parce que vos arrières grands-parents parlaient yiddish. Quand on a dans
le système une langue comme celle-là, aucune autre ne doit paraître compliquée.
Quoique, l’accent… il vous collait au palais, pire qu’un caramel mou. De quoi
se faire repérer vite fait, mal fait, à Paris, en temps de troubles.
Mais quand
Talila parle ou chante en yiddish, c’est comme si elle nous faisait faire un
bond au-dessus de la tragédie. Elle nous ramène au meilleur de ce temps
passé ; elle en évoque les odeurs, les couleurs, les rythmes, les
textures, à tel point que soudain, on se prend à vouloir tout en apprendre. Presque,
presque, on se mettrait à la couture, c’est dire. Mais surtout à la cuisine.
Vous me suivez ?
En plus, elle est belle
comme un Botticelli qui aurait été conçu dans un shtetl. Avec sa crinière de
lionne et sa taille de guêpe, juvénile forever,
elle danse aussi bien qu’elle chante, elle nous envoûte, la sorcière
blonde ; c’est sûr, en d’autres temps ils l’auraient noyée, elle et son
violoneux, dans le premier fleuve venu, en guise de baptême.
Bon, allez, je sais, on n’a
pas toute la vie devant soi, et sans doute un sanglier sur le feu (pas très casher,
le sanglier, on va dire, un borscht
plutôt ?) – alors je vais aller droit au but.
Talila vient de sortir un
nouvel album. Et c’est Le temps des
bonheurs.
Je l’ai écouté. Donc je
vous en parle.
Un beau mélange de sonorités et de rythmes,
avec, toujours, cette clarinette et ces berceuses qui vous tirent des larmes -
comme ma favorite, Oyfn Pripetshik. De cabaret américano-allemand dans l’air de Yosl, Josl ou Joseph Joseph.
Un peu de français, cette fois-ci, pour évoquer le temps présent et ses
artistes, comme dans La vieille dame de
la rue de Siam. Hommage émouvant à Barbara - celle de Prévert, plutôt qu'à la longue dame brune, même si toutes deux sont des écorchées, comme on les aime.
Que dire de plus ?
Rien. Sinon : achetez l’album pour l’offrir, ou vous l'offrir. Et mieux, si vous êtes en région
parisienne, ne manquez pas son concert. Tout est sur l’affiche. Sauf le
meilleur. Sa voix, tout droit sortie d’une autre époque, et intemporelle.
Avant cela, si vous voulez
faire un voyage dans cet espace-temps-là, prenez le temps de l’écouter parler du Yiddish blues ici.
Et
même de découvrir l’album, produit et arrangé par Teddy Lasry, sur deezer ici. Et son site, c'est LÀ.
Au moment du rappel, je demanderais ceci. Et je dirais : A dank, Talila.
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PS. Un grand merci à Jewpop qui m’a aidée à naviguer sur les ondes musicales du sujet.
En guise de PPS, il me faut saluer tous ceux et tous celles qui ont réagi, ici ou en message personnel, au dernier billet. J'ai pu apprécier leur engouement ou leur indifférence aux séries télévisées, et cela m'a fort amusée.
Pour les geeks de mon espèce, en revanche, je communique les pistes suivantes : LES REVENANTS, en ce moment sur Canal +, et BORGEN, sur Arte. Merci à ceux qui me les ont signalées.
D'une manière générale, l'article qui suit vous en dira plus sur la qualité des séries télévisées, dont il est reconnu à présent qu'elles attirent les meilleurs scénaristes du monde. En cliquant sur le lien suivant, vous lirez quelques paragraphes sur MAD MEN, et les raisons de son succès. Même si l'article date un peu, son sous-titre en est : La série qui met le passé au présent, et ça, forcément, cela me parle !
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Merci pour les informations intéressantes que tu nous livres. Je suis toujours contente d'apprendre quelque chose de nouveau ! A présent je sais qui est Talila, même si je n'ai encore rien entendu d'elle. Je vais directement sur son site !
RépondreSupprimerBises