En vol

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Image de la superbe chaise de l'artiste SAB

mercredi 25 janvier 2017

JOSEPH JOFFO SUR GRATITUDE !


Photo prise sur Wikipedia

Mais si, c'est bien vrai ! J'ai obtenu une entrevue (téléphonique) avec l'auteur du Sac de billes. Vous vous demandez comment j'ai fait ? Eh bien, c'est une belle rencontre, liée à mon histoire personnelle avec Vallauris, et aux recherches que nous faisons dans le cadre de l'AMEJDAM, sur les six jeunes gens qui ont été déportés de Vallauris-Golfe-Juan en octobre 1943. Joseph Joffo et son frère Maurice y résidaient, cachés dans un endroit appelé Camp "Moisson Nouvelle" - ainsi qu'il le raconte dans son livre, Un sac de billes, et tel que cela est représenté dans le magnifique film de Christian Duguay, qui vient de sortir. 


Le détail du travail de mémoire de l'AMEJDAM à ce sujet sera à lire bientôt sur le blog de cette association, mais en attendant, et après avoir vu le film en question, j'ai eu envie d'en rendre compte pour mon web-magazine favori, le brillant JEWPOP, où vous pourrez consulter ma chronique, en cliquant ICI – mais pas avant d'avoir lu le reste de ce billet, bien entendu ! 


À la suite de quoi, Joseph Joffo a eu la gentillesse de répondre à quelques-unes de mes questions. Je retranscris ici notre dialogue, sans l'édulcorer, car s'il y a une chose merveilleuse chez cet homme-là, c'est sa spontanéité, et la façon dont son discours coule comme un torrent, avec des accents chaleureux et enthousiastes, qui vous font craquer. 
Jugez-en par vous-même :

Christian Duguay a filmé ce récit sous l’angle de l’enfant, tout est vu à travers les yeux du petit Jo. Alors que vous, dans votre récit, vous vous étiez placé en tant que père, racontant votre histoire pour que vos enfants la connaissent. Vous êtes-vous reconnu dans le regard du réalisateur ?

...À l'époque, j’avais deux solutions, soit aller chez le psy, soit écrire. Il fallait que je me défasse de ce passé qui me taraudait un peu l’esprit, je dois le dire, et je l’ai fait le plus simplement du monde… en écrivant.


En ce qui concerne le film de Christian, je dois dire que j’ai participé au scénario avec la complicité de ma fille, et d’un jeune garçon qui s’appelle Jonathan Allouche, qui est un peu l’artisan du film, puisque c’est lui qui m’a présenté les producteurs. Ensuite, c’est un travail d’équipe, Christian Duguay, qui est quand même un homme de métier, a fait beaucoup de films, qui sont, il faut le dire, des chefs d’œuvre, et je dois dire que je me suis bien entendu avec lui parce qu’il ne manque pas d’humour. Il est arrivé vers moi, je m’en souviendrai tout le temps, il arrive et il me dit : « Jo, vous n’allez pas me refuser de faire ce film, j’ai envie de le faire, c’est le film de ma vie. » Et moi, j’éclate de rire et je lui dis « Non, ce n’est pas le film de ta vie, c’est la mienne ! » Voilà notre première rencontre !

Quand on a eu fini le film – on a travaillé ensemble, on est allés tourner en Tchécoslovaquie* quand on a fait les scènes sur Rumilly, pour recréer les décors, avec les décorateurs on a fait vraiment un travail extraordinaire, il faut le dire, et à la fin, comme c’est un angoissé, c’est le pré-montage du film, le film n’est pas encore terminé, la musique n’est pas installée, mais il veut absolument que je le voie, pour que je lui donne mon sentiment. Et je le regarde, et vraiment je suis très ému, il m’arrache une petite larme, à la pensée de ce qu’on a vécu, Maurice et moi, et il me demande, et alors ? Et je lui sors une petite phrase, je ne sais pas d’où elle vient, je ne l’ai pas préparée, je lui dis : « Tu sais Christian, la parole est la suite logique de la pensée, l’écriture la synthèse, et tes images, ma récompense. »

C’est beau ! Alors je n’ai même pas besoin de vous demander si vous vous êtes reconnu dans le regard du réalisateur !

Alors, non seulement je me suis reconnu dans le regard du réalisateur, mais je peux vous dire que les comédiens – tel que Patrick Bruel, que j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois, avant, pendant et après le film… je lui ai dit, tu sais Patrick, tu es allé bien au-delà de ton métier d’acteur » et il me dit « Est-ce que tu l’as ressenti comme ça ? Je lui ai dit « Oui, je l’ai ressenti comme ça, et toi ? » Il m’a dit « Oui, parce que j’étais vraiment devenu le père des deux enfants » ...
Mais il y en a un qui m’a époustouflé, c’est le docteur Rosen, Christian Clavier, qui est monumental dans ce rôle. Il est extraordinaire, il m’a fait oublier Jacquouille la Fripouille ! Et Kev Adams… pour un jeune comédien, il est extra, il est fabuleux…  J’ai été servi par un casting de rêve. Ils ont respecté l’histoire. Évidemment on aurait pu rajouter des tas de choses, mais fallait faire un film de trois heures… et à ce moment ce n’était plus jouable pour les producteurs. Voilà. Avec les moyens du bord, pour moi, c’est le meilleur film qui ait été fait sur ma vie.

Avez-vous eu une influence sur les choix de Christian Duguay ? Avez-vous été amené à lui faire modifier un détail ou un autre ?

Ça m’est arrivé... ou pas. Par exemple, la scène où le curé assiste à notre tentative d’évasion des deux enfants… parce qu’en réalité il n’y a pas assisté (la scène des tomates, vous voyez) mais cela ne peut pas faire de tort au clergé, d’autant plus que je ne suis pas anticlérical du tout, puisque c’est l’Archevêque de Nice et le curé de la Buffa, qui nous ont sauvés. L’actuel curé, qu’on est allés revoir, nous a sorti, au moment du tournage, les deux vrais-faux certificats de baptême qui nous avaient été faits à l’époque, ça a été des moments fabuleux. Et toutes les scènes de l’hôtel Excelsior… Christian n’a pas voulu mettre l’accent sur la scène du bébé qui s’en va dans les bras du SS, pour pas faire pleurer dans les chaumières, il a bien fait, mais tout y est, c’est un très bon film… il va servir aux enseignants, à faire comprendre ce que des enfants ont vécu pendant la guerre.

Vous avez sauvé la vie du libraire collabo qui vous a lui-même sauvé sans savoir que vous étiez juif. Est-ce que vous pensez devoir cette probité humaine à l’éducation que vous avez reçue ?

Je travaillais pour lui, et je travaillais dur, il ne me faisait pas de cadeaux, mais quand je l’ai vu prendre des coups, être au mur, vous voyez, ça a été plus fort que moi et je lui ai même fait après et, ça c’est pas dit dans le film, un certificat de civisme – parce qu’ils voulaient le fusiller. J’ai réagi… C’était le sentiment spontané d’un jeune garçon qui avait le sentiment que cet homme lui avait quand même sauvé la vie.

Dernière question : l’AMEJDAM va bientôt faire poser une plaque à Golfe-Juan, en mémoire de ceux qui ont eu moins de chance que vous, puisqu’ils ont été arrêtés au Centre école de céramique Moisson Nouvelle où vous avez vous-même passé quelque temps. Ils ont été arrêtés, puis déportés, sans retour pour 4 d’entre eux. Certains sont tentés de dire que cela suffit, et qu’on passe à autre chose…

Oui, beaucoup, certains ont dit que ce n’était pas vrai ce que j’ai dit… Ils n’ont qu’à prendre des archives sur l’Archevêque de Nice, et ils verront si ce n’est pas vrai. Je tiens à lui rendre un hommage tout particulier, ainsi qu’au curé de la Buffa, et je ne suis pas le seul enfant qu’il a sauvé, il en a sauvé 527**, paix à son âme… Il y a toujours des pseudo-négationnistes pour nier l’évidence, et il faut donc continuer le combat, et encore plus, car on sait maintenant où ça mène ce genre de choses.

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Hélas, on ne le sait que trop. Mais qu'un homme qui en a tant vu ne baisse pas les bras, continue à témoigner et à se battre ainsi, cela force l'admiration. Même si, au fond, il n'en a aucun mérite : jeune comme il est, on n'en attend pas moins de lui !
Enfin, tout de même... Gratitude, monsieur Joffo


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* En République tchèque et en Bohême, pour être précis. Les détails des conditions de ce tournage peuvent être lus ici. 

** Voir cet article pour en connaître davantage sur le "Réseau Marcel" de Moussa & Odette Abadi, que Mgr Rémond a aidé, avec toute la force de sa foi.   

3 commentaires:

  1. Merci pour ce blog sur le film "Un sac de billes" et la transcription de l'entretien avec Joseph Joffo. C'est un homme hors du commun, qui a réussi à se reconstruire et à transmettre son histoire. Une précision, cependant, en ce qui concerne le Réseau Marcel : il y a un site créé par les "enfants et amis Abadi" sur lequel on retrouve l'histoire des enfants sauvés, mais aussi de Moussa et Odette : ww.moussa-odette-abadi.asso.fr/

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    1. Merci ! Je mets en dessous un lien direct avec leur site.

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