Il
est rare qu’on en parle, sauf quand le loup du Mercantour lui dévore ses
moutons.
Il ne hurle pas avec les
loups non plus, il ne fait que s’occuper de ses brebis et tenter de survivre,
comme l’ont fait sept générations de bergers avant lui, dans sa famille.
Il
ne fait pas la une des magazines people, car il est la nature même. Et la sagesse.
Laissez-moi lui donner la
vedette aujourd’hui, et retranscrire ses paroles, entendues sur fond de
clochettes, tandis que j’admirais son troupeau, sur un terrain que je connais
bien depuis toujours, et qui est resté vierge de toute construction, dans un
environnement qui, lui, n’est vierge de rien du tout.
Il surveille ses bêtes,
accompagné de son chien. Le chien en question a l’œil vif et l’air tout à fait
compétent dans son métier de chien de berger. Comment choisit-on un tel animal,
au fond ? Naît-il capable d’accomplir ce travail ? Comment le
dresser ? Réponses.
- - Alors, là,
j’avais l’autre qui était adulte, alors je le faisais aller avec l’autre, mais
maintenant il faut que je le fasse aller seul, car ils commencent à se disputer
entre eux, mais c’est le plus vieux qui apprend au plus jeune, parce qu’il le
suit… En principe on prend des chiens qui viennent d’un troupeau. Là je l’ai
pris en Italie, chez un autre éleveur… Ça réussit pas à tous les coups… J’en ai
eu dans ma vie, des bons, et puis des mauvais, mais les mauvais je les gardais
pas.
-
Depuis combien de temps vous faites ce
métier ? Moi, je vous ai toujours connu !
- Depuis l’âge
de 14 ans … depuis l’âge que je pouvais m’attacher les souliers tout seul. Mon
père était berger… depuis 7 générations, on est berger dans la famille.
-
C’est beau ça !
-
Et la mienne,
c’est la dernière. Mes filles, elles voudraient peut-être, elles seraient même
capables, mais il n’y a plus de place, maintenant… On descend passer l’hiver
ici parce que là-haut on peut pas, il y a la neige…
-
Là haut, c’est Tende ?
-
La Brigue. Et
ici, ça se construit tellement, on pourra plus venir. Et puis, on en a assez…
-
Oui, c’est fatigant comme vie.
-
C’est surtout
contraignant, il faut toujours être là, on peut jamais partir une journée, sauf
quand il faut aller au docteur, ou… Voilà.
-
Vous en avez combien là, de brebis ?
-
Là, il doit
m’en rester dans les 160. Cet automne j’ai déjà commencé à baisser et je
baisserai encore. Maintenant c’est ma femme qui exploite. On fait le fromage,
on a une petite production, parce qu’on a encore beaucoup d’agneaux, et tant
que les agneaux tètent, nous on peut pas prendre tout le lait...
- Est-ce que vous recommenceriez la même vie si vous
pouviez choisir ?
-
Oh, ça me
déplairait pas, parce que j’ai quand même connu de bons temps, et malgré tout
on arrivait à gagner notre vie, en étant indépendant… La chance de pouvoir être l’hiver ici et l’été à 2000 mètres… Moi, je vois mes filles, elles sont montées à six mois là-haut à
l’alpage, et tout ce qu’elles ont pris là-haut, ça leur restera pour toujours…
C’est pour la vie ça.
Mais là, on
a été interrompus parce qu’une brebis (ou une biquette) s’est mise à goûter aux
glands d'un grand chêne. Interdit ! Grand coup de gueule du berger - qui, au fait, s’appelle
Francis Lantéri - et obéissance immédiate du troupeau. Je le mettrais
volontiers devant une classe de quatrième. Il saurait y faire. Comme avec les
biquettes.
En
continuant la conversation à bâtons rompus, j’ai aussi appris que seuls
demeuraient une centaine de bergers dans la région, et que leur problème était
lié à la fermeture des petits abattoirs, comme celui de Grasse. Là où les
bergers pouvaient amener leurs bêtes pour une consommation locale, ce n’est
plus faisable. Il faut les abattre dans des grands centres et ensuite c’est la
viande froide qui voyage, au détriment du goût. Je domine mon aversion pour
l’évocation de cette partie qui sépare l’animal de mon assiette, pour entendre
ses doléances. Heureusement il y a eu l’Aïd, parce que les Italiens, qui lui
achetaient des dizaines d’agneaux les années précédentes, n’ont rien voulu
savoir cette année. La crise passe là, comme ailleurs, et on mange moins de
viande.
Francis va
poursuivre son activité encore un peu… Il a des filles qui vont étudier. Les
études, ça coûte cher, mais que ne fait-on pour ses enfants. Et puis, continuer
à voir cela, au quotidien, ce n’est tout de même pas une punition. Mieux qu’une
retraite (qui, entre ces parenthèses, est minuscule pour lui, vous vous en
doutez).
Oui, j’ai
bien de la chance de m’en mettre parfois plein les mirettes de ce spectacle
dont je me doute que les générations à venir ne sauront rien. À moins de vivre
en Nouvelle Zélande, et peut-être en Aveyron ou en Haute Provence, nos
descendants penseront sans doute que les gigots naissent dans des barquettes en
plastique, ou que le lambswool est un dérivé du gaz de schiste.
Petit bonus rien que pour vous, cette naissance dans son troupeau le 23 décembre dernier !
(Images video prises et montées par Remix0692)
QUEL BOL D'AIR PUR ET DE PAIX.........CA FAIT DU BIEN.MERCI
RépondreSupprimerFormidable, Catherine!
RépondreSupprimerUn homme et son chien et toujours le rythme des saisons : il s'agit d'une excellente appréciation du «bon berger», Catherine! Pour le berger (ou la bergère!), il est presque comme vivre au paradis tandis que, dans le même temps, toujours sur la terre.
Les bergers font aussi partie de nos rêves d'enfance et des souvenirs. Par exemple, au temps Noël, je pense souvent à des bergers de Provence et une comptine que j'ai appris (en français !) dans ma jeunesse:
La jambe me fait mal
En ce qui concerne les difficultés de ce mode de vie, Catherine, il est vrai de dire que vous avez bien raison. Les problèmes sont là, mais sûrement, le berger et ses brebis durera aussi longtemps que il y a des collines, des montagnes et des vallons ? Espérons qu'il y aura toujours le «bon berger» !
Avec nos meilleurs voeux à Francis et tous les bergers et bergères.
Trop beau! Bisous,
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