Qu’attendons-nous d’un roman ? Que, bien écrit, il nous
entraîne à découvrir de nouveaux lieux, d'autres époques, des personnages hors du commun, et
pourtant humains, qu’il nous instruise tout en nous distrayant, qu’il nous
fasse poser des questions que l’on se dit être essentielles ? Oui, certes,
tout cela à la fois. Un roman réussi, c’est une capsule d’émotions et de
satisfactions. Mais un roman qui vous donne l'impression de rajeunir à mesure que vous le lisez,
ça, c’est plus rare !
Pourtant, en plus de tout le reste, c'est bien ce que j’ai ressenti à la
lecture de LA CLANDESTINE DU VOYAGE DE BOUGAINVILLE, de Michèle Kahn.
Il raconte, ainsi que nous en informe la 4ème de couverture*, l’exceptionnelle aventure (vécue) d’une
jeune femme, Jeanne Baret, embarquée dans le tour du monde scientifique de M. de Bougainville, aux côtés de son amant, le médecin naturaliste bressan Philibert Commerson.
En ce temps-là, aucune femme n’était tolérée à bord
d’un navire, pour toutes les raisons que l’on imagine. La sanction, en cas de
découverte, était de taille, et sa perspective terrifiante pour l’intruse.
Mais l’héroïne, Jeanne Baret passe outre, avec une
audace et une compétence étonnantes, dont le récit vous tient en haleine
une bonne partie du livre.
Alors, me direz-vous, car je vous sais attentifs,
quid du rajeunissement ?
C’est très simple.
Ayant fait partie de cette génération à qui brûler
un soutien-gorge ne faisait pas peur, celle qui a revendiqué la liberté des
seins autant que le droit de disposer à sa guise du reste de son corps, je n’ai pu que
frémir à la description de la manière dont la Jeannette, devenue Jean,
comprimait sa poitrine à l’aide de bandes d’étoffe, au prix de mille
souffrances. Je me suis rappelée, en la lisant, le plaisir intense que nous ont
procuré nos premières baignades dépourvues d’entraves, et l’impression de défi
qui les accompagnait. Avant-hier ?
Petit coup de jeune, donc, en lisant les lignes qui
évoquent les sentiments de l’héroïne à ce sujet. La manière dont elle envie les
hommes qui, en cas de grosse chaleur peuvent marcher torse nu et nu-tête, quand
les femmes, de surcroît, se devaient de revêtir bonnet ou chapeau.
Jeanne Barret
en costume de marin
(image wikipedia)
Je ne doute pas que ces réflexions vous procureront le même joyeux retour en arrière, tout en vous permettant au passage de mesurer les effets du
balancier que le temps nous assène.
Qui aurait alors cru que des femmes pourraient à nouveau
être forcées de porter un vêtement qu’elles n’auraient pas choisi de
revêtir ? Ou de se priver d’un autre – d’une jupe par exemple ?…
La lecture de ce roman féministe – dans le bon sens
du terme – m’a aussi fait remonter le temps pour une autre raison,
et ce qui suit est également à prendre avec humour.
Ces pages sont un vrai cauchemar de traductrice : Elles me rappellent furieusement mes thèmes d’agreg' !
Ces pages sont un vrai cauchemar de traductrice : Elles me rappellent furieusement mes thèmes d’agreg' !
La richesse du lexique des pages d’ouverture m’a donné envie
de me précipiter d’emblée sur 1) Le Robert et 2) Le Harraps – en ligne ou
autrement. (Ce que j’ai pu faire sans problème en lisant cette merveille sur ma
tablette, au fait).
En effet, dans les années 60-70, il était fréquent de donner à traduire des passages concernant la marine et les bateaux, de préférence aux filles – l'agrégation en ce temps-là n'était pas mixte, il y avait deux concours – tandis que les garçons, eux, avaient droit à la couture et à la cuisine ! Résultat : des nuits passées à apprendre par cœur haubans, mâts de misaine et d'artimon, mouillage, bouts et autres cordages, sans forcément savoir de quoi il était question.
La nostalgie est donc remontée en vagues tendres. Suivies d'un constat affligeant : j'ai presque tout oublié !
Pire, ensuite, et au fil des lignes, je me suis mise à tanguer et à
ressentir les effets du mal de mer, tant les passages qui décrivent
la tempête dans laquelle se trouve prise la flûte (cherchez vous-même ici de
quel instrument il s’agit) sont réalistes, et la langue recherchée. Pour une collectionneuse de mots, le mal a donc été le remède.
Citation, en date de 1767 : « … taille-mer
cassé, de même que de même que le grand chuquet et son jattereau, tous les mâts
d’hune ne tenant plus dans leurs chuquets, tenons mangés par le frottement… »
Flûte alors !
Par bonheur, les hauts-le-cœur cessent grâce à la cueillette de plantes et de fleurs aux noms délicieux :
canamelle, centaurée, épilose, épervière, eupatoire ou (enfin !) une plus
familière campanule. Et heureusement, viendra la découverte de l’incontournable
bougainvillier, à la fleur nommée bougainvillée, « un arbrisseau paré de
bouquets d’un violet somptueux »…
Un voyage en mer, en ce temps-là, Michèle Kahn nous
le rappelle, c’était, outre la famine (que l’on se rappelle la chanson : « Il était un petit navire ») la soif, la maladie, le scorbut, le froid, le chaud, les rats, les
injustices, les noyades, les pertes humaines, les bons et les mauvais Sauvages... En lisant ce livre, il vous reviendra, comme à moi, les images de Robinson, du
Bounty, et celles plus tardives de Gauguin à Tahiti.
Je vous le dis : c'est une vraie cure de jouvence que cette lecture – à laquelle ne manque qu'une grande carte de géographie, façon école primaire, qui permettrait aux désorientées de mon espèce de suivre sans se perdre le voyage de ces passionnants héros de non-fiction.
Plus sérieusement, il est indéniable qu’un roman de Michèle Kahn, c'est toujours du... cousu-main. Joindre ainsi avec autant de talent l’utile à l’agréable (si
l’effroi ne l’était pas, Hitchcock n’aurait jamais percé), le savant à la
romance, c’est là un joli tour de force. On a beau être habituée, cela laisse
pantoise, et reconnaissante.
(...et peut-être aussi... à vrai dire... un tout petit peu envieuse ?)
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Rochefort, le 23 décembre 1766. Déguisée en jeune homme, car il est interdit aux femmes de monter à bord d'un navire royal, Jeanne Baret embarque sur L'Etoile, l'un des deux vaisseaux de la flotte de M. de Bougainville. Lorsqu'elle a appris que son amant, Philibert Commerson, était invité à se joindre au voyage de Bougainville, elle n'a pas hésité longtemps. Et la voilà aujourd'hui bien décidée à le suivre contre vents et marées jusqu'au bout du monde. Jeanne est une jeune paysanne qui a le don de guérir le mal par les plantes, Philibert un naturaliste renommé. Leur amour fou les a déjà obligés à quitter le Morvan et à s'enfuir ensemble à Paris. Pas question pour elle de le laisser maintenant partir seul à la découverte de territoires extraordinaires, de peuples, d'animaux et de plantes inconnus ! Que de stratagèmes il lui faudra déployer pour paraître ce qu'elle a décidé d'être : le valet de M Commerson ! Elle devra tenir son rang parmi les hommes d'équipage, résister aux périls qui se multiplient sur les mers du Sud. Sa folle passion et son insatiable curiosité lui font accomplir des prodiges, et elle passe bientôt pour un homme plus fort que les autres. Mais combien de temps encore pourra-t-elle dissimuler sa féminité ? La Clandestine du voyage de Bougainville, c'est l'histoire incroyable et vraie d'une femme extraordinaire qui, par amour, décida de braver tous les interdits et de prendre tous les risques.
Passionnant ton commentaire ... Je vais très certainement le lire ce roman ... Bises
RépondreSupprimerGeorgette
A mon tour, chère Cathie, d'éprouver reconnaissance et gratitude, pour cet article lui aussi "cousu-main". Combien de journalistes, ou se disant tels, pourraient en prendre de la graine ! Ma récompense, c'est d'apprendre que des lectrices (lecteurs) ont eu autant de plaisir à lire ce roman que j'en ai eu à l'écrire. Merci mille fois d'avoir su le dire avec autant de talent et de don de soi. Michèle Kahn
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